Le Covid-19 a emporté Gita Ramjee, spécialiste sud-africaine du VIH

HOMMAGE. Ses travaux sur le VIH avaient fait autorité. Le Covid-19 a eu raison de cette grande scientifique, pour laquelle les témoignages affluent.

Décédée le 31 mars dernier de complications liées au Covid-19, dans un hôpital près de Durban en Afrique du Sud, Gita Ramjee était une figure scientifique de la lutte contre le VIH. « Elle était une éminente scientifique qui a consacré sa vie à la prévention du VIH pour les femmes et les filles en Afrique. Sa mort est une énorme perte à un moment où le monde a le plus besoin d'elle », a déclaré Winnie Byanyima, directrice exécutive de l'Onusida. C'est aussi pour l'Afrique du Sud, qui est entrée en confinement depuis le 24 mars, un des premiers décès annoncés. Le pays compte le plus grand nombre de personnes vivant avec le VIH au monde, des personnes plus vulnérables face à la pandémie du coronavirus. Une source d'inquiétude supplémentaire.

« Le décès du professeur Ramjee est un coup dur pour l'ensemble du secteur sanitaire et de la lutte mondiale contre le VIH-sida », a déclaré dans un communiqué le vice-président sud-africain, David Mabuza. « Avec son décès, nous avons en effet perdu une championne de la lutte contre l'épidémie du VIH, ironiquement victime de cette autre pandémie mondiale. En son honneur, nous devons tenir compte de l'appel à renverser la courbe en renforçant également nos réponses à cette pandémie et continuer la lutte pour atteindre zéro nouvelle infection au VIH », poursuivait-il.

Le VIH et les femmes

À 64 ans, Gita Ramjee était mondialement reconnue pour ses recherches dans le domaine de la prévention du VIH pour les femmes. En 1996, elle a dirigé un essai sur les microbicides vaginaux pour la prévention du VIH parmi un groupe de prostituées à Durban, en Afrique du Sud. Inlassablement, elle a poursuivi ses recherches pendant plus de deux décennies dans ce domaine, notamment comme directrice de l'unité des essais de prévention du VIH du South African Medical Research Council à Durban. L'unité a mené une longue série d'essais sur les outils de prévention du VIH et Gita Ramjee a été l'investigatrice principale de bon nombre de ces essais.

À son décès, elle occupait le poste de directrice scientifique de l'Institut Aurum, un organisme de recherche sans but lucratif, où elle travaillait pour améliorer la santé des personnes et des communautés grâce à la prévention du VIH. Elle était également directrice de l'unité de recherche sur la prévention du VIH du South African Medical Research Council, professeure honoraire à la London School of Hygiene and Tropical Medicine (LSHTM) et professeure à l'université de Washington et du Cap.

Un parcours hors du commun

La chercheuse, d'origine indienne, est née en Ouganda. Adolescente, elle a dû fuir avec sa famille le régime du dictateur Idi Amin Dada au début des années 1970 pour l'Inde, où elle a poursuivi ses études. Elle continue son cursus à l'université de Sunderland, au Royaume-Uni, où elle rencontre son futur mari, sud-africain. Ils s'installent finalement à Durban, où elle mènera sa carrière et sa vie de famille.

Au fil des ans, de ses recherches, elle est devenue incontournable dans son domaine. Peter Godfrey-Faussett, conseiller scientifique principal de l'Onusida, se remémore : « Elle devient une figure de proue de la recherche sur la prévention du VIH, en particulier chez les femmes, surtout les femmes défavorisées et les travailleuses du sexe. Son travail est reconnu dans le monde entier et a été récompensé par des prix d'excellence scientifique en Afrique du Sud, le prix de la femme scientifique exceptionnelle du partenariat pour les essais cliniques des pays européens et en développement (EDCTP, acronyme en anglais) en 2018, et des titres universitaires honorifiques. Je me souviendrai toujours de son visage amical et d'une personne agréable à rencontrer et avec qui parler, pas uniquement sur des thèmes scientifiques, mais aussi sur nos fils et petits-fils, Londres, Durban et ailleurs. »

Une combattante pour les femmes

« Je suis profondément attristé d'apprendre le décès tragique de Gita. Je connais Gita depuis de nombreuses années et il est difficile d'exagérer ses contributions scientifiques révolutionnaires et son engagement indéfectible en faveur de la prévention du VIH, en particulier pour les femmes et les filles en Afrique. La mort de Gita est une perte énorme pour notre communauté et pour le monde – Cette scientifique de renommée mondiale, leader compatissante et chère amie, nous manquera », déplore Peter Piot, directeur de la LSHTM.

Le 8 mars dernier, Journée de la femme, elle postait sur le réseau LinkedIn : « L'épidémie de VIH a touché de manière disproportionnée les femmes. Je crois fermement que ma vocation dans la vie est de trouver des méthodes qui permettent aux femmes de prendre le contrôle de leurs droits en matière de prévention du VIH et de santé génésique par des choix éclairés. »

Pandémies

Ironie de l'histoire, Gita Ramjee aura été emportée par une autre pandémie. Après son retour en Afrique du Sud, à la mi-mars, du Royaume-Uni, où elle avait fait une présentation lors d'un symposium à la LSHTM, elle a ressenti les premiers symptômes.

« En tant que combattante acharnée, implacable dans sa lutte contre le VIH, contre la tuberculose et maintenant contre le Covid-19, la dernière chose qu'elle voudrait que nous fassions est d'abandonner. Nous n'abandonnerons pas, nous devons continuer à nous battre et à travailler pour trouver des solutions », a déclaré le professeur Gavin Churchyard, directeur général de l'Institut Aurum, à la BBC.