Danielle Bougaïré, DG/RTB : "Il y a des têtes que le public ne veut plus voir à l'écran "
Considérée comme la première directrice générale de la Radio télévision du Burkina (RTB) recrutée sur test, la Dr Marie Danielle Bougaïré/Zangréyanhogo hérite, depuis le 5 janvier 2015, d'une maison en pleine reconstruction suite aux saccages lors de l'insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Ses ambitions, ses craintes mais aussi ses espoirs, c'est dans l'interview qui suit, réalisée le vendredi 23 janvier 2015 au siège de son institution.
Vous venez d'être portée récemment à la tête de la RTB, comment se passe votre baptême du feu ?
Pour un baptême du feu, c'en est vraiment un; je savais qu'il y avait beaucoup de problèmes dans la maison mais je n'en mesurais pas l'immensité. Là, il y a beaucoup de choses à refaire, à régler. J'ai pris le soin de regarder les dossiers restés en suspens notamment ceux qui font des gorges chaudes dans la maison. Ensemble avec les techniciens, les délégués du personnel, les syndicats, nous trouverons les solutions appropriées.
Et quels sont ces dossiers qui semblent poser problème ?
C'est d'abord la coupure des frais de production depuis 3 ans. En rappel, c'est sous Tertius Zongo qu'un texte avait été adopté, lequel suspendait également les perdiems au niveau des différents séminaires organisés à Ouagadougou. Du coup, les travailleurs se sont retrouvés du jour au lendemain sans motivation; désormais dans les décisions, il est nécessaire que l'on tienne compte du statut spécifique de la RTB. Certes, nous sommes un EPE mais pas un EPE comme les autres. Lorsqu'on demande à un journaliste de créer, de concevoir une émission, en dehors des reportages quotidiens, il se retrouve dans un engrenage qui lui impose une occupation supplémentaire et une pression plus forte; si les moyens adéquats ne sont pas alloués pour accompagner cette dynamique en termes de motivation, mais aussi pour une meilleure production de l'émission, les résultats ne peuvent pas être à la hauteur des attentes. Je suis en train de voir avec notre ministre de tutelle ainsi que celui délégué au Budget pour remettre le train en marche.
Vous êtes la première DG/RTB recrutée après un test. Qu'est-ce qui a fait la différence d'avec les autres ?
Je ne saurais vous le dire; c'est vrai que dans ce processus on avait besoin d'une short-list de trois personnes et j'en faisais partie; le dernier choix revenait au ministre de tutelle, même au Premier ministère ; ce sont les responsables qui ont fait leur choix. Ils sont donc les personnes appropriées pour donner les éléments qui ont favorisé ma désignation. Mais en toute humilité, je me dis que certainement je répondais plus au profil recherché...
Vous arrivez à la suite d'une insurrection populaire ; c'est une pression supplémentaire pour vous ?
Bien sûr! Le contexte est particulier. Aujourd'hui, les gens sont regardants sur la gouvernance au sein des différentes structures. Il y a une immense attente de la part du public. La RTB a été saccagée pour des raisons non seulement politiques mais aussi pour le traitement du contenu des informations. Nous sommes dans un contexte spécifique et nous devons apporter des réponses spécifiques. Nous allons revoir notre copie pour rendre à nouveau la RTB attrayante; le toilettage du contenu s'impose car il y a aussi la concurrence.
Quels sont justement vos priorités au stade actuel ?
C'est d'équiper convenablement la RTB, car ce ne sont pas les ressources humaines seulement qui posent problème. La qualité des images n'est pas au rendez-vous; la preuve, avec cette CAN, je constate que beaucoup préfèrent aller sur une autre chaîne télé d'un pays de la sous-région. Cette situation est très frustrante. Ce n'est pas avec le budget de la RTB que l'on pourra relever le défi car, comme vous le savez, beaucoup de matériels ont été volés. Il y a aussi un souci au niveau de la maîtrise de certains équipements; par exemple, nous avons vu du matériel entreposé et non utilisé parce que la manipulation s’avère difficile pour nos techniciens; le besoin de renforcement des capacités est donc bien réel.
Et quid des élections à venir ?
Nous sommes en train d'acquérir des équipements mobiles pour faciliter la couverture de ces scrutins majeurs pour notre pays qui va connaître une animation particulière; avec aussi une bonne organisation interne, nous pensons pouvoir répondre aux différentes attentes.
La RTB, sutout la TNB, était réputée être un nid d'affairistes où certains s'occupaient de leurs propres affaires pour ne pas dire leur agence de com. au détriment de la chaîne...
Je suis en train de réflechir à cela; je pense que nous allons faire comprendre à ces gens-là qu'il faut faire un choix: soit on est dans la maison et on l'aide, soit on est dehors et on reste dehors. Au stade actuel, je n'ai pas encore tous les éléments pour apprécier mais je suis informée des différents agissements; et connaissant un peu la maison, je sais que ces pratiques existent...
Y a-t-il un bilan chiffré de l'ensemble des dégâts ?
Pour l'instant, il sera difficile de donner un bilan exact; ce qui est disponible en ce moment c'est le point des différentes contributions.
A combien se chiffrent donc ces différentes contributions et à quoi vont-elles servir ?
En cash, nous avons eu autour de 19 millions de FCFA. Les autres dons sont composés, entre autres, de fournitures de bureau, de matériel informatique, de climatiseurs, etc. On n'a pas encore fait le bilan de ce qu'on a pu affecter aux différentes directions. Ce que je dois aussi souligner, c'est l'appui de la LONAB à hauteur de 54 millions. Nous sommes en train d'acquérir des équipements avec ce fonds. L'ambassade de Chine Taïwan a également fait don d'une enveloppe de 500 000 euros (environ 333 millions de FCFA). Un appel d'offres a été lancé pour des équipements spécifiques à la télé et à la radio.
Des travailleurs ont vu également leurs biens emportés ou abîmés, seront-ils dédommagés ?
C'est vrai ; quand je suis arrivée, j'ai vu ce dossier. Nous allons donc nous atteler à dédommager ces personnes qui utilisaient ce matériel (IPAD, ordinateurs, etc.) pour leur travail. Déjà que la situation des journalistes n'est pas aussi rayonnante, il ne faut pas les tirer davantage vers le bas.
A peine la passation faite, un de vos premiers actes majeurs a été la revocation du rédacteur en chef de la télé; qu'est-ce qui explique une telle réaction spontanée?
Certains m'ont reproché ça; mais sachez que j'aime bien Adjima car c'est un journaliste très compétent; seulement, ce que je n'ai pas supporté chez lui et même chez d'autres personnes d'ailleurs, c'était leurs accointances avec le politique. J'ai voulu aussi, par cette décision, marquer les esprits. J'ai suivi les événements, l'opinion publique également; j'estime que de tels actes sont inadmissibles pour notre profession.
A leur décharge, avaient-ils vraiment le choix quand on sait que les médias de service public, la télé en particulier, ont toujours été des instruments au service du parti au pouvoir ?
Je suis d'accord avec vous mais si vous avez aussi remarqué, il y a des journalistes qu'on a mis sur la touche parce que ces derniers ont eu le courage de s'exprimer, de refuser ce qui ne doit pas être fait dans ce métier. Pourquoi eux ils ne l'ont pas fait; c'est ce qu'on reproche aux députés du CDP qui se sont laissés embarquer sans réagir. Chacun dans sa vie doit pouvoir prendre des décisions responsables en harmonie avec sa conscience et les devoirs de sa profession.
Puisque certains ont été vus et perçus comme des relais du régime passé pour ne pas dire des militants, quel sort allez-vous leur réserver ?
Avant de révoquer les directeurs, j'ai estimé que ce sont avant tout des confrères, et en dehors de ceux qui se sont affichés, je les ai rencontrés pour échanger avec eux sur ma nouvelle vision. Les portes ne sont pas totalement fermées car le ministre a essayé de voir comment certaines personnes peuvent l'épauler aussi. Ceux qui veulent rester au sein de la Rédaction et reprendre des émissions sont également libres. Seulement, nous tenons compte aussi du contexte que vous avez évoqué tout à l'heure car il y a des têtes que le public ne veut plus voir à l'écran. Et on nous interpelle tous les jours en ces termes: "qu'est-ce que vous attendez pour enlever telle ou telle personne?".
Alors, n’y a-t-il pas aussi danger de céder à des injonctions qui peuvent aussi influer sur la cohésion dans la maison RTB ?
Mon objectif, ce n'est pas de mettre un journaliste sur la touche puisqu'il a été formé pour officier dans les médias; il faut même revoir les choses car si vous voyez l'effectif de la télé, il est vraiment pléthorique; on ne sait pas qui fait quoi; il y a juste une poignée de personnes qui travaillent et les autres, souvent, sont dans la nature. Nous allons donc travailler à ce que tout le monde mette la main à la pâte. Avec la Télévision numérique terrestre (TNT), la concurrence sera rude et la RTB doit se battre pour conserver sa place de leader.
Quand la TNB pourra-t-elle retrouver son lustre d'antan ?
Mon ambition, c'est que d'ici la fin de la Transition, les choses aient bougé; qu'au bilan de la Transition, que l'on puisse dire avec satisfaction ce que la RTB a pu enregistrer comme évolution de la structure mais surtout en termes d'amélioration significative du contenu des informations.
Vous avez nommé les directeurs de la radio et de la télévision; à quoi répondent de tels choix ?
Mon premier souci, c'est d'avoir des jeunes dynamiques qui puissent m'aider à relever le défi. J'ai pensé à Louis Ouezin Oulon à la télé parce qu'il a des atouts. Il a aussi déjà dirigé la radio; c'est vrai que nul n'est parfait, mais ce qu'il a eu à la radio comme résultats me satisfait amplement. Quant à Evariste Combary, c'est quelqu'un, pendant les moments difficiles, qui s'est battu pour garder cette dignité de la profession. Cela m'a marqué du fait qu'il s'est démarqué de tous ceux qui se sont compromis. Si un journaliste a ces valeurs, le reste peut suivre. Evariste, en plus de son dynamisme, a de bonnes idées qu'on peut capitaliser pour le rayonnement de la Radio. Les rédacteurs en chef sont aussi désormais connus: à la télé, c'est Jérémie Sié Coulibaly et à la radio, Harouna Sana.
A un moment, des journalistes tels Caroline Ouanré et bien d'autres ont été écartés pour diverses raisons; que s'est-il passé réellement ?
Pour Caroline, je ne sais pas ce qui s'est réellement passé; mais je me rejouis de son retour car c'est une excellente présentatrice et ce fut un gâchis de l'avoir écartée à un moment donné. Elle est très ambitieuse aussi parce qu'elle m'a déjà fait des propositions d'émissions. Je sais que je peux compter sur elle.
Maïmouna Dao, ensuite Mariam Vanessa Touré aux finances de votre institution, toutes les deux d’excellentes présentatrices; est-ce qu'une telle réconversion ne porte pas un coup à leur carrière, même si cela est perçu comme une promotion ?
Vous savez que Vanessa, depuis quelques temps, est à Abidjan. Entre rester là-bas et venir nous apporter un appui à la direction commerciale, le choix est évident. En plus, ça lui permet de revenir dans la maison, d'apporter sa contribution. Dans tous les cas, chacun peut, à tout moment, repartir à la Rédaction; je ne vois aucun inconvenient.
En juin 2015, en principe, c'est le passage à la TNT. Serez-vous au rendez-vous ?
La TNT a été confiée à une direction. A notre niveau, nous pensons, selon les informations reçues de nos services techniques, être prêts en juin. Nous sommes en train de mobiliser des fonds additionnels pour cela.
Autre fait important, c'est l'absence de l'animatrice vedette de Faso Academy à la dernière édition de l'émission; apparemment, elle semble avoir été écartée...
Je n'ai pas connaissance des problèmes au niveau de cette émission; mais vous faites bien de m'interpeller. Je me demande si cela n'est pas lié au fait que Maguy a obtenu un poste à Air Burkina. Dans tous les cas, je vais m'imprégner davantage sur cette situation; au-delà de cela, toutes les émissions seront évaluées pour les améliorer; si cela doit passer par le changement des hommes, on le fera.
Si vous deviez faire un plaidoyer pour la RTB, quel serait-il ?
En fait de plaidoyer, je veux surtout lancer un appel à tout le peuple burkinabè pour qu'il soutienne la RTB parce que c'est un outil de communication qui nous permet d'avancer, non seulement dans la démocratie, la bonne gouvernance, mais aussi le développement. Nous allons jouer comme il faut notre rôle de service public afin que toutes les opinions soient toujours prises en compte. En contrepartie, nous demandons aux partis politiques, à la société civile, de nous comprendre par moments, en nous accompagnant convenablement. Seul, on ne peut relever le défi; il est immense. Que l'on puisse aussi travailler de manière sereine et que nous ne soyons plus la cible de manifestants.
Bio express
Danielle par Danielle
Si Danielle Bougaïré née Zangréyanogho (52 ans) est une journaliste confirmée, on ne peut pas pour autant dire qu'elle est connue du grand public. Quand nous lui avons demandé de se présenter à ceux de nos lecteurs qui ne la connaîtraient pas, voici ce qu'elle a répondu.
Je pensais être plus connue que ça (rires). Après mon BAC, je me suis retrouvée d'abord à l'INAFEC (Institut africain d'éducation cinématographique) d'envergure sous-régionale...Beaucoup de réalisateurs, de cinéastes et d'autres acteurs du monde du cinéma ont fait leurs armes dans cet institut. Malheureusement, sous la révolution de 1983, j'ai vu ma bourse coupée à l'INAFEC alors qu'après la troisième année, il fallait poursuivre les études en France. J'ai dû faire le SND avant de me retrouver au Fespaco. En 1988, dans le cadre des mesures nouvelles qui ont permis un recrutement massif au niveau des médias, j'ai été recrutée et envoyée à la DASL (La Direction des arts du spectacle et des lettres), dirigée à l'époque par feu Jacques Prosper Bazié. Je suis allée, par la suite, à la DAMA, l'équivalent aujourd'hui des DCPM, où je m'occupais du volet Communication. De là, je suis partie à la Radio. Plus tard, il y a eu des mesures de réhabilitation en faveur de tous ceux qui avaient été sanctionnés sous la révolution; j’ai de ce fait bénéficié d'une bourse qui m'a permis d'aller à Paris faire ma maîtrise. A mon retour, j'ai réintégré la radio; quelques temps après, j'ai eu la chance d'obtenir encore une autre bourse pour le PhD aux Pays-Bas. Cette bourse c'était dans le cadre d'une coopération entre l'université de Groningen des Pays-Bas et l'Université de Ouagadougou (UO) avec pour objectif de renforcer le corps enseignant; Quand je suis rentrée en 2004, j'ai intégré le département de Communication & Journalisme de l'UO.
Source: lobservateur paalga
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