Denise Epoté, marraine des JNDA : « La femme africaine est invisible »
Denis Epoté endossera le rôle de marraine des Journées nationales des diasporas africaines qui se dérouleront les 29 et 30 avril à Bordeaux. Cette journaliste d’origine camerounaise, chevalier de la Légion d’honneur en 2013 et présente sur la liste 2014 du Forbes Afrique des cent personnalités les plus influentes du continent africain, est aujourd’hui à la tête de la direction Afrique de TV5 Monde. Sur les questions des diasporas africaines dans les sociétés occidentales et les nombreuses bénéfices qu’elles apportent à leurs pays d’accueil et leurs pays d’origine, elle a accordé un entretien qui déplore particulièrement la place invisible de la femme dans l’essor économique alors que, paradoxalement, le continent africain compte beaucoup de femmes à des postes politiques importants.
Pourquoi avez vous accepter le rôle de marraine des Journées nationales des diasporas africaines à Bordeaux ?
J’étais déjà invitée comme grand témoin l’année dernière et mon propos portait alors sur les principaux changements qu’avait connu l’Afrique ces dix dernières années et quelle était leur importance. J’avais axé mon propos sur les rôles majeurs des femmes africaines dans la dynamique du développement. Cette année, je suis de retour parce que ce combat est légitime, si le mot combat est juste. Pour moi c’est une cause qu’il faut défendre : la place et le rôle de la femme africaine dans le développement sont indéniables alors que, pour l’instant, elle est invisible.
Quand on prend l’exemple de l’agriculture en Afrique, 80% de cette activité sont contrôlés par les femmes alors que les terres ne leur appartiennent pas. C’est vrai que la majorité d’entre elles sont surtout actives dans le secteur informel, comme les Nana Benz au Togo, Bénin ou Nigeria (des commerçantes de la classe moyenne enrichies par le commerce du tissu imprimé, qui doivent leur surnom à la voiture Mercedes-Benz, signe de réussite sociale, NDLR). Leur poids est réel dans l’économie mais il n’est pas comptabilisé. De même, très peu de banques accordent des crédits aux femmes, alors que les statistiques ont montré que les femmes les remboursent mieux que les hommes.
De point de vue politique, on voit qu’aujourd’hui elles ont toujours été dans les partis en arrière-plan en terme de mobilisation. Mais les lignes bougent : au Sénégal, il y a eu deux femmes premier ministre ; au Liberia, c’est une femme qui est à la tête du pays depuis 10 ans ; en Centrafrique, au Gabon, au Malawi, des transitions politiques ont été assurées par des femmes de façon remarquable. En France, la dernière femme à un poste très important, c’est Edith Cresson. L’expérience n’a pas été renouvelée, alors qu’en Afrique, ça ne fait plus peur à personne. Dans la présentation de ses journées, on peut lire que les liens au sein de la diaspora « constituent un réel atout pour accroître la visibilité et le développement de Bordeaux en Afrique »… Ça permet déjà de mettre les gens en réseau.
Dans de nombreux pays africains, le poids et l’impact de la diaspora est important. Il y a d’abord la dimension humaine : les membres de la diaspora sont les ambassadeurs de leur pays d’origines. Il y ensuite a la dimension économique ; les transferts de fonds étant parfois supérieurs à l’aide publique au développement si on prend le cas du Sénégal ou encore celui du Mali. Il y a enfin la dimension des ressources humaines ; la diaspora est une source bénéfique pour le pays.
Un des temps forts de ces journées s’intitule « Les femmes de la diaspora, actrices du développement ». Pouvez-vous faire un constat de la place culturelle, sociale et économique qu’occupent ses femmes aujourd’hui ?
Quand on parle de femmes de la diaspora, on parle bien sûr de femmes dans la société française. Le problème majeur reste la visibilité de ces femmes, même s’il y a du progrès puisqu’il y a des femmes de la diaspora qui occupent de grandes responsabilités. Ce manque de visibilité est dû à la place de la femme en général et non pas aux habitudes sociales de leurs pays d’origine. Malgré les lois sur la parité en France, on voit bien que le problème de l’égalité est loin d’être résolu. Il y a encore un plafond de verre. J’ai entendu des hommes politiques dire que si on laisse de la place pour la femme, et de la place pour celles issues de la diversité, ça fait deux places pour elles. Non ! C’est d’abord une place pour la femme. Point. Il ne faut pas qu’elle deviennent des faire-valoir pour d’autres raisons. Le fait d’être de la diversité, ce n’est pas forcément une double peine. Au contraire, c’est une richesse. Dans mon cas, Française d’origine camerounaise, c’est une chance parce que j’ai une double culture.
Par ces temps de craintes et de peur provoqués par l’actualité, quelles difficultés rencontrent les membres de la diaspora ?
Je ne peux pas en parler. Personnellement, je ne souffre pas de rejet ou de racisme, sans pour autant nier qu’il y a des problèmes. Ces journées ont pour but de valoriser le vivre-ensemble et de reconnaître que les personnes issues de la mixité sociale apportent une valeur ajoutée. Il faut tenir compte de ces Français de culture étrangère qui apportent quelque chose à la France. TV5 est la chaine de la francophonie et la diversité culturelle est au cœur du débat francophone. Au lendemain des attentas de Paris et de Bruxelles, la secrétaire générale de la francophonie a voulu un clip qui a pour titre : « Libres ensemble« . On y voit des jeunes issus de tous les coins de la francophonie qui affirment leur liberté et leur fierté d’être issus de plusieurs origines. La force est de trouver des points qui nous rassemblent au lieu de trouver des points de divergence. Quand je rencontre des Maliens, des Canadiens, des Libanais ou même des Qataris, qu’est-ce qui nous lie ? C’est la langue et les valeurs qu’elle porte. Et ces valeurs là sont la liberté, la tolérance et la démocratie.
Source: Rue89Bordeaux.com
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