Diaryatou Bah, du traumatisme à l'engagement
Avec un grand sourire Diaryatou Bah, jeune femme d’origine Guinéenne, accueille le visiteur dans son bureau de Ni putes ni Soumises à Paris. Elle revient pourtant de loin. Le récit de sa vie de petite fille excisée au village, mariée à 13 ans, exilée en Europe et victime de violences conjugales, on m'a volé mon enfance'' est un magnifique exemple de résilience : du traumatisme à l’engagement contre l’excision, elle explique son combat.
C’est en regardant la télévision, un beau jour de 2003, que Diaryatou a décidé de prendre sa vie en main. Sur l’écran, une femme, immigrée africaine comme elle, racontait comment elle avait réussi à échapper au quotidien de la violence conjugale. Elle a compris que puisque d’autres avaient réussi à s’en sortir, elle aussi pouvait en trouver le courage.
Née dans un petit village de brousse, illettrée, Diaryatou avait été donnée par un mariage arrangé à un homme de trente ans son aîné qu’elle a suivi en Hollande, puis en France. Isolée dans un monde hostile, enfermée et battue par son mari polygame, violée à répétition, son parcours sera difficile. Après un temps d’errance, c’est grâce à une assistante sociale et des associations de femmes qu’elle est devenue peu à peu ce qu’elle est aujourd’hui : formatrice sur la prévention des conduites à risques dans les collèges et lycées de la région parisienne.
L’excision ? Ce n’est qu’à l’âge adulte que Diaryatou a pris conscience que le traumatisme dont elle se souvenait, la coupure de son clitoris effectuée à six ans dans un champ d’herbes par la « sorcière » du village, suivi de longues semaines de souffrances et de saignement, loin d’être normal, était en fait une mutilation. Après la prise de conscience de ce manque insupportable, en souvenir aussi des femmes de sa famille au destin soumis à la tradition, elle s’est transformée en militante engagée pour l’abolition de cette pratique.
Un rite obligatoire pour devenir femme
« On m’a volé mon enfance », Diaryatou Bah, éditions Anne Carrière, 2006.
« Je suis moins aujourd’hui dans la colère. Pourtant, quand je repense à ce que j’ai vécu, c’est la façon dont l’excision est faite qui m’a marquée : on m’a tenu les mains et les pieds, on m’a fait souffrir, on a voulu me cacher le visage avec des feuilles, mais je me débattais. Le couteau, il est là, dans ma tête. Je ne peux l’oublier ! En même temps, mes sentiments étaient partagés, car on nous la présentait comme un rite obligatoire pour devenir une vraie femme, pour être comme les autres. La douleur insupportable, ça faisait partie de la vie…Dans mon pays, en Guinée, 90% des filles sont excisées, donc au village, c’était la règle, il était impossible d’imaginer autre chose. »
« En France, avec l’aide d’une psychologue, j’ai pu revenir sur tout ça, en parler, comprendre ce qui m’était arrivé. J’ai pourtant rencontré l’incompréhension de nombreux travailleurs sociaux lorsque je leur disais que je ne savais pas jusqu’à récemment que j’avais été excisée. Mais il faut comprendre que l’excision, et encore plus la sexualité, est un tel tabou en Afrique, qu’il était tout à fait hors de question d’en parler, même entre amies. C’est pourquoi, après la parution de mon livre, j’ai voulu retourner en Guinée pour intervenir à la radio ou la télévision contre à la fois l’excision et les mariages forcés, ces traditions que subissent les femmes. Figurez-vous que lorsque j’évoquais l’excision, c’est le journaliste qui était gêné ! Je lui répondais : Mais c’est moi qui ai été excisée, pas vous ! »
Oser parler
« Il faut oser en parler, c’est le premier pas. Après, il est évident que l’éducation est essentielle, pour prendre le problème à la racine, car tant que tout est fait pour maintenir les femmes dans l’ignorance, elles continueront à transmettre ces traditions sans réfléchir. Ce n’est que quand le cerveau apprend à réfléchir qu’il y a possibilité de choix ; lorsque mon esprit a commencé à travailler j’ai pu réaliser que l’excision était injuste, anormale et qu’elle avait gâché ma vie de femme ! Mais comment en vouloir à ces femmes qui perpétuent un système dont elles ont hérité ? Il faut en vouloir à la société, qui ne veut pas leur ouvrir les yeux ! »
Des exemples de femmes immobilisées par la crainte du « qu’en dira-t-on », par la force de l’habitude, Diaryatou en connaît : tout son entourage resté au pays, ses sœurs et ses cousines, sa mère la première qui ne manquait pas de lui dire, lorsqu’elle était victime de violences dans son couple, qu’elle ne devait pas être une assez bonne épouse… Mais elle a aujourd’hui compris qu’il faut aussi faire comprendre aux hommes où est leur intérêt. « Les hommes aussi sont concernés, car ils ne se rendent pas compte que leur sexualité serait différente avec des femmes non-excisées ! Il faut aussi leur faire réaliser combien l’excision fait mal à leurs filles, ce dont ils ne sont souvent pas informés, puisque tout cela se fait dans le secret».
Aujourd’hui, dans le cadre d’une association qu’elle a créée à Montreuil où elle vit maintenant, Espoirs et combats de femmesn Diaryatou Bah organise des groupes de discussion pour informer et faire réfléchir sur l’excision, et sur son éventuelle réparation chirurgicale. « Chaque femme est différente, c’est pourquoi certaines vont vouloir être opérées, d’autres non. Moi-même, j’y réfléchis encore. Il n’y a pas que le côté physique, il faut travailler sur le psychisme. La reconstruction ne se fait pas du jour au lendemain… ». A l’image de Diaryatou, les femmes africaines ont un long chemin devant elles.
Source : www.excisionparlonsen.org
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