ASA : ``Au Nigeria, les femmes peuvent être vues mais pas entendues ``

Asa est une chanteuse de soul nigériane. Elle a sorti son premier album éponyme en 2007 sur le label Naïve. Son dernier album Bed of stone est sorti en 2014. Le 7 mars 2016, accompagnée de 80 personnalités internationales, elle a signé la lettre ouverte de ONE demandant aux dirigeants du monde d’engager des actions concrètes en faveur des femmes et des filles dans les pays les plus pauvres.

Pourquoi avoir choisi de signer cette lettre ouverte ?

C’est assez évident : je suis totalement en phase avec les actions de ONE et leur combat ! Je trouve leurs actions claires et celles-ci s’inscrivent dans le temps. Concernant la campagne « La pauvreté est sexiste », je voulais sensibiliser les dirigeants afin que ceux-ci prennent conscience de la nécessité de mesures concrètes pour lutter contre les inégalités entre les sexes. Il est temps de considérer les femmes et leur impact dans nos sociétés. Cela passe par l’accès à l’éducation et l’indépendance financière aussi.

Pensez-vous qu’il suffit d’une lettre ouverte pour changer les choses ?

Suffire, je ne sais pas ! En revanche, le fait que 80 personnalités d’univers différents telles que Bono, Angélique Kidjo, Melinda Gates, sir Elton John ou encore Meryl Streep aient signé donne de la visibilité au combat et rend notre message viral. Mais derrière nous, des milliers de soldats inconnus rendent la mission de ONE et la nôtre possibles et sont ceux qui travaillent le plus. Tous les citoyens peuvent changer les choses.

Aujourd’hui, c est la Journée des droits des femmes. Quel message souhaitez-vous délivrer aux femmes africaines ?

« Croyez en vous ! » C’est peut-être un cliché, mais nous savons tous que les clichés fonctionnent. Avec du recul, je comprends mieux le rôle des filles et des femmes dans notre société. Je suis née pour être la femme d’un homme, pas pour être moi-même. Je pense que beaucoup de filles sont dans le même cas aujourd’hui. Tu fais tout pour quelqu’un d’autre, tu es censée être pour quelqu’un. Au final, tu as du mal à penser toi-même. Regardons le sport, la beauté, lorsque vous demandez aux femmes pourquoi elles font du sport, la majorité d’entre elles vous répondra pour rester mince, mais ne vous parlera pas de santé. Pourquoi mince ? Pour être belle. Pour qui ? Pour vous ? Non, pour les hommes.

Quelle est la place des femmes au Nigeria ?

Comme partout dans le monde, c’est assez dur. Au Nigeria, les femmes pensent qu’elles doivent être derrière les hommes et non à leurs côtés. Elles peuvent être vues, mais pas être entendues. Les femmes n’ont toujours pas de place, surtout lorsqu’il s’agit de prendre des décisions. Beaucoup de filles pensent encore que, pour y arriver, elles doivent passer par le sexe. Il est important de dire aux femmes qu’elles ont d’autres options et que seul le travail paie.

En 2015, à la même période, ONE avait sorti une chanson, « Strong girl », pour donner le plus large écho à son plaidoyer. Ne pensez-vous pas que la femme africaine est toujours considérée comme « trop forte » ?

Je ne crois pas que la femme africaine comprenne le vrai sens du terme « fort ». Chaque fois que des personnes utilisent cet adjectif, c’est pour qualifier une mère, celle qui prend soin de ses enfants ou qui subit son mariage, sa condition. C’est un peu comme cela que ma mère nous a élevés. Mais non, pour moi, être forte c’est se lever, c’est choisir son métier, si je ne suis pas heureuse dans un mariage, je peux partir et me trouver une autre personne ou rester seule. Etre forte, pour une femme, ne revient pas juste à supporter les événements durs d’une vie. C’est à 60 ans que ma mère commence à apprendre à conduire et chaque fois elle me dit la même chose : « Je n’arrive pas à y croire, je conduis. » J’ai juste envie de lui dire qu’elle aurait pu le faire depuis des décennies.

Le Nigeria est considéré comme l’eldorado de la musique sur le continent. En tant qu’artiste féminine, considérez-vous que vous avez accès à moins d’opportunités que vos confrères masculins ?

Oui. Au Nigeria, l’industrie du divertissement et de la musique est masculine. Les hommes trouvent facilement plus de contrats que les femmes. Si vous regardez les récompenses attribuées aux industries créatives, vous verrez que ce sont toujours les hommes qui gagnent. Parfois, les femmes préfèrent se marier à un homme de réseau afin de s’assurer une visibilité et une notoriété. Mais c’est aussi le cas dans bien d’autres domaines.

 

Source: lemonde.fr