Style : la manne de la mode musulmane
Le prêt-à-porter et les grands couturiers occidentaux n’hésitent plus à lancer des collections « pudiques », quitte à créer la polémique. Et pour cause : l’affaire est lucrative.
« La mode musulmane explose. Cela n’a rien d’étonnant et va bien au-delà des pays du monde arabe ou de l’Afrique. Elle gagne l’Europe, l’Asie et l’Amérique », observe le créateur nigérien Alphadi, en plein lancement de la onzième édition de son Festival international de la mode en Afrique (Fima), qui s’est déroulée en novembre à Dakhla, au Maroc. D’ici à 2022, le marché de la « modest fashion » (« mode pudique ») – avec ses vêtements couvrant les épaules, le décolleté, les cuisses et les jambes – devrait même peser 373 milliards de dollars, contre déjà 254 milliards en 2016, selon le rapport « State of the Global Islamic Economy 2017-2018 » publié par Reuters.
Sans grande surprise, parmi les pays qui développent l’économie du prêt-à-porter islamique, les Émirats arabes unis tiennent le haut du pavé, suivis par la Turquie. La France et la Chine se disputent la cinquième place, et le Maroc ferme le top 10.
Les marques occidentales prennent largement part à cette tendance, qui touche aussi bien les « hijabistas » (fashionistas musulmanes) que les juifs ultraorthodoxes ou les chrétiens évangéliques. En 2015, pour les besoins d’une campagne de recyclage de vêtements, H&M a pour la première fois fait appel à un mannequin portant le hijab, Mariah Hidrissi.
Puis, l’année suivante, le groupe suédois de fast fashion a lancé la ligne LTD Collection : des jupes, des caftans et des ensembles aux coupes longues et fluides. L’enseigne japonaise Uniqlo a quant à elle lancé une première collection de mode pudique en Asie en 2015, puis s’est attaquée au marché américain.
Avec le concours de la créatrice britannique musulmane Hana Tajima, elle a développé une ligne de hijabs, tuniques, pantalons amples, longues jupes et tops couvrants bohèmes et minimalistes. Le géant du streetwear Nike a aussi été précurseur en proposant des hijabs pour les athlètes musulmanes. Puis les Zara, Mango et autres Marks & Spencer ont suivi.
Un rayonnement international
« La clientèle ciblée est majoritairement les millennials musulmans – tant dans leurs pays d’origine que dans leurs pays d’adoption, indique Sofia Slimani, spécialiste des tendances au sein de l’agence de prospective française NellyRodi. Ils sont connectés, au fait de la mode, ont un pouvoir d’achat grandissant et sont en quête de représentativité. Ils s’attachent donc à des marques engagées qui comprennent leurs besoins et spécificités. »
La haute couture n’est pas en reste. Dans les pays du Golfe, il n’est plus rare de voir des abayas customisées avec des cristaux Swarovski. On trouve des combi-pantalons oversize chez Jacquemus, des cafetans en tulle et crêpe à ornements chez Elie Saab, des robes du soir couvrantes en georgette de soie à sequins chez Carolina Herrera et des jupes longues en satin de soie chez Gucci. Ces pièces ont même eu le droit à leurs défilés à la Fashion Week de New York ces deux dernières saisons.
Trop longtemps délaissées
Les grandes maisons ont aussi imaginé des griffes spécialisées, présentées par des mannequins portant le hijab et présentes sur les plateformes d’e-commerce dans la catégorie mode pudique. Dolce & Gabbana a mis les pieds dans le plat avec sa collection printemps-été 2016 de hijabs et abayas, quitte à soulever une vive polémique.
Chez Burberry, c’est à l’occasion du ramadan, la même année, qu’une édition limitée de robes longues et de sacs était mise sur le marché. « Il faut y voir, avant tout, une industrie à l’affût de la moindre aubaine lucrative, affirme Sofia Slimani. Et les marques ne veulent pas voir leur réputation ternie par un manque de compréhension quant à l’évolution de la mode et des attentes des consommateurs. »
Il n’est plus surprenant de voir des mannequins voilés en couverture de Vogue ou défilant pour les grands créateurs, comme la Somali-Américaine Halima Aden, qui se dit « fière de représenter les femmes musulmanes dans le monde ». En 2017, une Islamic Fashion Week a même été organisée à New York ! Et jusqu’au 6 janvier 2019, le musée De Young, de San Francisco, accueille l’exposition « Contemporary Muslim Fashions », consacrée à la mode musulmane sous toutes ses coutures – du sportswear aux robes du soir griffées. « Cela révèle toute l’importance que le sujet est amené à prendre dans les années à venir », estime Sofia Slimani. Sur la Toile, les marques ou les sites d’e-commerce spécialisées dans la mode pudique, comme The Modist, établi à Dubaï, se multiplient. Et sur les réseaux sociaux, les influenceuses voilées ne font plus exception.
Mais qu’en est-il des hommes ? Ou « mipsters » (hipsters musulmans) ? « Ils ne sont pas la cible principale parce qu’ils ne sont pas soumis aux mêmes contraintes vestimentaires que les femmes, analyse Sofia Slimani. Mais de plus en plus de designers et de marques issus du monde arabe se font connaître, même s’ils ne s’adressent pas exclusivement au consommateur musulman. » Et de citer Paria Farzaneh, Precious Trust ou Enami.
Halal jusqu’au bout des ongles
Pas moins de 82 milliards de dollars. C’est ce que pèsera le secteur des cosmétiques halal d’ici à 2022, contre 57 milliards en 2016, selon le rapport Global Islamic Economy 2017-2018. Particularités de ces crèmes, lotions, fonds de teint, rouges à lèvres, vernis ou mascara : ils sont perméables, sans alcool et sans ingrédients dérivés d’animaux dits « interdits » – comme la kératine, le collagène, l’éthanol ou les protéines placentaires. Fabriqués à partir de minéraux et extraits de plantes, de fruits ou d’huiles végétales, ils peuvent ainsi aussi séduire les végans et les adeptes de produits naturels.
Si le marché a éclos dans les pays musulmans d’Asie du Sud-Est, il s’est étendu au sous-continent indien, au Moyen-Orient, à l’Afrique puis aux États-Unis et à certains pays d’Europe. En 2015, une boutique de cosmétiques estampillés « halal », Hasna Cosmetics, ouvrait ainsi sur les Champs-Élysées, à Paris. Et de grands groupes de cosmétiques internationaux comme L’Oréal ont d’ores et déjà fait certifier une bonne centaine de produits.
Source : jeuneafrique.com
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