L’Haïtienne Gaëlle Bien-Aimé, lauréate du prix RFI Théâtre 2022 pour «Port-au-Prince et sa douce nuit»
Pendant toute une nuit, elle réveille avec tendresse et terreur les rêves et les réalités cauchemardesques d’un couple amoureux à Port-au-Prince. Avec ce portrait sublime, métaphorique et poétique de son pays, l’Haïtienne Gaëlle Bien-Aimé, 34 ans, a remporté le Prix RFI Théâtre 2022 qui sera décerné, ce dimanche 25 septembre, au Festival des Francophonies, à Limoges.
Sa voix, à la fois douce et forte, repose sur un imaginaire puissant et poétique. La pensée théâtrale de Gaëlle Bien-Aimée est nourrie par une langue multiple reflétant la réalité terrifiante et les rêves encerclés par la violence de son pays. Port-au-Prince et sa douce nuit, rédigée avec une plume réaliste et revendicative en même temps, laisse peu de place à l’espoir, mais ouvre les portes de l’imaginaire pour un futur meilleur.
Pour affronter les affres, l’autrice avait déjà écrit une autre pièce, Que ton règne vienne, sur deux hommes qui se retrouvent bloqués dans les rues enflammées de la capitale haïtienne. Cette fois, dans sa quatrième pièce, elle nous présente Zily et Férah, un couple d’amoureux qui s’embrasse, se regarde, se parle, fenêtre ouverte, pendant une longue nuit à Port-au-Prince. Ils habitent dans une maison à Pacot, quartier huppé de la ville, mais la situation est plus que tendue… Zily, « poétesse en cavale », est depuis longtemps épuisée de ce pays qui lui a souvent fait « l’effet d’une pilule contraceptive ». Férah travaille à l’hôpital et voit toutes les atrocités de cette ville au bord du précipice.
« On crève seul ! »
Dans de telles circonstances, qui ressemblent parfaitement aux nouvelles venant de Haïti, pourquoi écrire une pièce de théâtre ? « J’écris pour que les gens qui ne sont pas au pays ou qui ne connaissent pas Haïti comprennent ce qui s'y passe, explique l’autrice jointe par téléphone à Port-au-Prince. C’est important pour moi. Car il y a un silence total des médias autour de ce qui se passe en Haïti. Depuis deux semaines, toutes les rues sont bloquées, depuis deux semaines, les gens sont bloqués chez eux. Moi, j’écris pour que les gens comprennent et se parlent dans ce pays. Je ne sais pas si cela va nous aider à quelque chose, mais nous sommes très isolés. On crève seul ! Et je me suis dit que cela pourrait peut-être aider un peu à ouvrir une fenêtre sur l’île. »
« Comment arrêter la chute ? ». Dans le texte la question est omniprésente, mais la réponse semble avoir disparu, une fois pour toutes. Même si les prénoms de nos anti-héros font penser à l’idylle parfaite. En fait, Zily (« un nom court pour abréger le chaos ») et Férah prennent leurs racines dans la mythologie vaudou, chez la Déesse de l’amour et le Dieu de la guerre, un clin d’œil aux défis surhumains révélés par cette douce nuit de Port-au-Prince. Une nuit qui ne se contente pas d’être un moment de la journée, elle s’impose comme un lieu différent, un état mental différent, un monde différent.
« Pour moi, la nuit signifie cette absence de lumière et d’espoir. On ne sait pas ce qui va se passer. On ne voit pas la lumière. On ne voit pas le changement. C’est très métaphorique, la douce nuit, c’est la douce descente en enfer pour tous les Haïtiens, depuis pas mal de temps, avec toutes ces mobilisations populaires, la violence exercée par l’État sur la population. Là , il y a vraiment une grande corde raide. À mon avis, il y aura une grande vague migratoire. Cette longue nuit est la nuit des incertitudes. On ne sait pas ce qu’on va faire. »
Les rues « racontent des vérités sur la ville et sur nous »
Dans l'histoire, les amants se murmurent des mots doux, se caressent, se souviennent du temps passé, mais, entretemps, l'horreur autour progresse inlassablement dans les rues « drapées d’une obscurité invincible ». Chez Gaëlle Bien-Aimé, les rues sont presque des personnages qui « racontent des vérités sur la ville et sur nous ». Mais le seul moyen de traverser ses rues sans danger est de se réfugier dans ses souvenirs. LIRE PLUS SUR RFI
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