Reni Folawiyo, l’alchimiste de la création africaine haut de gamme

Reni Folawiyo mène toujours grand train dans les soirées mondaines de Lagos. Mais ce n’est plus ce qui la fait rêver. Elle ne le dit pas comme ça, mais on sent bien que la vie fastueuse et superficielle des femmes de millionnaires nigérians l’ennuie. Le luxe tapageur des nantis de Lagos et de leurs demeures à colonnades à la décoration rococo l’exaspère. Elle, l’icône du bon goût et du raffinement africain, se sent parfois incomprise dans son univers de jet-set nigériane pour qui le comble du luxe se trouve dans les boutiques de Paris, Londres ou New York. Cette quinquagénaire élégante, épouse du millionnaire Tunde Folawiyo, est à la fois avocate, designer d’intérieur et femme d’affaires.

 Ces dernières années, elle est devenue la chef de file d’une nouvelle tribu urbaine de Lagos dont le portrait-robot pourrait être celui-ci : jeune, raffiné, « arty», aussi à l’aise dans le village de leurs aînés qu’au cœur des bidonvilles ou dans un cocktail chic de la capitale. Dans ce milieu, on méprise les poncifs réducteurs du genre « afropolitain », « afro-tendance »… Souvent diplômés d’universités anglo-saxonnes, la plupart sont rentrés au Nigeria pour capter cette énergie de Lagos, faire des affaires et raviver une scène artistique snobée ou ignorée par les oligarques.

« Le luxe occidental excite les gens de mon âge, mais c’est désormais l’art qui stimule cette nouvelle génération de Lagos, un art africain contemporain, affirme Reni Folawiyo. Ils n’ont plus de complexe, veulent être ce qu’ils sont, des Africains moderne. Pour eux, la banque ou le pétrole appartiennent à l’ancien monde. Ils veulent renouveler la création africaine et la porterdans le monde entier. » 

Sa « galerie d’art »

A sa manière, elle réunit ces deux mondes de privilégiés au sein d’Alara. La presse décrit ce lieu qui a ouvert ses portes à Victoria Island en 2015 comme le « concept-store le plus branché d’Afrique ». C’est un petit bâtiment cubique aux épais murs noirs percés de baies vitrées couvertes de motifs ocre puisés dans l’esthétique yoruba. Une œuvre signée de l’architecte britannique d’origine ghanéenne David Adjaye. Aux antipodes de projets démesurés tels que le Sky Gallery, centre commercial de Luanda dédié au luxe.

A l’intérieur d’Alara, Reni Folawiyo met en scène sur trois étages des pièces de stylistes, joailliers, artistes, designers d’Afrique et d’Occident. C’est sa « galerie d’art », comme elle dit. Des escarpins Yves Saint Laurent et des robes Lanvin côtoient des créations audacieuses et subtiles de l’Ivoirienne Loza Maleombho ou de la Nigériane Amaka Osakwe, créatrice de la marque Maki Oh.

Dans la cour, à l’ombre de palmiers, un joli bar en fer forgé de l’artisan sénégalais feu Baay Xaaly Sene est devenu l’un des lieux de rendez-vous branchés de Lagos. Les tables, les chaises et les trônes en tissus tressés aux couleurs vives réalisés par des artistes togolais et maliens sont à vendre, « prix sur demande ».

Reni Folawiyo les a dénichés sur les marchés ou dans les ateliers d’artisans qu’elle a repérés au cours de ses nombreux voyages sur le continent. Avec un faible pour le Sénégal, où elle se dit fascinée par une « créativité brute et purement africaine » qui fait fi des influences occidentales. Elle aime à glaner des produits et créations sur les marchés d’Afrique qu’elle met ensuite en valeur chez Alara, avec le même soin qu’un produit de luxe. Face au bar, il y a le restaurant aux murs ornés de photo d’art, Nok by Alara, qui ne désemplit pas. Reni Folawiyo a confié la carte au célèbre chef sénégalais établi à New York, Pierre Thiam. 

Apôtre du luxe « made in Africa »

« Si je vends aussi du Yves Saint Laurent et des chemises pour hommes de grandes marques européennes, c’est que mes clients le veulent, dit-elle. Ce n’est pas ma priorité, car ce qui m’intéresse, c’est de dénicher, mettre en valeur et promouvoir des créateurs africains ». Elle s’interrompt, passe en revue des wax, des bijoux touareg et des pièces Laurence Airline de la créatrice Laurence Chauvin-Buthaud, installée à Abidjan. Puis elle lâche : « Le luxe, ce n’est pas de porter des habits chers, c’est d’acheter à un prix parfois élevé des créations qui changent la vie des gens et font avancer une cause. »

Elle tente vaille que vaille de sensibiliser ses clients fortunés et les curieux qui se précipitent dans sa bulle de luxe et d’art à ce « made in Africa » haut de gamme. Une sorte d’évangélisation que Reni Folawiyo entreprend comme une sociologue de terrain qui observe l’évolution des mœurs et la mutation de cette mégapole dont nul ne sait plus vraiment combien d’habitants y vivent.

Lagos est une sorte de synthèse désordonnée de la multitude de rapports économiques décryptant ce « décollage » de l’Afrique. Il y a cette bourgeoisie débordante de pétrodollars parfois détournés des caisses publiques, une élite besogneuse et entrepreneunante, une classe moyenne émergente et beaucoup de gens qui vivent avec moins d’un dollar par jour.

Un patchwork qui intrigue les grandes marques occidentales, désireuses de profiter d’une croissance de près de 6 % et d’un marché vaste de 184 millions d’habitants. Toutefois, dans le secteur de la mode, seuls Hugo Boss et Ermenegildo Zegna ont franchi le pas. Et, en ce début d’année 2016, la première économie d’Afrique se révèle fragilisée par la chute des cours desmatières premières.

Dans ce contexte, Reni Folawiyo fait figure d’exception, un « ovni » culturel et entrepreneurial, comme elle dit. Elle aménage un espace pour recevoir des artistes en résidence, prépare le lancement en septembre d’un site de vente en ligne pour satisfaire des clients africains jaloux qu’Alara ne soit présent qu’à Lagos. Et elle songe à créer un autre concept-store à Abidjan, capitale économique de la Côte d’ivoire qui a enregistré une croissance de 10,3 % en 2015. Mais Reni Folawiyo ne se soucie guère des tendances économiques qui n’affectent pas vraiment sa clientèle.

 

Source : lemonde.fr