Est-il normal que les deux membres d`un couple aillent au lit en même temps le soir?
Il y a toutes ces petites choses qu'on pourrait faire à la place... et le plaisir de s'endormir ensemble. Dans un couple, on peut très bien se convaincre que tout ce qu’on fait est parfaitement normal. Avec le temps, même les traditions intimes les plus objectivement excentriques peuvent perdre leur originalité. On finit par oublier qu’on est tous les deux un peu bizarres de manger des tartines à l’envers, de hurler «Tu es invité!» au chien quand on est prêt à le sortir, […] L’intimité s’accompagne toujours d’un manque de perspective. Honnêtement, c’est un des bons côtés de l’état amoureux.
Si je raconte tout cela c’est parce qu’avant d’écrire ce papier, je n’avais sincèrement pas la moindre idée du niveau de «normalité» de nos habitude de coucher, à ma femme et à moi. Est-ce que tous les couples organisent des tours de garde toutes les heures pour qu’il y ait toujours quelqu’un de réveillé en cas de danger? Sommes-nous les seuls à nous brosser mutuellement les dents... avec nos doigts?
Je plaisante. Ce que je voulais vraiment savoir c’était si notre habitude de nous coucher en même temps –ce que nous avons toujours fait naturellement, sans jamais décider que c’était une obligation– était considérée comme une caractéristique universelle de la vie conjugale. Si ça se trouve, l’approche de l’heure du coucher telle que je l’ai toujours envisagée comme allant de soi n’est-elle pas aussi incontournable que je le croyais. Peut-être, me suis-je dit, que c'est un truc qu’un nombre suffisant de nos amis ne font pas pour que je puisse avancer de façon crédible, juste hypothétiquement, que nous ne sommes pas obligés de le faire tous les soirs.
Les bénéfices d’un coucher simultané sont assez évidents. Le temps calme que vous et votre partenaire passez juste avant de dormir peut être aussi agréable qu’enrichissant émotionnellement –vous pouvez discuter, regarder la télévision, faire des câlins, faire des trucs sexuels si c’est votre dada. Et puis il y a l’avantage intangible d’être simplement ensemble au moment où vous êtes le plus vulnérable et détendu– à vous abandonner en même temps aux bras de Morphée, en vous demandant, tandis que votre cerveau se met doucement en veille, si vous allez apparaître dans les rêves l’un de l’autre.
Je me refuse à vous ennuyer avec les prises de position des experts de l’amour, travailleurs sociaux et autres psychologues qui s’accordent tous évidemment à affirmer qu’aller au lit en même temps, c’est bon pour le couple. Si vous voulez le savoir, il y a eu des études vaguement scientifiques, et oui, elles «prouvent» exactement ce à quoi vous vous attendiez: les couples qui ont une «compatibilité de début de sommeil» ont tendance à mieux s'entendre et à passer plus de temps ensemble et, je vous le donne en mille, à avoir davantage de relations sexuelles. Mais la question ici n’est pas de déterminer ce qui est bon; la question c’est de savoir d’une part ce qui est normal, et d’autre part s’il pourrait être acceptable que parfois, pas trop souvent, un de nous deux –au hasard moi– restait debout pour faire des trucs.
Par exemple, je pourrais m’asseoir dans le salon et regarder des films qu’elle n’a pas envie de voir ou qu’elle a déjà vus.
Vous devez être en train de vous dire: «Eh mon gars, t’aimes pas ta femme ou quoi?» Ne soyez pas stupide. J’aime ma femme probablement plus fort que vous n’aimez la vôtre. Mais je ne peux pas m’empêcher de fantasmer sur toutes les choses que je pourrais faire pendant qu’elle dort. Par exemple, je pourrais m’asseoir dans le salon et regarder des films qu’elle n’a pas envie de voir ou qu’elle a déjà vus. Ou bien je pourrais m’installer à mon bureau, tirer sur mon e-clope et «journalier» (pratique que ma femme soutient mais elle refuse de me laisser prononcer ce mot). Je pourrais parfaire mes connaissances de l’histoire de l’URSS, ou étudier la Bible, ou même lire tous les livres d’Elena Ferrante. (J’déconne! Il est hors de question que je les lise maintenant que je sais qu’ils ont été écrits par une femme).
Ce sentiment d'être abandonné
La vérité, naturellement, c’est que personne ne m’empêche de faire tout ça. Si une part de moi aspire à une vie d’érudit qui travaille aux petites heures de la nuit, elle a tendance à ne pas pointer le bout de son nez au moment de décider de suivre ma femme au lit ou pas. C’est ce que je fais la plupart du temps –et pas seulement par inertie ou parce que je suis paresseux, ni parce que je préfère l’inconscience à l’effort intellectuel. C’est parce que passer du temps ensemble dans le calme de la nuit et échanger des pensées à moitié formées en chuchotant avant de s’endormir est l’un des plus grands avantages à avoir quelqu’un dans sa vie. Et ce qui est peut-être encore plus important, ne pas le faire peut donner aux deux partenaires le sentiment d’être abandonné et seul au monde. Les quelques fois récentes où j’ai été obligé de travailler alors que ma femme se couchait, je me suis surpris à éprouver un sentiment de perte absurde, comme si la personne avec qui je partageais ordinairement une conscience avait soudain disparu de la face du monde. Et quand c’était l’inverse, je me suis retrouvé à m’agiter dans le lit comme un poisson hors de l’eau et à écumer les comptes Instagram de propriétaires de caniches et autres mannequins à deux sous.
Après avoir mené une enquête au sein de mon réseau social très limité –et avoir décidé d’ignorer un sondage aléatoire conduit par le Daily Mail– je suis en mesure de déclarer en toute confiance que c’est normal. Si quelques personnes interrogées ont affirmé que cet aspect du coucher ne leur semblait pas revêtir d’importance, la plupart ont évoqué les instants passés ensemble avant de s’endormir comme un moment précieux et doux, où ils sont particulièrement conscients des besoins et des sentiments de l’autre. Même ceux qui m’ont dit ne pas se coucher souvent en même temps que leur partenaire –que ce soit à cause d’incompatibilité d’emplois du temps professionnels, de niveaux d’énergie ou de problèmes d’insomnie– ont affirmé qu’ils aimeraient bien le faire si cela leur était possible, et qu’ils le font dès qu’ils le peuvent. La poignée de ceux qui ont avoué se glisser hors du lit dès que leur partenaire est endormi, l’ont décrit comme un acte d’amour destiné à protéger, pas à tromper.
L’information la plus importante que j’ai glanée lors de ma petite enquête est qu’il est très courant d’aspirer, comme c’est mon cas, à une certaine dose d’indépendance à l’heure du coucher, mais de le faire par le biais d’activités –comme lire, griffonner des notes et envoyer des sextos à des inconnus– qui peuvent être pratiquées au lit à côté de votre moitié qui sommeille. Il se trouve qu’il est possible d’apprécier ce genre de moment d’isolement de fin de journée sans vous condamner, ni vous ni votre partenaire, à une vraie solitude. C’est peut-être évident pour tout le monde sauf pour moi. Mais c’est bien pour ça que c’est normal.
Source : slate.fr
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