Violences conjugales : les Africaines encore seules face à leurs bourreaux
Même quand elles crient au secours, les pesanteurs sociales étouffent leurs appels à l'aide.
Les événenements remontent à début décembre et font débat au Nigeria, comme le rapporte RFI et plusieurs médias nigérians. Un femme médecin dénonce sur les réseaux sociaux son mari journaliste qui l'a battue. Après avoir condamné les violences conjugales, l'employeur de l'époux envisage de lancer une enquête mais Samuel Ortom, le gouverneur de l'Etat de Benue où vit le couple, organise une séance de réconciliation au terme de laquelle la jeune femme, qui porte encore les traces de coups sur le visage, promet de tout faire pour maintenir la paix conjugale. Elle invite également à accorder le pardon à son compagnon.
(Le médecin, Ifeyinwa Angbo, dénonce son mari, Pius Angbo, qui l'a prétendument battue sans merci quatre semaines seulement après qu'elle a donné naissance à leur quatrième enfant.)
Banalisées
Dans les colonnes du journal nigérian This Day, le journaliste Olusegun Adeniyi résume bien la situation : en usant de son statut de gouverneur, Samuel Ortom a imposé "une solution extrajudiciaire au couple et, en rendant son intervention publique, il a involontairement établi une jurisprudence injuste pour résoudre les cas de violence domestique dans l'Etat de Benue". Ce type d'attitude est celui décrié depuis plusieurs années par la militante camerounaise Minou Chrys-Tayl qui a elle-même été violentée par son compagnon. "Chez nous (au Cameroun), les violences conjugales ou sexistes sont normalisées. C'est tabou. Il n'y a pas de sensibilisation sur le sujet", indiquait-elle encore fin novembre sur les antennes de France 24.
L'histoire du Dr Ifeyinwa Angbo a été rendue publique durant les 16 jours de mobilisation contre les violences faites aux femmes (25 novembre-10 décembre) sous le thème "Orangez le monde : financez, intervenez, prévenez, collectez !" Elle atteste, une fois de plus, de la solitude dans laquelle sont plongées les Africaines qui subissent des abus domestiques. Une situation que la pandémie liée au Covid-19 a exacerbé.
La "pandémie fantôme"
Les cas de violences conjugales ont augmenté partout sur le continent à cause des mesures de confinement prises à compter du mois de mars 2020 pour contenir la maladie. "L'accélération de la pandémie s'est accompagnée d'une recrudescence manifeste de la violence, une 'pandémie fantôme' alarmante, avec une augmentation des taux de signalement de violence domestique et des cas de violence dans la rue, en ligne ou dans d’autres contextes", a indiqué fin novembre la directrice exécutive d'ONU Femmes, la Sud-Africaine Phumzile Mlambo-Ngcuka.
Pour répondre à cette urgence sociale en Ouganda, par exemple, une ligne d'assistance téléphonique gratuite a été mise en place pour aider les femmes et les filles. Une quinzaine d'agents spécialisés des forces de police sont en charge de la réception des appels de détresse. "Cette ligne a joué un rôle crucial dans la réponse de la justice pénale et l'accès aux services pour les survivants pendant le confinement", explique-t-on sur le site d'ONU Femmes. Ces lignes ont d'ailleurs également permis de mesurer l'ampleur des violences domestiques dans le monde. A l'instar de plusieurs agences onusiennes, l'Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC) a ainsi constaté qu'elles avaient été davantage utilisées "après que les mesures de confinement ont été introduites au niveau national" dans plusieurs pays, notamment en Tunisie.
Si en Ouganda, la force publique est aux côtés des victimes grâce à une ligne dédiée, ce n'est pas toujours le cas. En 2019, Amnesty International soulignait la dure réalité des Algériennes : "La loi criminalise les violences conjugales. Mais elle ne donne pas aux femmes les moyens de se défendre." Sur ces questions, à l'instar de beaucoup de femmes, les Africaines restent souvent inaudibles, même quand elles brisent le silence comme le Dr Ifeyinwa Angbo, et par conséquent condamnées à une issue fatale.
Porter leurs voix
Les violences domestiques aboutissent souvent à des féminicides. "L'Asie compte le plus grand nombre de femmes tuées dans le monde par leurs partenaires intimes ou d'autres membres de la famille en 2017, avec environ 20 000 victimes. Cependant, on estime à 19 000 le nombre de femmes africaines qui ont également perdu la vie de cette façon. (Cependant), l'Afrique a une population moins importante, ce qui signifie que les femmes africaines courent un plus grand risque d'être tuées par un partenaire intime ou un autre membre de la famille que les Asiatiques", souligne l’édition 2019 du rapport annuel sur les homicides publié l'ONUDC. En d’autres termes, une Africaine est trois fois plus exposée qu’une femme vivant en Asie, deux fois plus qu’une résidant en Amérique et quatre fois plus qu’une Européenne. L'Afrique du Sud est le pays qui enregistre l'un des plus forts taux de féminicides sur le continent.
Pour participer à la sensibilisation à ce phénomène, l'actrice nigériane Dorcas Shola Fapson a réalisé en juin 2019 un court métrage en adaptant le célébre poème de Paulette Kelly sur les violences conjugales, I Got Flowers Today (1992). Son film est la funeste chronique du quotidien d'une femme battue par son compagnon.
Ce sont d'autres comédiennes, Algériennes cette fois, qui ont produit en novembre 2020 un message de sensibilisation face à de récents féminicides qui ont choqué le pays. La vidéo reprend, entre autres, tous les préjugés dont sont victimes les femmes qui subissent des violences domestiques.
Source: francetvinfo.fr
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