Christelle Nadia Fotso :``Le Cameroun est un pays physique, mais pas érotique``
Nous sommes allés à la rencontre de Christelle Nadia Fotso, fille du très célèbre homme politique et industriel camerounais Victor Fotso. Si physiquement elle présente une faiblesse apparente, au fond d’elle vit un David capable de vaincre tous les Goliath de sa vie. C’est du moins ce qui se dégage de sa personnalité forte, et c’est ce qu’elle confirme également à travers son nouveau livre, Défigurée, que nous allons découvrir à travers cette interview exclusive.
Christelle Nadia Fotso n’est plus un nom à présenter. Vous êtes une avocate de renom, une écrivaine, mais aussi entrepreneur. Vous avez déjà publié plusieurs ouvrages, tous avec un brin de poésie, et ce nouveau livre, Défigurée, est quelque peu autobiographique. Parlez-nous de cet ouvrage. Mais avant, dites-nous pourquoi vous avez choisi ce titre, Défigurée.
Parce que c’est ce que je suis. J’ai eu une année 2019 violente, folle mais structurante. Je remercie 2019 de m’avoir violée parce que ce viol, qui a été pire qu’une tournante, m’a donné Défigurée. Je force le trait, à peine, mais Défigurée parce que je suis marquée par mes deuils, par mes amours perdues, par la perte de ma nuance, mais j’écris et je suis débout parce que je suis têtue et révoltée. Je sais qu’une femme défigurée ne doit pas être que faible et ne peut pas être qu’une victime si elle veut éviter une lapidation ou juste des gang-bangs à répétition.
Dans Défigurée, vous parlez de la femme et de sa condition en Afrique, vous parlez de sexe, vous parlez de politique, de Bandjoun ; vous parlez de… votre père. N’est-ce pas un mélange trop hétéroclite ?
Oui sans doute, mais c’est tout moi. Je suis un OVLNI, un « objet volant littéraire non identifié ». Il est important pour moi de ne pas faire ou refaire ce qui a déjà été fait, mais d’inventer ou au minimum de réinventer. Oui, je l’assume, mélange compliqué, hétéroclite, complexe, parfois sans queue ni tête, mais mélange littéraire, poétique, novateur qui essaye de créer de la beauté avec une chair qui a été violentée parce que trop de gens ont essayé d’en faire de la chair à canon.
En abordant des questions aussi sensibles les unes que les autres, ne craignez-vous pas des attaques violentes des conservateurs ?
Oui, je les attends avec impatience. J’aime être combattue encore plus que j’aime être insultée. Le jour où, j’espère qu’il ne viendra pas, je serai aimée ou juste lue par les conservateurs, je me poserai des questions et je saurai que j’ai cessé de penser pour devenir un produit. Je suis fière d’être critiquée, attaquée et parfois haïe par les conservateurs qui sont souvent simplement les idiots utiles du patriarcat ou de la phallocratie. Je le dis sans équivoque : il y a des personnes à qui je tiens absolument à déplaire et leurs attaques, plus elles sont violentes, me ravissent.
A vous lire, on a l’impression que vous êtes passée de l’amour filial fou à la douleur, une douleur qui s’est muée vers la fin en rage. Cette rage, serait-elle votre moteur ?
En général, mais heureusement c’est de moins en moins le cas, lorsqu’une femme est en colère, beaucoup, trop s’obstinent à ne voir que sa colère et non ce qu’elle pointe du doigt pour ne pas se poser l’unique question essentielle qui est celle de savoir si cette colère est appropriée et tout simplement juste. Le but est de la délégitimer, faire de toute femme qui dit des vérités, qui la hurle même poétiquement, même artistiquement, une hystérique en la réduisant en être en soi. J’ai la chance d’être née marginale et d’avoir eu le privilège d’être une handicapée dans un monde faux et fauve, donc je sais enfin faire de tout cela et comment me défendre et retourner tout cela. Oui, je suis une femme en colère, je suis même pire que cela, je suis une femme revancharde, mais je ne suis pas cela, je suis un écrivain qui sait quoi faire de sa colère, qui sait la polir, la sculpter afin de la rendre littéraire et peut-être utile. Il n’y a pas de rage. La rage est toujours destructrice et ne permet pas de créer. Par contre oui, il y a de la douleur, des douleurs qui sont autant folles que mes amours, mais qui forcent à regarder, à m’examiner, à me déshabiller, à écrire comme le disait Duras, pour me massacrer. Mon nombrilisme apparent est un humanisme.
Dans un extrait de votre livre, on peut lire : « A sa fille handicapée, son garçon manqué, mon père a préféré son fils raté ! » Quelle est aujourd’hui la nature de votre relation avec votre frère ?
Christelle Nadia Fotso : Ma relation avec Yves Michel Fotso n’a pas changé. Elle ne peut plus évoluer. Il y a eu non seulement du sang sur les murs, mais sur les draps et sur les mains. Il me connaît. Je le connais. Il sait que je sais, que je suis non pas que la fille de son père, mais sa mère et qu’à la fin ce ne sont pas les armes qui vont parler comme le disait Mitterrand, mais la chair et la profondeur. Le matériel, l’argent ont beau être le nerf de la guerre, ils ne suffisent pas. Il se trouve que les mots sont de mon côté et qu’ils ne mentent pas ! J’aimerais pouvoir lui souhaiter tout le bonheur du monde, mais Brutus ne peut vivre heureux comme tous les patricides !
Avez-vous déjà songé à l’éventualité de surmonter votre douleur et de faire la paix avec votre père, Victor Fotso ?
Christelle Nadia Fotso : C’est déjà fait et Défigurée est le résultat de ce dépassement. Je ne suis pas en guerre contre Victor Fotso, paix à son âme. Une fille qui est d’abord une mère ne peut pas être en guerre contre son enfant puisque son but est toujours de le protéger en disant haut et fort qu’un vieux ne doit pas porter un village et ne peut accepter qu’il se sacrifie autant par dévotion que par orgueil. Je suis une fille-mère en deuil parce que j’ai perdu mon père que je n’ai pas pu sauver des flammes du mal et de l’inculture. Mon deuil a été long, mais aujourd’hui avec Défigurée, j’avance et le laisse reposer en paix. Je cesse de pleurer mon père et le cadeau que je lui fais est ce livre qui lui confirme qu’en dépit du fait qu’il n’a pas pu, pas su transmettre, je vais non pas continuer, mais réinventer et le dépasser aussi pour ne pas laisser ce qu’il a fait disparaître en le racontant.
Dans une interview récente, vous parliez de la jouissance et souligniez le fait que les femmes africaines (Camerounaises en l’occurrence) ne connaissaient pas vraiment ce bonheur, et que les Camerounais draguaient comme des « manches ». votre position sur ces questions a-t-elle changé entretemps ?
Ma position ne peut pas changer puisque rien n’a changé. Je vais aller encore plus loin. Je ne dis pas que les femmes camerounaises ne connaissent pas la jouissance, je dis que la jouissance reste dans les sociétés camerounaises et du continent africain en général un privilège masculin. C’est pour cela que je dis que le Cameroun est un pays physique, mais pas érotique. C’est le masculin qui est en question et sa virilité de pacotille. Les femmes camerounaises souffrent du fait que les mâles camerounais et ceux d’ailleurs sur le continent sont, passez-moi le mot, « inbaisables ». La femme camerounaise et celles d’autres pays du continent parce que la femme africaine n’existe pas, doit être libre pour jouir sans entrave.
Source: afrik.com
Articles similaires
A Voir aussi
Recette
Agenda
Newsletter
Abonnez vous à la newsletter pour recevoir nos articles en exclusivité. C'est gratuit!
Commentaires