Femmes africaines, les oubliées du digital

Catherine Reichert, experte en stratégie de communication et digitale, vice-présidente communication du Comité ONU Femmes France. Pour ne pas que l'écart se creuse davantage entre femmes et hommes dans l'accès aux nouvelles technologies sur le continent africain, il est crucial de former les jeunes filles au digital. Il en va de leur autonomisation.

On le sait, le digital est un formidable accélérateur de l’entrepreneuriat féminin ainsi qu'un puissant vecteur d’inclusion et d’autonomisation des femmes. Partout à travers le monde, une femme peut, à partir d’une simple connexion internet, développer une activité économique ou construire des solutions pratiques, concrètes, en phase avec ses besoins. C’est aujourd’hui un fait reconnu : la technologie permet aux femmes de rompre leur isolement géographique ou l’emprise de certaines pratiques sociales ou culturelles qui les cantonnent dans des rôles.

Ce constat a amené les Nations unies à adopter en juillet 2016 une résolution qui considère l’accès à internet comme un droit humain fondamental, et ONU Femmes à intégrer dans son plan stratégique 2018-2021 l’innovation et la technologie comme « moteurs de changement ».

Les principales discriminées

Pour autant, l’Afrique est le continent où cette révolution technologique ne bénéficie pas encore largement aux femmes. Si c’est le continent où le taux de croissance du nombre d’internautes est le plus fort (+20 % par an, selon le rapport 2018 Global Digital de We Are Social et Hootsuite), c’est aussi celui qui connaît les taux de pénétration d'internet les plus bas (34 % en Afrique contre 80 % en Europe). L'écart entre hommes et femmes y est aussi important : 18,6 % des femmes ont accès à internet contre 24,9 % des hommes, selon des données de l'Union internationale des télécommunications [ITU].

Les femmes sont les oubliées du digital en Afrique : elles sont le plus lourdement touchées par la pauvreté, les aléas climatiques, le manque de soins, les violences et les crises économiques. Ce sont elles qui travaillent dans les conditions les plus précaires. Ce sont les principales discriminées dans l’accès à l’éducation, à la formation et à internet. Alors que l’Afrique, portée par la révolution du mobile, voit éclore un nombre record de start-up dans le domaine de la téléphonie mobile ou de la fintech, il y a un risque important qu’un écart désastreux se creuse entre femmes et hommes si l’on ne prend pas sans attendre des actions pour sensibiliser et former les jeunes filles aux filières technologiques.
À une époque où, dans un avenir très proche, 90 % des emplois nécessiteront des compétences liées aux nouvelles technologies, il n’est pas pensable qu’en Afrique, la révolution numérique se fasse sans les femmes. Former les nouvelles générations au digital est un enjeu clé ; permettre aux femmes de contribuer à l’industrialisation et à la croissance de l’Afrique apparaît comme une priorité absolue, tout en les sensibilisant au développement durable, car la technologie sans conscience est un fléau pour la planète.

« Women first »

Des initiatives existent déjà pour combler le fossé technologique, comme l’African Girls Can Code Initiative, un programme proposé par la Commission d'Union africaine (AUC), ONU Femmes Éthiopie et l'ITU. Lors de son premier camp de codage à Addis Abeba en août 2018, il a ainsi rassemblé et formé près de 80 filles, de 34 pays africains. D’ici à 2022, le programme ambitionne de toucher plus de 2000 filles à travers 18 camps.

Donner accès aux femmes et aux filles à la technologie, c’est leur ouvrir la voie vers l’autonomisation. La résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies pour les femmes, actrices de la paix et de la sécurité a d’ailleurs reconnu l’impact positif qu’elles exercent dans les processus de paix, le règlement des conflits et le développement durable. L’essor du continent africain représente un enjeu mondial. Il n’y a pas de temps à perdre pour s’assurer que les Africaines seront actrices de cette révolution en marche. Le continent du « mobile first » doit aussi être celui du « women first ».


Source : strategies.fr