Pauline Mvele, Réalisatrice : « je veux dénoncer cette pratique d'exploitation des veuves »

Pauline Mvele est gabonaise d'adoption et burkinabé de naissance. Elle vit et travaille à Libreville, Gabon. La cinéaste gabonaise évoque son parcours et les difficultés pour une femme de travailler dans ce domaine. Allons à la découverte de cette journaliste devenue réalisatrice…

 

Pourriez-vous en quelques mots revenir sur votre parcours ?

A la base, j'ai fait des études de journalisme à Ouagadougou jusqu'à la maitrise à l'université. Je suis rentrée au Gabon juste après mes études parce que Mon mari est gabonais, sinon je suis burkinabé d'origine. J'ai beaucoup milité dans les associations notamment les associations de lutte contre le sida. Parallèlement à ça, j'écrivais des articles pour le magazine Amina. Donc j'avais écrit un article qui avait pour titre " Gabon : des femmes séropositives témoignent à visage découvert." L'article avait eu un bon écho. C'est de là que je me suis dit un article a eu un bon écho peut être qu’un film aurait pu faire mieux. Mais je n'avais pas le style pour me lancer dans le cinéma. Un jour, j'ai vu une annonce dans le quotidien gouvernemental « l'Union », où on demandait à des gens qui sont journalistes, cameraman et autres de proposer des projets de film. C'est la que moi j'ai proposé le projet de faire un film sur la vie des femmes séropositives au Gabon. Et Dieu merci mon projet a été retenu. On était très nombreux et ils ont retenu que trois (3) projets. L'Etat Gabonais a décidé de nous prendre entièrement en charge, de produire nos films. Moi, j'ai été encadrée par un grand réalisateur africain qui s'appelle Imunga Ivanga dans l'écriture de mon film jusqu'à la réalisation. Cela a été une très belle expérience. C'est un film qui a beaucoup touché les gens. Je n'ai pas envie de dire que c'est un film intemporel, mais c'est un film qui jusqu'à présent aide les gens dans la lutte contre le sida. Le titre du film c'est " accroche-toi" c'est un documentaire de 52'' minutes. Ce film même a servi dans le cadre d'un projet au Gabon, l'année dernière en 2013 qu'on a appelé "Scénario du Gabon". J'ai fait le tour des lycées au Gabon avec mon documentaire que je projetais aux élèves. Après je leur faisais un petit cours.

C'est en même temps une sensibilisation

Bien sûr, ce film la sert beaucoup à la sensibilisation sur le sida. Il faut dire qu'au Gabon, le situation du sida est très problématique. Et les gens qui acceptent de parler de leur maladie, il y en a très très peu. Oui. La stigmatisation est toujours tenace, donc les gens ont peur " si je dis que je suis malade, les gens vont me rejeter" ou bien "on va me regarder d'un mauvais œil". Donc c'est un film qui arrive quand même à briser les tabous.

Mais quels sont les arguments que vous avez avancés à ces personnes-la pour pouvoir témoigner à visage découvert?

Il faut dire que je n'ai pas eu à donner d'arguments parce que je les connaissais. Je vous ai dit que je militais dans les associations de lutte contre le sida, donc ce sont des gens que je connaissais, je fréquentais dans le milieu associatif et qui me faisais confiance. il faut dire que dans le documentaire, c'est ça, si l'interlocuteur ne vous fait pas confiance, il ne va pas venir avec vous. Mais ce sont des gens qui m'ont fait entièrement confiance. Donc on a pu faire le film ensemble.

Pourquoi vous avez choisi de faire uniquement que des documentaires?

Comme à la base je n'ai pas fait des études de cinéma, pour moi il y a une passerelle entre faire un documentaire et un reportage, mais je veux dire que ma formation de journaliste m'aide beaucoup dans la réalisation de mes documentaires parce que grâce à mes études, je peux élaborer facilement un très bon questionnaire, je sais comment approcher les gens. Donc ce back-round là m'aide. Je m'intéresse au documentaire parce que je le trouve plus humain, vivant. La fiction, il y a un peu de starmania, " je veux ci, je veux pas ça". et puis le documentaire me demande pas une grande équipe. Un documentaire si vous êtes 3 ou 4 personnes c'est bon. Mais la fiction c'est une grande équipe d'une trentaine à une quarantaine de personnes. Et puis j'avoue que j'adore vraiment le documentaire, parce que pour moi faire du cinéma c'est un engagement. Je ne dis pas que faire de la fiction, on ne s'engage pas, mas pour moi je m'intéresse à des thématiques très précises.

Mais est ce que les africains regardent de plus en plus les documentaires?

Je ne sais pas si quelqu'un a pensé à faire un sondage, mais vous avez remarqué que sur les chaines de bouquets canal, les gens regardent beaucoup les documentaires, parce qu'on sait que le documentaire c'est du vrai, du réel. Ce n'est pas imaginé. De plus en plus les gens ont une grande culture documentaire. Les gens regardent beaucoup les chaines de documentaires. Sur le plan mondial, je pense qu'il y a maintenant des documentaires aux Oscars, ce qu'il y en avait pas avant. Sinon le documentaire est en plein essor comme il y a des messages à faire passer.

Jusque là combien de documentaire avez vous réalisé?

Je suis à mon troisième documentaire. Après ‘’Accroche toi ‘’qui parlait de la situation des séropositifs, j'ai réalisé un deuxième documentaire qui a pour titre " non coupable ". Je suis partie à la rencontre de femmes veuves, parce qu'au Gabon quand le mari meurt, la femme se retrouve parfois dans la rue, les parents du défunt la chassent, on lui arrache ses biens. Donc je suis allée à la rencontre de ces mamans pour comprendre pourquoi notre société gabonaise qui est moderne, qui est beaucoup occidentalisée continue d'avoir ces pratiques rétrogrades-là. Je suis allée à la rencontre de ces mamans-là, elles ont expliqué pourquoi elles ont vécu certaines situations. Et je voulais aussi dénoncer cette pratique d'exploitation des veuves, dire que ce n'est pas normal. Quelqu'un est marié avec son mari depuis des années, le mari meurt vous venez maintenant leur prendre les biens. Vous étiez la quand ils étaient entrain d'avoir ces bien-là? Vous ne savez même pas d'ou viennent ces biens. Parce que parfois les biens, ce n'est pas pour l'homme seul, la femme a mis peut être même plus mais comme souvent c'est les communauté de bien, il y a un mélange. C'était vraiment pour sensibiliser la population pour que ces pratiques la cessent.

Après j'ai fait mon dernier documentaire qui passe ici en catégorie panorama, ça s'appelle " sans famille " parce que sans famille c'est le surnom de la prison de Libreville. Ce qui est quand même révélateur. Ce qui veut dire que quand tu es la bas tu n'as plus de famille. Donc j'ai fait un documentaire sur la condition de détention et la situation de réinsertion des détenus au Gabon.

J'ai l'impression que vous vous intéressez plus à la question de la femme

Non pas forcement. Je m'intéresse aux questions des êtres humains et je m'intéresse aussi aux situations des gens qui n'ont pas de voix, que personne n'écoute, dont la situation n'intéresse personne. C'est pour ça je vous ai dit tout à leur en amont que pour moi faire du cinéma c'est un engagement. Parce que je suis gabonaise aujourd'hui, mes enfants aussi sont gabonais, je me dis que je ne peux pas rester sourde, muette, aveugle face à certaines situations qui se passent au Gabon, qui sont anormales et pour moi, c'est aussi l'occasion d'en parler. Si ça peut changer les choses Dieu merci.

Vous pensez que cela a quand même changé quelque chose?

Je sais que ça suscite le débat, ce qui n'est pas mauvais. Parce qu'il y a des situations qui se passent personne n'en parle, tout le monde s'en fout. Mais déjà le fait qu'on peut mettre ce problème la sur la table, moi je pense que c'est prodigieux. Si ça peut permettre de faire révolutionner les choses, "alhamdoulilaye" comme disent les autres. Mais je suis quand même contente parce que mon travail est bien considéré ici au Gabon, quand je parle de quelque chose, les gens se sentent sont interpellées. Pour moi, j'ai une satisfaction morale.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la réalisation de vos documentaires?

Les difficultés sont générales, tout réalisateur a des problèmes de production. Pour faire un film, il faut de l'argent. Moi jusqu'a présent j'ai eu la chance, sur tous mes trois projets, j'ai travaillé avec le centre du cinéma gabonais qui s'appelle aujourd'hui Institut gabonais de l'image et du son. Donc tous mes trois films, j'ai été produit par l'Etat. Mon dernier film, j'ai eu un producteur français. Donc c'est les mêmes problèmes de finances, de compétence de personnel. C'est les mêmes problèmes, mais quand on est tenace, quand on sait ce qu'on veut, je pense qu'on y arrive. Et puis dans la vie, rien n'est facile.

 

Florence Bayala