Education burkinabè : le cannabis en pleine conquête des classes

Ils sont jeunes et «fragiles». Sur le chemin de l’école, ils ont fait connaissance avec cette substance aux effets néfastes : la drogue. Par effet de mode, sa consommation enregistre de jour en jour de nouveaux adeptes dans les établissements scolaires. La situation inquiète parents, enseignants, en somme, tous les acteurs de l’éducation. Incursion dans cet «univers» où la drogue côtoie les bancs.

Faysal Ouédraogo (pseudonyme) a 22 ans. Depuis plusieurs mois, il est dans le collimateur des éléments de la brigade de recherche de la gendarmerie nationale. Etudiant en 2e année d’architecture, il ignore que les services de recherches disposent des informations fiables sur son commerce illégal de drogue dans certains établissements d’enseignement de Ouagadougou. Après plusieurs mois de filature, il tombe, enfin, dans les mailles des éléments du lieutenant Siaka Sombié Diarra, commandant de ladite brigade. Interpellé à la cité Azimo de Ouaga 2000, la brigade de recherche découvre à son domicile, 3,100 kg de cannabis. Son domicile familial, Faysal Ouédraogo l’a transformée en un lieu de stockage et de ravitaillement des élèves, adeptes de la drogue. Mis aux arrêts, il est transféré à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Une procédure judiciaire pour détention, vente et consommation de stupéfiants est engagée contre lui. Sa peine : deux ans de prison ferme.

Grace aux individus comme Faysal Ouédraogo, la consommation de la drogue est devenue un phénomène de mode en milieu scolaire. Aussi, pour s’en procurer, les élèves n’hésitent pas à sillonner les différents fumoirs et «ghettos» des quartiers périphériques de la capitale. Pour nous convaincre de l’ampleur du phénomène et de l’implication des scolaires dans ce trafic, nos investigations nous conduisent au quartier Kalgondin de Ouagadougou, ex-secteur n°14.

«Nous sommes venus chercher notre dose»

Là, près du mur de l’aéroport international, entre les marchandises usagées, les immondices et la broussaille, se développe un véritable commerce. Ici, c’est Roppa et Rougeo qui servent la drogue aux élèves. Pour accéder à leur fumoir, il faut montrer patte blanche. Ses fidèles clients sont des élèves, nous dit Alkantara, grâce à qui nous infiltrons ce réseau. Pour avoir sa dose, pas besoin de gros moyens : 100 F CFA, 200 F CFA, etc. Un quart d’heure à sillonner la broussaille qui les met à l’abri de tout soupçon et des yeux malveillants, nous nous rendons compte de l’ampleur du phénomène en ces lieux. Un jeune homme vêtu d’une chemise et d’un jean sale, les cheveux crépus, nous accoste. Pipe en main, tout sourire, il demande : Vous voulez pour combien ? «Donnez-moi l’argent et je vous l’envoie tout de suite», insiste-t-il. Il comprend, que nous sommes à la recherche de l’«herbe», la «dose», le «pao», le «gandja», «le soumbala», «la beue»..., comme il le nomme. Nous l’ignorons, tout en poursuivant notre chemin. Entre deux foulées, nous apercevons plusieurs jeunes assis sur des nattes par groupe de trois ou quatre. Leur âge varie entre 17 et 21 ans. Ils nous lorgnent. Illico presto, ils se lèvent. L’inquiétude se lit sur leurs visages. Ils veulent prendre la poudre d’escampette, mais le bonjour que nous leur lançons, les rassure. Ils renoncent. Nous marquons un arrêt. C’est au tour de Roppa de nous accoster. «Que voulez-vous» ? Nous interroge-t-il. «Pour 200 F CFA», lui répondons-nous. «Je le connais, servez-le», dit-il, lorsqu’il m’aperçoit en compagnie d’Alkantara. Il intime l’ordre à un jeune homme vêtu d’un maillot gris délavé de nous servir. Ce dernier disparaît dans la broussaille et réapparaît aussitôt. En un geste de salutation, il nous glisse un paquet soigneusement emballé dans un papier fin de couleur blanche. Assis sur une brique, un jeune éclate de rire. Sac en main, après les cours, il a marqué un arrêt pour se «doser». «Vous m’avez tellement fait peur», nous lance-t-il. «Moi, pourquoi ?», lui répliquons-nous. «Vous ressembler tellement à un flic», me dit-il en susurrant: «Touchez mon cœur. Regardez comme il bat». Je m’exécute. «C’est comme si mon cœur allait sortir d'entre mes poumons. Imaginez, si on vous arrête en train de fumer de la drogue, qu’est-ce que vous allez dire à vos parents ?», nous demande-t-il entre deux éclats de rire. Nous prenons congé d’eux. Malgré l’assurance que nous ne sommes pas des policiers, quatre jeunes en tenue scolaire, assis sur une natte, le «joint» à la bouche, la fumée auréolant leurs visages, semblent toujours inquiets. «Tu n’es pas comme nous. Tu ne ressembles pas à un fumeur de drogue. Ne t’habille plus comme un policier pour venir ici…», lance furieusement l’un deux, en casquette blanche, lorsqu’il jette un regard sur ma chemise, mon pantalon et ma paire de souliers. Nous les rassurons de nouveau : «Nous sommes venus chercher notre dose comme vous».

Légaliser le cannabis ?

Notre passage à plusieurs reprises dans ces immondices, nous permettra de constater que la drogue, en l’occurrence le cannabis, en provenance du Nigeria, du Ghana et de la Côte d’Ivoire, arrive en ce lieu dans des sacs de 50 kilogrammes et emballée dans de petits papiers légers. Elle est ensuite vendue à 100 F CFA, 200 F CFA, 500 F CFA et 2500 F CFA l’unité. C’est là, que des élèves de certains lycées et collèges de la capitale viennent s’approvisionner, dès 7 heures (avant d’aller au cours), à 10h (à la pause) et à 12h. Chaque soir, également, entre 17h et 19h, par dizaines, les scolaires se retrouvent pour en fumer avant de regagner le domicile familial. Oxane T., 17 ans, rencontré dans la broussaille, fait des confidences : «Voilà bientôt cinq ans que je consomme le chanvre indien». Elève en classe de 1ère, il porte les stigmates de la consommation du cannabis : chétif, lèvres noirs, yeux rouges, voix lourde. Surexcité, il confie que sa «rencontre» avec la drogue s’est faite en Côte d’Ivoire lorsqu’il était en classe de 5e. Pour lui, la drogue est un fidèle compagnon. Celui qui ne trahit jamais. Pourvu que vous ayez 100 ou 200 F CFA, il vous console et essuie vos larmes, foi du jeune scolaire. «J’aime la drogue», dit-il, fièrement. Il soutient qu’elle est source d’inspiration et d’intelligence pour son consommateur. «Le cannabis, c’est la plante de Dieu. Ses feuilles ont la forme des cinq doigts de la main. Il pousse partout, pourvu que vous soyez un connaisseur pour le détecter», explique-t-il. A son avis, le gouvernement burkinabè doit légaliser le cannabis. Car, sa consommation développe l’intelligence. Après quelques échanges, la confiance s’installe, les langues se délient ! Ce fumoir attire quotidiennement, plus d’une trentaine d’élèves. A.V. habite le quartier Tampouy de Ouagadougou. Troisième enfant d’une fratrie de quatre, il se dit rejeté par sa famille. Le manque d’amour dans sa cellule familiale, l’a amené à quitter ses parents. Isolé de sa famille, il affirme avec regret trouver consolation dans la drogue. Le fumoir de Roppa, il l’a connu par le biais d’un ami. Depuis lors, il effectue le déplacement de Kalgondin, pour se «ravitailler» et oublier ses angoisses. Dans ce local, le cannabis est mis en sac et transporté à moto entre 2h et 3h du matin, vers la sortie-ouest de Ouagadougou. Dans la nuit du 22 février 2015, après le barrage de Boulmiougou, les dealers ont marqué une escale. Puis, c’est au tour d’un camion d’assurer l’acheminement du cannabis à la capitale économique, Bobo-Dioulasso. Une fois à Sya, leurs «bons petits» sont chargés de l’écouler dans les lycées, confirme T.Y., élève en classe de 4e au lycée Bogodogo de la capitale. Outre Kalgondin, d’autres fumoirs reçoivent la visite d’écoliers. Pendant plusieurs années, le domicile de Chico, sis à la Zone du bois, est le lieu de convergence de dizaines d’élèves. «A longueur de journée, des groupes d’élèves (filles et garçons) défilaient dans sa maison pour consommer la drogue», se souvient Moussa Tiendrébéogo, l’un de ses voisins. Il ajoute : «Le week-end, c’était encore plus grave. Ils passaient toute la journée ensemble. Ils cuisinaient et profitaient fumer aux yeux de tout le monde». Arrêté en septembre 2013, à l’âge de 20 ans, pour vente de drogue, Chico purge actuellement une peine de deux ans à la MACO.

Les franchises scolaires, un frein à la lutte

Pour une école sans drogue, les forces de défense et de sécurité veillent au grain. A l’unité de lutte anti-drogue de la Police nationale, les confidences du chef de ladite unité, le commissaire Salif Soudré, sont inquiétantes : le chanvre indien est la drogue la plus consommée par les élèves. «Depuis le mois de janvier 2015, plus d’une centaine d’élèves ont été interpellés pour détention et consommation de drogue», déclare-t-il. Au quartier 1200 logements de Ouagadougou, une perquisition au domicile de l’élève, T.M. a permis à la police de découvrir 3 kg de cannabis. Le respect des franchises scolaires est un frein à la lutte contre la consommation de la drogue dans les établissements scolaires de Ouagadougou, déplore le commissaire Soudré. «Dans leurs écoles, les chefs d’établissements connaissent les élèves qui consomment la drogue. Mais, la recherche du gain fait que certains ne veulent pas les dénoncer», renchérit le commandant de la brigade de recherche de la Gendarmerie nationale, le lieutenant Siaka Sombié Diarra. Il impute la complexité de la lutte en milieu scolaire à cette exigence. «Si un élève est reconnu comme un consommateur de drogue, il faut le filer pendant longtemps jusqu’à le prendre en flagrant délit. Car, les textes interdisent de faire une descente dans les écoles», regrette-t-il.

Le silence coupable

Aucun parent ne veut reconnaître que son enfant consomme de la drogue. Ce qui explique, le fait que la société ne dénonce pas les comportements déviants de l’enfant d’autrui. «En classe de 4e, sous l’emprise de la drogue, le fils de mon voisin a failli porter la main sur son papa. N’eût été la présence de son frère aîné, le pire allait se produire. Mais, avant qu’il en arrive à cette extrémité, nous avons alerté ses parents qui refusaient d’admettre qu’il consommait la drogue», témoigne Zamana Zam, résident du quartier Somgandé de Ouagadougou. Après sept ans de traitement hors du Burkina Faso, Hiler G. a du mal à se débarrasser de sa démence, qu’il a piquée en classe de 4e au lycée Nakebzanga, sis à Tampouy. Aujourd’hui, cloitré à la maison, il s’adonne souvent à la mendicité. «Il fume devant son père et tente même d’agresser sexuellement les jeunes filles», s’indigne Mariam Touré qui, elle, l'a échappé bel. Professeur de français au lycée de la Jeunesse, B. T. garde un souvenir amer de A.Y, son élève de 5e. Drogué en permanence, A.Y. se transforme en un véritable chahuteur. «Un jour, il est venu en retard en classe. Au lieu de s’asseoir tranquillement, il est monté sur les tables-bancs et a commencé à hurler et à sautiller. Il puait la drogue comme d’habitude. Par inattention, il est tombé et a commencé à dormir», explique monsieur B. qui ne comprend toujours pas comment le fils de cet officier de l’armée (capitaine) a pu sombrer dans la drogue. Alerté, son père a effectivement reconnu qu’il consomme la drogue, mais s’avoue impuissant face aux comportements de son fils, affirme le professeur. «Dans toutes mes classes, au moins deux élèves sont reconnus comme consommateurs de drogue», confie T.B., professeur au lycée mixte de Gounghin. Pour le président de l’Union nationale des associations des parents d’élèves du secondaire et du supérieur du Burkina (UNAPES-B), Vincent Congo, la consommation de la drogue en milieu scolaire est un drame pour le système éducatif. L’école est devenue un lieu de vente et de consommation de la drogue, reconnaît-il. «Elle est un danger pour l’école et nos enfants. Si la violence en milieu scolaire a pris de l’ampleur, cela est dû à la consommation de la drogue», s’indigne-t-il. Mais, selon ses dires, les établissements ne leur (associations de parents d’élèves) fournissent pas des informations qui puissent leur permettre d’analyser la situation afin de contribuer à sa résolution. «La lutte doit être individuelle et collective. Car, l’enfant appartient à tout le monde», prévient M. Congo. De ce fait, il souhaite que les parents suivent régulièrement les comportements de leurs enfants à l’école et à la maison. «Les chefs d’établissements doivent œuvrer pour que les enfants comprennent et respectent le règlement intérieur», insiste M. Congo. Elève en classe de 1ère A, V.V a été pris en flagrant délit de consommation de drogue au lycée Philippe Zinda Kaboré. «Lors d’un contrôle, je l’ai trouvé au dernier étage, enfermé seul dans une salle en train de fumer. Après les fouilles, j’ai découvert sur lui une boîte d’allumettes remplie de drogue. Il a été renvoyé. Tous ceux qui s’adonnent à la consommation ont un mauvais rendement scolaire», avoue le proviseur du lycée Philippe Zinda Kaboré, Boureima Traoré. Pour le Pr Pierre Guissou, toxicologue à l’hôpital Yalgado-Ouédraogo, les élèves doivent se démarquer de la drogue. Car, à la longue, leur cerveau va se déstructurer et perturber la fonction physiologique commandée par ce dernier.

Source : Sidwaya