MISS BILÉ, la reine du prêt-à-porter
Discrète et travailleuse, Miss Bilé totalise plus de 15 ans de présence dans la mode. Son talent a été reconnu plusieurs fois comme l’atteste le 3ème Prix de l’excellence décroché en 2016 dans son pays la Côte d’Ivoire. Entre défilés et expositions, la créatrice parcourt le monde pour vendre son savoir-faire et valoriser la mode ivoirienne. Sur l’échiquier de la création vestimentaire, elle s’impose en optant pour le prêt-à-porter. Par une abnégation sans faille pour le travail réussi, l’ancienne pensionnaire du Centre Ivoire Couture de Divo a aujourd’hui un nom dans le milieu de la mode ivoirienne voire africaine. Le prêt-à-porter, le nouveau coronavirus et la reprise après la crise sanitaire sont entre autres sujets sur lesquels Clémence Ablema Bilé Epouse Kouadio se prononce sans faux-fuyants. Entretien !
Comment vivez-vous la situation de crise sanitaire actuelle?
La situation est très difficile. Tout le monde l’a constaté. On le voit. Personnellement, je vends beaucoup à l’extérieur et avec la fermeture des frontières, ça ne m’arrange pas. Si les aéroports étaient ouverts, j’allais faire partir les habits au cas où je ne pouvais pas me déplacer. Il y a une dame qui a une boutique à Paris qui me demande 500 cache-nez. Comment les faire partir ? Que ce soit au Burkina Faso, Mali ou Niger, il y a des revendeuses qui ont besoin de vêtements mais impossible de les approvisionner. J’avais déjà réalisé ma collection pour la fête des mères. J’ai envoyé des images à mes représentantes qui voulaient les habits mais je n’ai pas pu les livrer. Voilà quelques difficultés auxquelles ma maison de couture fait face. .
Quel a été ton état pendant le début de la crise ?
-J’avais totalement fermé pendant deux mois vu l’ampleur que prenait la progression de la pandémie. Après, on a ouvert à moitié pour faire des cache-nez qu’on a offert à l’Association des créateurs de mode de Côte d’Ivoire (ACM-CI), à des proches et des associations caritatives et autres ONG . Quelques clients nous passaient de petites commandes qu’on essayait de satisfaire. La reprise est lente. Côté vêtements, c’est encore timide. Comme je l’ai dit plus haut, l’essentiel de ma clientèle est hors de notre pays. En clair, il n’y a pas de clients en tant que tel. .
Comment préparez-vous la relève ?
La relève ne va pas être du tout facile. J’ai entendu parler des fonds de soutien mis à la disposition des créateurs par l’état. Je sais que l’après coronavirus va être très difficile. Nous continuons de produire à minima. Si tout rentre dans l’ordre, je relance les livraisons. En attendant, j’essaie de me concentrer sur de nouvelles créations. Je veux bien faire du stock mais il me manque de l’argent. Toutes nos réserves sont en train de partir. Je suis du privé et je sais que ce n’est pas du tout facile avec les banques. Donc, j’attends un prêt de la part de notre gouvernement. Je sais aussi que c’est difficile chez tout le monde mais c’est vers notre état qu’on ne peut se tourner. Je ne crois pas qu’il y aura du gratuit. .
La production de cache-nez arrive-t-elle à subvenir à vos charges ?
Pas du tout ! C’est peut-être une dizaine de cache-nez qu’on vend par jour. Souvent, on a des commandes de 100 et 200 masques mais ça ne suffit pas car nos charges sont énormes. .
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué pendant la crise sanitaire ?
J’étais invitée à un évènement au Congo-Brazza. L’ambassadrice de la Côte d’Ivoire au Congo y avait organisé un forum. J’y étais. Tout était prêt. On a visité les stands. Son Excellence Mme l’Ambassadrice avait vraiment mis le paquet. Il devrait avoir des rencontres B2B, des défilés, une exposition… Malheureusement avec la progression de la pandémie, on a tout arrêté. C’est là-bas qu’on a annoncé la fermeture des frontières. Mme l’ambassadrice s’est précipitée pour nous faire des réservations pour qu’on puisse retourner au pays et on est rentré de justesse en Côte d’Ivoire. Ça m’a beaucoup marquée. Ça m’a fait mal ! Si Mme l’ambassadrice a pu réorganiser son évènement après la maladie, je suis prête à repartir. J’étais avec Mamadou Bomou, le comédien Joël et beaucoup de gens d’autres secteurs. Mais la covid-19 a eu raison de nous.
Quel bilan faites-vous de votre carrière, 15 ans après ?
Nous sommes dans la 16è année de mon installation. Je dirais que le bilan est positif. J’ai démarré toute petite au bas de l’échelle et aujourd’hui, je voyage un peu partout. Même dans ma manière de travailler, il y a de l’évolution. Avant, je faisais du près du corps. Quand j’ai commencé à participer aux foires et expositions à l’étranger, j’ai compris que les tenues près du corps ne sont pas accessible à tous car tout le monde ne peut les porter. Je me suis mise à faire des vêtements fluides, amples pour des dames. A mes débuts, je cousais pour les jeunes femmes et les jeunes filles.
Quelle est la particularité de la maison Miss Bilé?
Nous sommes très prêt-à-porter et nous travaillons avec toutes les matières. Nos tenues sont bien finies. Quand je dois faire un modèle, je l’adapte bien au tissu pour le réaliser. Je vois des tenues bien faites mais la matière ne va pas avec le modèle. Alors que chez nous, on tient compte de tous ces détails. .
Pourquoi le prêt-à-porter ?
Après mon installation en 2004, j’ai commencé tout de suite avec le prêt-à-porter. Le sur mesure ne m’intéressait pas trop.
Comment avez-vous réussi à vous maintenir dans un pays où les femmes sont plus fans du sur mesure ?
On a les pagnes en Afrique et on parle beaucoup de pagne en Côte d’Ivoire. Souvent, je faisais du sur mesure pour quelques clientes qui venaient avec leurs pagnes car le pagne s’adapte bien à toutes les formes. Mais je refusais celles qui arrivaient avec du tissu. Les raisons sont toutes simples. Très souvent, les clientes demandent un modèle qui ne va pas avec leur morphologie. Donc, je préfère ne pas prendre les tissus et les pagnes des clientes et me concentrer sur le prêt-à-porter. l’autre raison qui m’amène à ne pas accepter le sur mesure, c’est que les femmes viennent avec leurs tissus ou pagnes. On prend les mesures et après elles ne reviennent plus ou le font deux à trois ans plus tard. Souvent, on finit de coudre mais la dame ne passe pas. L’atelier est chargé de tissus et d’habits. Alors, je me suis concentrée au prêt-à-porter qui m’a lancée. A mes débuts, mes vêtements n’étaient pas chers. Il y en avait de 15.000FCFA et 20.000FCFA. Quand les clientes arrivaient, elles essayaient et quand c’est bon, elles prenaient et partaient. Ça me faisait gagner du temps. Cela m’a permis de vite avancer dans le métier. Et c’est aussi grâce au prêt-à-porter que j’ai commencé à participer aux foires et aux expositions. Avec le prêt-à-porter, je suis libre de m’exprimer sur le tissu que je veux. .
Quelles sont vos perspectives d’avenir ?
C’est reprendre systématique mes voyages si la situation sanitaire s’améliore. On me reproche de ne pas assez reposer. Eh bien, j’ai eu le temps de me reposer dans la fermeture due à la covid-19. Donc, il me faut tout relancer pour me rattraper car on a perdu beaucoup dans cette crise. On expose pour la fête des mères à Cap Sud du 4 au 20 juin. Je compte ouvrir une boutique à Abidjan Cocody II-Plateaux-Vallons.
L’année dernière, vous avez célébré vos 15 ans de carrière par un défilé. Comptez-vous instituez cet évènement ?
Le défilé était tellement beau que de nombreux invités sont venus me féliciter dans les loges avant de retourner chez eux. Il y en avait même qui avait des larmes aux yeux. Par votre canal, je tiens à dire merci à Gilles Touré qui était plus que mon directeur artistique. Il aime le travail bien fait et il m’a beaucoup apporté dans l’organisation. Mon objectif était que les invités soient contents et j’espère qu’ils l’ont été. Dieu merci. Pérenniser l’évènement ? Oui, dans 5, 10 ou 15 ans. Non, je n’ai pas assez de temps pour organiser ce genre d’évènement. Pour peu qu’il était, ce défilé m’a pris beaucoup de temps et j’y ai investi assez d’énergie et d’économie. Je n’avais ni sponsor ni partenaire car personne ne me connaissait et tout a été financé sur fonds propres.
Qui êtes-vous dans le privé ?
Je suis mariée et mère d’une fille et d’un garçon.
Comment arrivez-vous à combler vie publique et foyer ?
J’ai eu la chance d’avoir un mari qui n’est pas compliqué et des enfants adorables. J’ai mis une petite organisation en place que je respecte et Dieu merci, ça va. Mon époux me comprend et j’essaie d’expliquer aux enfants que c’est pour eux que je me bats.
Par Aymann Nourra Omar
Collaborateur
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