Enfants métis du Rwanda et post-colonialisme

Avec « Consolée », son nouveau roman, la Franco-rwandaise Beata Umubyeyi Mairesse revient sur l’histoire de ces enfants arrachés à leurs familles africaines à l’époque coloniale belge et s’en saisit pour décrypter la société actuelle.

Abordé dans Jeune Afrique, le parcours des enfants métis arrachés à leurs familles africaines pendant la colonisation belge reste largement méconnu. C’est l’un des sujets de Consolée, roman de Beata Umubyeyi Mairesse. L’autrice franco-rwandaise, née en 1979 à Butare, dans le sud du Rwanda, retrace la vie de Consolée, soustraite à sa famille à sept ans dans ce qui s’appelait alors le Ruanda-Urundi. « Les oncles ont dit, prenant un air désolé qu’elle ne leur connaissait pas, que de toute façon, ils n’avaient pas le choix, que l’ordre était venu des chefs blancs et porté par le géniteur jusque-là absent. Aucun de leurs bâtards ne devait continuer à vivre sur les collines avec les indigènes. »

Consolée devient Astrida, l’ancien nom de Butare, parce qu’une autre pensionnaire de l’institut pour enfants mulâtres de Save, à quelques kilomètres au Nord de sa ville natale, porte le même prénom qu’elle. Son destin la conduit ensuite dans une famille d’adoption en Belgique. On la retrouve plusieurs décennies plus tard dans un Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) du sud-ouest de la France. Frappée par la maladie d’Alzheimer, la vieille femme se souvient par bribes mais personne ne peut la comprendre : elle perd son français et s’exprime dans une langue inconnue du personnel, le kinyarwanda.

JE VOULAIS MONTRER LES RÉSONANCES ENTRE LE PASSÉ ET LE PRÉSENT

Consolée se heurte ainsi à des murs intérieurs, la maladie, et extérieurs, l’indifférence. Ramata, stagiaire en art-thérapie, veut ouvrir une fenêtre sur son passé. La quinquagénaire d’origine sénégalaise se remet d’un burn-out. Elle qui avait gravi toutes les marches de la méritocratie s’est heurtée au plafond de verre. « Lafrance », comme elle l’écrit avec ironie en un mot, n’a pas tenu sa promesse républicaine. À travers Consolée, c’est son propre rapport à sa mémoire et à la transmission à sa fille, Inès, qu’elle interroge.

Beata Umubyeyi Mairesse nous avait impressionnés avec son premier roman, Tous tes enfants dispersés. La romancière et la poétesse se conjuguent pour évoquer l’histoire, non comme une matière figée, mais comme une manière de décrypter la société actuelle. Il est question de racisme, de post-colonialisme, des combats pour l’égalité… Le modèle social est aussi questionné à travers le business des Ehpad, le malaise des personnels soignants. Mais Consolée est d’abord une poignante histoire de femmes emplies d’humanité.

Jeune Afrique : Quand avez-vous découvert l’Institut pour enfants mulâtres de Save, au Rwanda ?

Beata Umubyeyi Mairesse : J’en ai entendu parler dans les médias quand l’association « Métis de Belgique », réunissant les anciens enfants de l’Institut de Save, a mis sur le devant de la scène leur histoire, avec notamment une audition au Parlement belge, en 2017. Save n’est pourtant qu’à quelques kilomètres de Butare, où je suis née et où j’ai grandi. C’est dire que cette histoire a été effacée au Rwanda. Et en Belgique, ces métis ont été invisibilisés pendant des décennies.

Pensez-vous que la prise de conscience du fait colonial soit supérieure en Belgique ?

Je ne sais pas si on en parle plus en Belgique ou en France. Je reviens de Bruxelles où une commission parlementaire sur le passé colonial a travaillé pendant toute une année et a auditionné plus de 3 000 personnes, des chercheurs, des témoins de l’époque, etc. Il y a là-bas une volonté peut-être plus prononcée de se confronter au passé colonial. Le Premier ministre belge a officiellement demandé pardon au nom de la Belgique aux métis des colonies. Je n’imagine pas une chose pareille en France de sitôt, à cause de ce qu’on appelle « la non-repentance ». LIRE PLUS SUR JEUNEAFRIQUE