Martine Somda, une africaine face au sida
C’est son chef de service, médecin, qui lui a annoncé qu’elle était infectée par le virus du sida (VIH). À l’époque, aucun traitement n’était disponible dans le pays. Martine Somda a alors demandé ce qui allait se passer.
Le nombre de mois, d’années qui lui restaient à vivre. Le médecin a dit « trois ou quatre ans, peut-être, c’est difficile à dire ».
Faire reculer la peur
Et puis le temps a passé et la vie avec. Le sida a complètement bouleversé l’existence de Martine Somda. Mais vingt-trois ans plus tard, elle est toujours là, combative, déterminée et plus que jamais décidée à être plus forte que le virus. Une femme de 57 ans qui parle avec un bonheur tranquille de ses quatre grandes filles et de ses six petits-enfants. « Je suis une mère, une grand-mère et une femme africaine vivant avec le VIH. Et je veux continuer à témoigner et à me battre pour faire reculer la peur et la stigmatisation face au sida, en Afrique ou ailleurs », explique cette militante qui préside depuis 1997 l’association REVS+.
La réalité du sida en Afrique, ce sont d’abord ces chiffres bruts et glaçants, auxquels il est impossible de s’habituer. Toutes les heures, sur le continent, environ 34 jeunes femmes sont contaminées par le virus. En Afrique subsaharienne, on recense près de 25 millions de personnes infectées. Des femmes, à près de 60 %. « Dans certains pays, la prévalence du VIH chez les jeunes femmes et adolescentes est jusqu’à huit fois supérieure à celle des jeunes hommes », souligne l’Onusida.
Mais la réalité du sida en Afrique, c’est aussi l’histoire de Martine Somda, semblable à des millions d’autres. L’histoire de femmes infectées dans le cadre du mariage et sans jamais avoir rien pu faire pour s’y opposer. « Face au VIH, la vulnérabilité des femmes est très forte en Afrique. Elles n’ont souvent pas les moyens de se refuser à leur mari même si elles savent que celui-ci est infidèle. Et elles n’ont aucun moyen de lui imposer une sexualité protégée. C’est l’homme qui décide de tout », explique Martine Somda, avant de raconter d’une voix douce sa propre histoire.
Un mariage à 19 ans avec un homme, comptable dans une entreprise. La naissance de ses quatre filles. Et un bonheur conjugal pas complètement serein. Très vite, Martine Somda se rend compte qu’elle n’est pas la seule femme dans la vie de son mari. « À plusieurs reprises, je l’ai surpris avec ses maîtresses, raconte-t-elle. Mais en Afrique, une femme n’a pas le droit de se plaindre de cela. On considère que c’est normal pour un homme. »
Sa vie bascule en 1993
Cela n’empêche pourtant pas Martine Somda de parler du sida à son compagnon. Cette maladie qui, en ce début des années 1990, semble encore lointaine pour beaucoup de gens au Burkina Faso. « Mais moi, j’avais commencé à voir des malades dans l’hôpital où je travaillais. Alors, j’ai demandé à mon mari d’utiliser des préservatifs. De se protéger et de me protéger. Mais il m’a dit que cette histoire de sida, c’était une maladie des Blancs. »
En 1992, son mari tombe malade. Il est soigné à l’hôpital mais sans que jamais les médecins ne le lui disent la vérité. Sans jamais qu’ils ne prononcent le mot sida. Et sans jamais le dire non plus à Martine Somda qui accompagnera son mari jusqu’au bout. Après sa mort, en 1993, elle demande à faire un test, et c’est alors que sa vie bascule. « Quand j’ai appris mon infection, je me suis révoltée contre Dieu. Je me demandais pourquoi cela m’était arrivé à moi. J’avais un sentiment d’injustice face à ce virus qui était arrivé dans ma vie simplement parce que j’avais épousé un homme et que je l’avais aimé. »
Un lieu d’écoute et de partage
Malgré le soutien de sa sœur aînée, Martine Somda plonge alors dans une profonde dépression. Puis, un jour, son chef de service lui parle de plusieurs associations françaises de lutte contre le sida, Aides, Act Up, Sidaction. Il lui demande si cela l’intéresse de recevoir leurs journaux, de savoir comment ils se mobilisent contre cette maladie. « Cela m’a permis de comprendre que je n’étais pas seule avec ce virus et qu’ailleurs dans le monde, des gens agissaient », raconte Martine Somda ; elle décide alors de créer à Bobo-Dioulasso un « groupe d’auto-support » pour les personnes vivant avec le VIH. Un lieu d’écoute et de partage. Un endroit où chacun peut venir raconter cette infection souvent cachée de tous. Juste le besoin d’être ensemble pour ne plus se sentir seul. Et surtout pour faire reculer les discriminations face à cette maladie à nulle autre pareille.
« Les médecins et les soignants avaient peur des patients »
« À l’époque, c’était très dur de vivre avec le VIH. Même à l’hôpital, les médecins et les soignants avaient peur des patients. Je me souviens que, pour les malades VIH, sur la feuille de température accrochée au bord du lit, les infirmières traçaient une petite croix rouge. Pour savoir qu’il fallait mettre une double paire de gants avant de les soigner. Mais c’était aussi un moyen de lever le secret médical et d’isoler un peu plus ces malades. »
Martine Somda se souvient aussi de certains patients de son association, partis dans l’indifférence ou le rejet de leurs proches. « Parfois, la famille ne voulait pas s’occuper des funérailles ni toucher le corps. Et j’ai dû passer un accord avec la prison de Bobo-Dioulasso, pour qu’ils nous affectent deux ou trois détenus pour faire l’enterrement. »
La peur mais aussi l’espoir face au virus. Au début des années 2000, Martine Somda commence à faire venir les premiers traitements au Burkina Faso grâce aux associations françaises. Des médicaments arrivent au compte-gouttes. « Au début, on a en reçu pour quinze patients. Et cela a été terrible sur un plan éthique. Il y avait des dizaines de malades qui avaient besoin du traitement et on devait en choisir quinze. J’avais l’impression de prendre la place de Dieu et de décider à sa place qui devait vivre et qui devait mourir », explique Martine Somda. Un premier pied dans la porte de l’accès aux traitements qui, ensuite, n’a cessé de s’ouvrir. Aujourd’hui, 49 000 personnes au Burkina Faso reçoivent des médicaments antirétroviraux.
Le sida, cette maladie dont il ne fallait surtout pas parler
Martine Somda, elle, a pu commencer en 2000 une trithérapie qui, aujourd’hui encore, lui permet d’aller bien. Mais elle dit que, dans cette épreuve, l’amour de ses proches a été aussi essentiel que les médicaments. L’amour et le courage de ses filles qui, très tôt, ont dû apprendre à vivre avec ce secret enfoui au cœur de l’intimité familiale. « Ma fille aînée avait 11 ans quand j’ai appris ma contamination. Et je lui ai très vite parlé. À l’époque, je pensais que j’allais mourir et je voulais la préparer pour qu’elle puisse s’occuper de ses sœurs une fois que je ne serais plus là. »
Le sida, cette maladie dont il ne fallait surtout pas parler en dehors de la maison. Ni à l’école, ni ailleurs, nulle part. Les filles de Martine Somda ont ainsi grandi en veillant à toujours protéger leur mère. Jusqu’au moment où celle-ci a estimé que le temps du secret était fini. Et que lutter contre le VIH, c’était aussi aller témoigner à visage découvert dans les médias. « Je voulais montrer qu’une femme ordinaire peut être infectée et vivre avec le virus. Et casser cette image si négative du sida. »
Comme d’autres responsables associatives africaines, Martine Somda porte cette parole au Burkina mais aussi bien au-delà de son pays. Sans hésiter à prendre le micro dans les grandes conférences internationales, à interpeller les décideurs et les bailleurs de fonds. Pour leur raconter son histoire et celle des malades de Bobo-Dioulasso. Et leur rappeler que, sur les 36 millions de personnes vivant avec le VIH dans le monde, la moitié n’a toujours accès aux traitements.
bio express
1959
Naissance à Dalo, commune du centre-ouest du Burkina Faso. De son enfance, Martine Somda se remémore son goût pour la lecture. « Je me souviens qu’à 10-11 ans, je lisais durant une bonne partie de la nuit à la lumière de la lampe à pétrole. Et le matin, je dormais et j’avais du mal à me lever. Ce qui me valait un réveil vigoureux de ma sœur aînée pour aller à la corvée d’eau. »
1974
Martine Somda entre au couvent. Des problèmes de santé l’obligent à retourner vivre un an dans sa famille, et elle renonce à sa vocation religieuse.
1984
Elle commence à travailler comme infirmière à l’hôpital de Bobo-Dioulasso. Elle a pris sa retraite il y a deux ans.
1997
Elle fonde son association, REVS+, pour ouvrir un accès aux traitements contre le VIH. REVS+ fait partie de Coalition Plus, une union d’associations francophones de lutte contre le sida.
Source : La Croix
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