Le Pass Mousso, un petit bijou de santé numérique créé par l’Ivoirienne Corinne Maurice
« CARNET DE SANTÉ ». L’Ivoirienne Corinne Maurice a créé un bracelet connecté qui contient toutes les données utiles à une prise en charge rapide et sûre des malades.
Le 25 mars 2014, la Côte d’Ivoire est en émoi. Awa Fatiga, mannequin de 23 ans meurt aux urgences du CHU de Cocody, dans la capitale. Le manque de soins et l’absence de garantie de paiement sont évoqués dans ce drame qui concerne une jeune femme admise dans le coma après une agression à l’arme blanche. Quand Corinne Maurice apprend la nouvelle, elle est choquée par ce drame, par cette vie qui disparaît alors qu’elle aurait pu être sauvée. C’est ce jour-là qu’elle commence à mûrir l’idée d’un carnet de santé qu’on aurait toujours sur soi et qui indiquerait des coordonnées de proches.
Corinne s’était déjà interrogée sur ce qu’il adviendrait d’elle en cas d’hospitalisation sans être en mesure d’informer le médecin des pathologies dont elle souffre. Elle qui a déjà perdu un oncle diabétique, faute de soins adaptés, prend très au sérieux les risques de traitements contre-indiqués.
Cinq ans plus tard, elle porte nuit et jour son carnet de santé, sous forme de bijou comme les 10 000 personnes qui ont désormais leur Pass Mousso, un bracelet numérique décodable jour et nuit. Un bijou qui consigne son état de santé, ses pathologies, ses allergies et une liste de proches à prévenir en cas d’urgence.
« Petite entreprise »
Avant d’en arriver là, Corinne a dû franchir une longue série d’obstacles. Née à Abidjan en 1980, la petite fille grandit avec pour modèle la journaliste de Cocody FM, la radio branchée, Marie-Catherine Kouassi, « une femme qui prend son destin en main », dit-elle, encore admirative aujourd’hui. « A force d’entendre ma mère et ma tante me répéter que j’avais ses yeux, j’ai eu envie de me construire une vie libre où je décide, comme elle. Et j’aurais aimé le faire dans le journalisme », lance Corinne, aujourd’hui 39 ans et qui en paraît de moins.
Mais ses rêves se brisent et sa vie se complique lorsque, l’année de ses 13 ans, sa mère quitte le domicile familial, lui laissant, en tant qu’aînée, la charge de ses cinq frères et sœurs en plus d’un père défaillant. « Ça n’a pas été facile, résume Corinne, mais rétrospectivement la famille, c’est un peu une petite entreprise », analyse celle qui se démultiplie alors entre la répétition des devoirs des petits et ses études à elle, qu’elle se refuse à lâcher, même si elles sont reléguées à des cours du soir. Un diplôme de droit en poche, « car on est plus sûr de trouver en emploi qu’après une école de journalisme », elle décroche un travail de secrétaire dans une entreprise de sécurité électronique. « Là, ça marche bien pour moi, je gravis vite les échelons et suis bien payée. » Elle donne pourtant sa démission, persuadée que son destin est ailleurs et qu’elle doit créer une entreprise. Elle préfère donc un « emploi jeune » à la Banque mondiale où, en parallèle, elle bénéficie d’une formation. De fil en aiguille, elle se forme au numérique et à l’entreprenariat, certaine que « si l’Afrique a raté la révolution industrielle elle ne peut rater le tournant du numérique ». Et cette aventure, elle en sera, c’est sûr, elle en a depuis longtemps l’intuition !
Bien loin donc de ses premières amours journalistiques, Corinne avance. Elle creuse son sillon et rassemble ses économies. Pour 12 000 euros, une agence lui propose de lancer ce projet de carnet de santé qu’on garde sur soi. Elle paie, mais la proposition est une escroquerie et l’équipe disparaît avec l’argent… Echec cuisant pour la jeune femme qui refuse d’en rester là, et se relève plus convaincue que jamais qu’« on apprend de ses échecs ».
Cette fois pourtant, sa marge est étroite. Elle doit même casser les livrets d’épargne de ses deux enfants pour payer un groupe de développeurs et avancer elle-même sur son projet de bracelet connecté. « Si vous saviez ce que j’ai entendu alors, se souvient-elle. J’étais “une folle” ou a minima “une prétentieuse” pour oser monter une entreprise. En fait, je crois qu’ici on n’aime pas trop les femmes ambitieuses. » Rapidement, elle fait fabriquer « un prototype de bracelet contenant un code personnel qui, sur une appli dédiée, donne accès au dossier médical du patient, explique-t-elle. C’est destiné aux urgentistes ou aux autres médecins et cela leur permet d’avoir accès à un dossier délocalisé et sécurisé ». Aujourd’hui, Corinne Maurice a passé un contrat avec le ministère ivoirien de la santé.
« Gain de temps en cas d’urgence »
Testé dans une clinique d’Abidjan durant sa phase pilote, le bracelet est désormais répertorié dans une vingtaine d’hôpitaux et maisons de soins du pays, utilisé par 200 médecins et porté par 10 000 personnes. « En entrant le code du bracelet, un médecin accrédité trouve l’identité du patient, puis son carnet de santé. Cela permet un gain de temps en cas d’urgence, cela évite des interactions médicamenteuses dangereuses ou des contre-indications et cela permet d’offrir un meilleur suivi si deux médecins s’occupent d’un même patient », ajoute la directrice générale de Pass Mousso. Evidemment, par sécurité, il faut des codes pour ouvrir l’appli et seuls les praticiens peuvent y intégrer des données. La formule permet aussi aux familles d’être prévenues en cas d’accident, un point essentiel aux yeux de la conceptrice.
« Un de mes grands moments de bonheur, souligne la jeune femme qui ne cache pas son émotion, a été la visite au bureau d’une femme qui venait nous remercier, car elle a eu un AVC et sa famille a pu être prévenue grâce à son bracelet. D’autres nous ont raconté comment on a sauvé la vie d’un de leurs proches. »
Corinne Maurice, qui a déjà reçu plusieurs prix, fait partie des 54 élues de Women in Africa (WIA) 2019, une récompense pour les femmes entrepreneurs qui font l’Afrique de demain. A l’automne, elle va lancer son Pass Mousso au Togo, au Niger et au Bénin, où déjà 500 personnes sont précurseurs. Ses défis suivants seront d’élargir la gamme des bijoux pour proposer d’autres modèles que le bracelet, le pendentif ou le porte-clés qui existent déjà en métal ou en plastique (le premier prix est de 3 euros). Viendra aussi l’élargissement des points de vente.
Source : lemonde.fr
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