Roukiata Ouedraogo, humoriste et chroniqueuse
Pétillante comédienne burkinabè installée en France, Roukiata Ouedraogo a presque dix ans de carrière. Elle a déjà écrit trois spectacles, tourné en Afrique et en France, participé à l'émission Le Parlement du rire sur Canal+ Afrique. Depuis avril, elle tient une chronique sur France Inter. On la retrouve au Point Virgule à Paris où elle joue son spectacle tout l'été. Titre choisi : Roukiata tombe le masque. Pour elle, être à l'affiche de cette célèbre salle où tant de grands humoristes ont commencé (Florence Foresti, Élie Kakou, Pierre Palmade...), c'est un rêve qui se réalise. Avec son nouveau one-woman-show, Roukiata Ouedraogo s'amuse avec malice des différences culturelles, raconte ses difficultés de comédienne africaine à Paris, et, entre rire et émotion, aborde des sujets plus sombres comme l'excision.
Le public vous découvre. Vous êtes nouvellement à l'affiche du Point Virgule, et vous tenez une chronique sur France Inter depuis le printemps. Quel est votre parcours ?
'ai quitté le Burkina Faso à 20 ans pour venir à Paris étudier le stylisme. Mais, comme je le raconte dans mon spectacle, une conseillère d'orientation ou plutôt de « désorientation » m'a découragée. Je n'étais pas une fille de riches pour pouvoir payer l'école. Elle m'a conseillé de m'orienter vers le social. Mais, moi, j'ai toujours voulu faire de l'art ! Alors, j'ai étudié dans une école de maquillage et travaillé pendant douze ans en tant que maquilleuse. Pour moi, c'est vraiment un art. Il ne s'agit pas juste d'embellir les gens, on compose, on illumine, on exalte... Mais ça ne me suffisait plus. J'ai vécu deux deuils douloureux. J'ai perdu successivement mon frère et mon père. Ils faisaient du théâtre amateur au Burkina. J'ai alors eu le déclic de devenir comédienne, peut-être pour me rapprocher d'eux. J'ai fait un stage au Cours Florent et je suis directement passée en deuxième année. Depuis, j'écris mes spectacles, je me démène pour qu'ils tournent, je passe des castings… La vraie vie de comédienne, loin des strass et des paillettes !
Seule à Paris, à 20 ans, loin de votre pays et de vos proches, ça n'a pas dû être simple. Qu'est-ce qui vous a aidée à vous accrocher, à percer dans ce métier jugé difficile, fermé ?
Écrire et jouer mon premier spectacle Yennenga, l'épopée des Mossé m'a beaucoup aidée, et le choix de raconter cette histoire n'était pas anodin. Déjà, c'était un hommage à mon pays, car c'est l'un des principaux mythes fondateurs du Burkina. Yennenga est une héroïne, une princesse amazone du XIe siècle qui s'est affranchie du destin qu'on avait décidé pour elle. Elle serait à l'origine du peuple des Mossi. Mon nom de famille, « Ouedraogo », signifie étalon en langue mooré, en référence au cheval de Yennenga qui l'a entraînée vers des terres inconnues. C'est là qu'elle rencontre Rialé et a un enfant avec lui qu'elle nomme Ouedraogo. Cette femme serait donc mon illustre ancêtre. C'était un honneur de conter son histoire ! Yennenga incarne la femme dans toute sa splendeur, courageuse, qui renonce à son statut social pour aller vivre sa propre vie, quel qu'en soit le prix. C'est un combat d'émancipation, un modèle pour les jeunes femmes d'aujourd'hui. Quand je l'ai joué à Ouagadougou, beaucoup de gens m'avaient prévenue : attention, tu t'attaques à un mythe, personne n'a réussi à faire un film ou une pièce de cette histoire ! C'est un sujet sensible ! Mais le spectacle a été très applaudi, salué.
Dans votre nouveau spectacle, vous arrivez à la fois à faire rire et à émouvoir sur votre expérience personnelle de l'excision...
Même si je ne fais pas de politique, j'essaie toujours de faire passer des messages, de parler de sujets qui me touchent. Je m'intéresse à l'excision, je l'ai moi-même subie. J'aurais pu en faire une pièce dramatique, mais je n'avais pas envie de crisper le public, de plomber l'ambiance. Pourquoi ne pas l'intégrer dans mon one-woman-show ? Car je ne peux pas ne pas en parler, ça fait partie de moi, et je veux alerter les gens. Toutes ces femmes qui le subissent encore aujourd'hui, et même des bébés, des enfants ! Tout ça pour la tradition… Pour beaucoup, c'est normal ! Des hommes disent : « L'excision, c'est pour que la femme n'aille pas voir ailleurs. » Mais c'est à l'homme de se tenir bien pour que sa femme n'aille pas voir ailleurs ! Et donc une fille pas excisée serait plus frivole ? ! C'est n'importe quoi, ça me révolte ! Quand on est excisée, on a honte, car on n'est pas comme tout le monde. Au pays, on n'en parle pas. Mais quand on est enfant, on en est fière et celles qui ne le sont pas sont considérées comme sales… On nous met ces idées dans la tête dès l'enfance ! Et j'aimerais même aller plus loin sur le sujet. Raconter les questionnements d'une femme excisée sur le choix de se faire réparer ou non. Une intervention chirurgicale qui peut bouleverser son rapport à son corps, à son couple, à sa sexualité…
Vous parlez aussi des difficultés d'être une comédienne africaine en France...
Oui, on nous propose souvent les mêmes rôles : la prostituée, l'infirmière, la mama… Moi, je veux bien jouer une prostituée, mais il faut qu'il y ait un personnage à défendre, avec une histoire, pas un stéréotype ! Et j'ai loupé des films à cause de mon accent. On me conseillait de le travailler, et je passais des castings en le gommant, mais ce n'était pas moi ! Donc, ça ne marchait pas. J'ai entendu dernièrement un commentaire quant à ma chronique à la radio : « C'est quoi, cet accent ? ! France Inter va chercher Michel Leeb ! » Maintenant, je m'en fiche, je parle comme je suis, et je le revendique !
Comment vos one-woman-shows sont-ils reçus en Afrique ?
Il y a des spectateurs admiratifs de voir une femme seule en scène, avec tout le travail qu'il y a derrière aussi. Un jour, au Burkina, un journaliste m'a demandé comment j'arrivais à monter sur scène, alors que les femmes burkinabè sont d'habitude introverties… Quel cliché ! Je ne suis pas plus exubérante qu'une autre, et elles ne sont pas introverties !… Souvent, en Afrique, quand une femme est sur scène, on se dit « Oh là là ! Celle-là, son mari doit souffrir ! » Mais ce sont des préjugés. Il faut que les gens nous prennent au sérieux. Après un spectacle à Ouagadougou, un monsieur est venu me voir et m'a dit : « Bravo ! Grâce à vous, je vais laisser ma fille faire du théâtre. Pour moi, ce n'était pas un métier de femme, ce n'était même pas un métier ! » Ça fait très plaisir de faire évoluer un peu les mentalités et de rendre les gens heureux ! C'est aussi pour ça qu'on fait ce métier, pour véhiculer des messages, pour donner au public, et on reçoit beaucoup aussi. Ce n'est pas seulement pour soi, sinon, je resterais jouer à la maison ! Je soigne les gens avec le rire.
Source: afriquelepoint.fr
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