En Somalie, un projet de loi légalisant les mariages précoces déclenche un tollé
La Somalie est classée en dixième position des pays dans le monde pour le nombre de mariages d’enfants.

Il n'y a pas de loi prescrivant un âge minimum pour le mariage en Somalie. Mais un nouveau projet de loi permettrait d’autoriser le mariage d’enfants avec des adultes. Il déclenche de nombreuses critiques et de la colère chez ceux qui luttent pour l'amélioration des conditions de vie des enfants.
A Mogadiscio, dans un camp de réfugiés où vivent des familles fuyant la famine et les jihadistes shebab, le photographe Feisal Omar a rencontré plusieurs jeunes filles mariées, tombées enceintes, violentées… alors qu’elles étaient mineures.
Selon les chiffres de l’ONU (2014-2015) et les données d'une enquête gouvernementale (2020), en Somalie, sur l'ensemble des femmes qui se marient, un tiers à 45% (suivant les régions) le sont avant l’âge de 18 ans et un peu moins de la moitié de ces dernières avant 15 ans. "Certaines familles marient leurs filles pour réduire leur fardeau économique ou gagner un revenu. D'autres pensent garantir l'avenir de leurs filles ou les protéger", a déclaré Dheepa Pandian, porte-parole de l'UNICEF, cité par Reuters.
Hafsa vit avec sa mère dans un camp de réfugiés pour des familles fuyant les violences du pays. Elle a été mariée à 13 ans par son père à un homme qui lui a donné un peu moins de 100 euros en échange. Elle raconte qu'elle a été violée pendant deux ans avant que sa mère le convainc de divorcer. "J'ai regretté d'être née" déclare Hafsa. Nadifa Hussein, qui dirige trois camps déclare : "La plupart des femmes ici se sont mariées à 13 ans et ont divorcé à l'âge de 20 ans".
En 2013, la Somalie a convenu avec l’ONU d’améliorer ses lois sur la violence sexuelle et après cinq ans de travail, un projet de loi sur les infractions sexuelles a été approuvé par le Conseil des ministres et envoyé au parlement. Mais en 2019, le président de la Chambre a renvoyé ce projet de loi "dans un processus qui pourrait avoir dévié de la loi établie" en demandant des amendements de fond, explique AP (Lien en anglais). Présenté au Parlement en août 2020, le projet de loi permettrait le mariage dès la puberté, qui peut survenir à 10 ans chez certaines fillettes.
Selon les Nations unies, ce nouveau projet de loi légaliserait le mariage précoce. Il "risque de légitimer le mariage des enfants, entre autres pratiques alarmantes, et doit être empêché de passer en loi", a déclaré la responsable des droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet. Les déclarations de Pramila Patten, la représentante spéciale de l’ONU sur les violences sexuelles dans les conflits vont dans le même sens : il "représenterait un revers majeur dans la lutte contre les violences sexuelles en Somalie et dans le monde ", et doit être retiré immédiatement.
Mais pour le vice-président Abdiweli Mudey, qui l’a présenté, "ce projet de loi est le bon (…) conforme à la loi et aux traditions islamiques." Basé sur la charia, il permettrait le mariage à condition que la famille donne son consentement. Mais de nombreux législateurs, comme la militante des droits humains Sahra Omar Malin, le rejettent fermement : "Notre constitution est basée sur l'Islam. Elle dit que l'âge de la maturité est de 18 ans, c'est l'âge idéal pour voter ou pour qu'une fille se marie", a-t-elle déclaré.
Alors que le 12 août, la Somalie se préparait à marquer la Journée internationale de la jeunesse, Ilwad Elman, une militante sociale somali-canadienne qui travaille avec "Elman Peace and Human Rights Center", une ONG fondée par sa mère, a tweeté : "Je ne veux voir aucun responsable somalien participer en ligne (à cette célébration) quand vous essayez de leur voler leur enfance (…) avec un projet de loi légalisant le mariage des enfants." Et des milliers de personnes en Somalie font circuler des pétitions contre ce projet de loi.
Aujourd’hui, il est difficile de dire quand le Parlement va pouvoir voter ce projet de loi alors que la Somalie est en pleine instabilité politique et lutte contre une insurrection islamiste. Le ministre de l’Agriculture de l’État de Hirshabelle, Abdukadir Abukar, a été abattu le 17 août et en juillet, le Premier ministre Hassan Ali Khaire a été limogé par le parlement. La présidence somalienne et le ministère de la Santé n’ont pour l’instant indiqué aucune date sur la mise aux voix du projet de loi.
Selon l’ONU, depuis le début de la pandémie de coronavirus, près de 68% des 300 prestataires de services à travers le pays ont signalé une augmentation de la violence sexiste. Les mariages d’enfants ont augmenté, en partie à cause des pressions économiques mais aussi car l’ouverture des écoles a été perturbé par l’instauration du confinement.
Source: francetvinfo.fr
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