Angélique Kidjo, engagée auprès des femmes
Angélique Kidjo est une des grandes voix du monde. Cette artiste d'origine béninoise côtoie les plus grands, Aretha Franklin, Desmond Tutu, Alicia Key, ou même le Président Obama lors de son arrivée au pouvoir. Ses voyages pour l’Unicef, auprès des femmes, lui ont inspiré un nouvel album, Eve, enregistré entre l’Afrique et New York, avec des anonymes et des invités éclectiques : Asa, Dr. John, Kronos Quartet, et même un orchestre philharmonique. Elle publie aussi son autobiographie en anglais, Spirit rising. Pour évoquer son actualité, elle nous reçoit dans sa cuisine, à Brooklyn, où flotte une odeur de curry de crabe et de cake au caramel.
Pourquoi écrire une autobiographie aujourd’hui, votre carrière est loin d’être finie ?
Je ne vois pas vraiment ce livre comme une autobiographie. C’est surtout un livre sur le parcours d’une petite fille, née dans un pays pauvre, qui a commencé à chanter à 6 ans, qui est partie vivre en France puis aux États-Unis, et qui a rempli une salle prestigieuse comme Carnegie Hall. Mon message consiste à dire que tout est possible quand on est passionné et que l’on est bien entouré. La musique m’a mené vers tant de personnes et d’expériences incroyables que je voulais les partager. Pas besoin d’attendre plus pour dire cela, non ?
Dans votre livre, vous racontez combien la cuisine est un lieu important dans votre vie, c’est là que vous avez appris que vous étiez numéro 1 au hit-parade américain, Billboard, ou que vous parlez à votre mère, et vous livrez même vos recettes à la fin du livre?
Oui, comme dans ma musique, dans ma cuisine, je mélange mes influences et mes goûts divers. Une recette peut être faite de mille façons et j’aimerais que chacun s’approprie mes recettes, comme ma musique. Un vieux monsieur m’a dit un jour qu’il écoutait mon morceau Shango en faisant du skateboard. Donc, un morceau vit au-delà de vous ! Quand je fais la cuisine, je chante, les idées me viennent souvent et je les enregistre sur mon téléphone. Je dois faire attention car parfois, je me laisse emporter et je peux me brûler !
Quel plat peut-on manger en écoutant votre nouvel album, Eve?
Le moyo, un plat typiquement béninois. C’est une pâte de manioc servie avec une sauce tomate aux oignons, elle se mange avec du poisson, du poulet ou du tofu. Ce n’est pas un plat de riches, mais c’est convivial, car il faut être beaucoup pour couper les oignons et piler la farine. C’est le plat de l’entraide, un peu à l’image de ce disque que j’ai réalisé avec beaucoup de gens, des hommes et des femmes, à travers le monde.
Comment est né l’idée de ce disque, enregistré entre le Kenya, le Bénin et les États-Unis, avec vos amis, Lionel Loueke, Asa, Dr. John, le trio béninois Teriba ou Grangbe Brass Band ?
En voyageant en tant qu’ambassadrice de l’UNICEF, j’ai rencontré des femmes fantastiques, notamment des femmes réfugiées du Darfour, qui m’ont raconté les horreurs qu’elles avaient vécues. C’était un choc, j’avais l’impression que j’allais sortir de mon corps ! Mais elles m’ont demandé une seule chose : ne pas les considérer une deuxième fois comme des victimes. J’ai été touchée par leur beauté, leur élégance et leur résilience, car elles veulent aller de l’avant. J'ai voulu rendre hommage à toutes ces femmes que j’ai rencontrées en Afrique et ailleurs, car nous les femmes, nous sommes toujours le ciment des sociétés.
Vous avez même invité des femmes anonymes que vous avez rencontrées dans des villages au Bénin et au Kenya à chanter avec vous, comment ont-elles réagi ?
On a beaucoup ri ensemble. Au début, elles n’y croyaient pas, elles ne pensaient pas y arriver, mais tout est possible ! Quand j’ai été accueillie au Kenya, dans un village, par le chant des femmes, c’était si beau que mon mari l'a enregistré avec son téléphone, et c’est devenu une chanson, M'Baamba.
L’album s’appelle Eve, c’est une référence biblique ou spirituelle ?
C’est un album qui est spirituel, car les femmes ont une spiritualité intense en Afrique. On a dit que c’est Eve qui a tenté Adam. Mais ça, c’est l’histoire racontée par les hommes, personne n’a entendu la version d’Eve ! Raconter la vie de l’autre, c’est avoir le pouvoir sur cette personne. Notre histoire, à nous les Africains, a été racontée par les colonisateurs et les esclavagistes.
Votre mère, Yvonne, a chanté le titre Bana, avec vous sur ce disque ?
Elle chante une chanson de son enfance qu’elle m’a apprise. Ma mère a une très belle voix, mais qui s’est altérée à force de crier sur ses dix enfants, à force de pleurer et de respirer la poussière de Cotonou. Elle m’a beaucoup inspirée dans la vie et dans ma carrière. C’est elle qui m’a dit : si tu n’es pas prête à être nue spirituellement, ne monte pas sur scène. Je suis fière d’avoir enregistré avec elle, j’aurais voulu faire un duo avec mon père, mais hélas, il est parti avant.
Le morceau Eva témoigne de votre amitié avec la chanteuse Asa. C’est un disque conçu avec vos proches ?
Oui, Asa est une bonne amie. Elle a été là quand il fallait. On parle peu de l’amitié entre femmes qui peut naître dans une cuisine ou une cour d’école. Dans cette chanson, on évoque celle qui peut être là pour toi dans les mauvais moments, pour te ramasser lorsque tu es à terre. C’est très universel.
Source : RFI Musique
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