Moushira Khattab : « Je veux une Unesco forte, transparente, efficace et déterminée »

L'ancienne Ministre Égyptienne chargée de la famille et de la population fait partie des candidats à l'élection pour le poste de Directeur Général de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, les sciences et la culture (UNESCO), dont le scrutin très attendu débute ce lundi 9 octobre. Elle livre ici à La Tribune Afrique sa vision pour le futur de l'institution.

Si vous êtes élue à la tête de l'Unesco, quelles seront vos premières actions?

Si les États me font cet honneur, je vais d'abord réunir les instances dirigeantes de l'organisation et mon équipe qui partagent l'idée qu'il faut mener d'importantes réformes pour que l'Unesco soit plus attrayante, efficiente et mieux entendue. Ces réformes seront portées par les différents secrétariats de l'organisation afin de constituer une force de propositions et des initiateurs de réformes pour renforcer le leadership et la gouvernance de l'Unesco. Il s'agira aussi de renforcer les relations entre les différentes instances de l'organisation pour créer des interactions positives et productives.

Quelles seront les grandes lignes de votre action ?

Ma priorité sera dans la mise en œuvre des décisions prises. L'Unesco dispose de bases solides avec une très bonne constitution et des statuts pour appliquer la Charte de  l'ONU, mais dans les faits nous constatons que l'organisation a du mal à descendre sur le terrain. Je propose donc une série de mesures pour rendre l'Unesco plus efficace et plus proche des réalités. Cette mise en oeuvre devra se faire sans donner une prééminence à une région par rapport à une autre. Nous devons aussi assurer une plus grande synergie et une équité entre les différentes régions.

L'éducation sera également une priorité car elle constitue un droit humain fondamental et une condition à l'émancipation et l'autonomie des individus. L'investissement dans l'éducation est également une nécessité pour défendre la diversité des cultures, promouvoir le patrimoine mondial et développer les sciences. Pour tout cela, il nous faut des gens éduqués.

Le développement des médias et des nouvelles technologies sera également au cœur de mon programme. Il sera basé sur la promotion de la liberté d'expression, la protection de ceux qui transmettent la connaissance, la promotion de la connaissance en faveur de la protection de l'environnement et la lutte contre le changement climatique.

Quels pays, quelles personnalités, quels mouvements soutiennent votre candidature ?

D'abord je veux remercier les mouvements de jeunesse qui appuient ma candidature. Je ne peux aussi cacher ma fierté d'avoir le soutien de la société civile, d'organisations et de gouvernements. Dans tous les pays ou les cercles avec lesquels j'ai pu interagir ou travailler dans le passé durant mon parcours professionnel, je suis soutenue.

Par ailleurs, je suis la candidate de l'Union africaine (UA) et appuyée par de nombreuses personnalités : en premier lieu le Président Alpha Condé et le président de la Commission de l'UA, Moussa Faki Mahamat. Je n'oublie pas le soutien de Jean Marie Ehouzou, Ambassadeur permanent de l'UA auprès de l'ONU. C'est un immense honneur.

Je suis un femme, égyptienne et arabe. Mes soutiens viennent de partout car mes actions en Égypte, notamment dans l'éducation et la lutte contre les discriminations des filles, et mes engagements universels pour les droits de l'Homme donnent du crédit à ma candidature.

Une règle non écrite voudrait qu'un candidat d'un pays arabe prenne la direction de l'Unesco. Vous souhaitez que votre candidature soit universelle, pensez-vous que cette règle soit un avantage ?

Je crois que mon premier atout est d'être connue pour mon engagement à travers le monde. Je suis une citoyenne du monde qui a travaillé partout. J'ai toujours été une avocate des droits de l'Homme. Je me considérerai toujours comme une militante du mouvement mondial pour faire évoluer les droits.

Ensuite, les Arabes ont le droit d'être entendus. En tant que femme musulmane, je porte les aspirations et les préoccupations de millions de personnes, dans le monde arabe mais aussi de l'espace africain et méditerranéen, qui rejoignent les aspirations et les préoccupations d'autres continents. Le village est à présent planétaire.

Je veux enfin partager mon expérience et apprendre des autres. Je veux aussi contribuer au combat pour la promotion d'une paix mondiale et d'une prospérité partagée. Je mettrai un point d'honneur à répondre aux aspirations des personnes pour lesquelles l'Unesco a été créée.

Vous voulez une Unesco plus proche de la société civile et des jeunes. Est-ce que le mode de gestion de l'organisation doit changer ?

L'Unesco gagnerait à mieux faire connaître son rôle et ses missions. En Égypte comme dans tous les pays où je me suis rendue, les personnes que j'ai rencontrées parlent de l'Unesco sur la base de sa réputation internationale mais pas assez pour les actions menées. C'est dommage. Il faut être plus proche du terrain et dire aux gens ce que l'on fait concrètement pour l'éducation, la culture et les sciences.

Le succès de l'Unesco serait indéniable si elle focalisait aussi ses actions autour de la protection des personnes les plus vulnérables et les plus marginalisées. Ces défis ne pourront pas être relevés par les gouvernements seuls. Il faut tendre la main à la société civile qui souvent porte la parole de ces personnes en difficulté.

Quant à la jeunesse, elle représente le segment le plus important de la population. Ce sont les jeunes qui créent les tendances, diffusent la culture et portent le changement. L'Unesco doit donc être plus présente aux côtés de la jeunesse pour l'encourager à porter des plaidoyers, préparer son leadership, accéder à l'information, développer son autonomie de pensée...

L'Unesco, c'est aussi la question cruciale de son financement. Quelles solutions proposez-vous ?

Je me présente à l'Unesco avec des réalisations concrètes sur le terrain avec des financements que je suis parvenue à obtenir. Je prends pour exemple la construction de 2 200 écoles en Égypte pour des jeunes filles vivant dans des zones d'extrême pauvreté mais aussi la lutte contre la violence faites aux femmes et le combat pour criminaliser les mutilations génitales.

J'ai mené ces actions en convaincant des partenaires et des donateurs, en mettant en avant la crédibilité et la transparence.

C'est cette manière de travailler que je veux appliquer à l'Unesco. Mon expérience avec des partenaires multiples, notamment dans le secteur privé, pourra servir. Au Bureau international des droits des enfants, j'ai également pu constater qu'il était essentiel d'associer et d'impliquer le secteur pour rendre effectif les droits de l'Homme, avec une vision claire et dans le respect des principes éthiques. Au même titre de celle des États, la contribution du privé sera essentielle.

En Afrique particulièrement, vous serez attendue sur le dossier du patrimoine menacé notamment la restitution des biens culturels au Bénin, les sites menacés par le terrorisme en Libye et d'autres menaces d'ordre naturel. Comment allez-vous gérer ces problématiques africaines ?

L'Afrique a toujours été une priorité pour l'Unesco, ainsi que la protection du patrimoine. La restitution du patrimoine culturel est un droit pour chaque pays membre de l'organisation.

Mon rôle sera de répertorier les demandes et je ne ménagerai aucun effort pour mener des médiations sur les contentieux entre les États.

Quel pourrait être votre dernier argument pour convaincre de vous porter à la tête de l'Unesco ?

Le monde est à un moment critique de son Histoire. Aujourd'hui plus que jamais, il a besoin de l'Unesco. Je me porte candidate avec un mélange unique d'expériences en tant que diplomate de carrière, en tant qu'experte qui a travaillé pour plusieurs organisations internationales dont l'Unesco, en tant que Ministre, en tant qu'avocate des droits de l'Homme, avec à chaque fois des combats et des actions de terrain.

Je veux une Unesco forte, transparente, efficace et déterminée pour contribuer à bâtir la paix et la prospérité dans le monde.

 

Source : afrique.latribune.fr