Témoignage : Amina, 20 ans, contrainte à se prostituer
Une « protectrice » lui avait promis de l’emmener en France pour devenir serveuse. Mais à Caen, Amina a été contrainte de se prostituer pour rapporter 500 € par jour. Récit.
C’est un petit bout de femme de 20 ans qui promène sa poussette dans les rues de Caen. Le pas est vif car Amina ressent encore une espèce de peur permanente. Alors qu’elle est désormais sortie de l’enfer. Cette peur qui la tenaille depuis ce jour où, au Nigéria, elle a cru aux promesses d’une femme prête à « l’aider… » Soit disant.
« Je dors mal, je fais des cauchemars, je revois les images d’avant. Je me rappelle les coups, les insultes et les clients qui défilaient… » Notre langue, elle l’a apprise toute seule, dans la rue. Amina est intelligente, son regard est vif et malicieux. Et c’est sûrement cette intelligence qui lui a permis de survivre et de retrouver aujourd’hui le goût de la vie, et la force de faire des projets.
Une proie facile
Dernière née d’une famille de 6 frères et sœurs, elle se rêvait serveuse en France. C’est en tout cas ce que cette femme lui a fait miroiter pour l’attirer dans un piège. La proie était facile en vérité. A 16 ans, au Nigéria, Amina vit au quotidien la pauvreté d’un faubourg de Bénin City, la grande ville portuaire du sud du pays. Sans travail, sans avoir eu le loisir d’aller beaucoup à l’école, l’adolescente n’avait pas de moyen d’aider sa mère, veuve depuis longtemps, pour nourrir la famille. Aussi quand une connaissance de sa tante lui parle de s’envoler vers l’Europe, l’adolescente y croit. Cette fois la chance est de son côté, elle en est persuadée.
Elle lui fait confiance, même quand la femme lui donne de faux papiers pour prendre l’avion. En un instant elle devient Somalienne. Elle n’est plus née à Edo City au Nigéria en octobre 92, mais une année plus tôt à Mogadiscio…
Le voyage qui doit la conduire en France passe d’abord par Istanboul, en Turquie. De là, Amina gagne la Grèce par bateau. « Je suis restée trois mois dans un appartement en Grèce. Je n’avais pas le droit de sortir. Il fallait attendre pour partir vers la France. Je ne savais rien, juste qu’il fallait attendre et surtout ne parler à personne. »
Quand enfin on lui donne son billet d’avion pour Paris, l’adolescente espère que son rêve va enfin se réaliser. Elle fera le voyage toute seule. À l’arrivée à Orly, le contrôle de Police tamponne son faux passeport Somalien sans difficulté, et lui ouvre les portes de ce qu’elle considère être un eldorado.
Une dette de 50 000 €
Sa « protectrice » l’attend. Sitôt arrivée, elle lui confisque ses papiers, la rendant encore plus vulnérable, et lui explique que le voyage n’est pas encore terminé. On est alors le 4 décembre 2010. « J’ai pris le train avec elle pour aller à Bordeaux. Et là, je me suis retrouvée dans son appartement où je vivais avec elle. Tout de suite, elle m’a expliqué que mon travail serait de me prostituer, et que je lui devais 50 000 €. Que tant que je n’aurai pas remboursé, je devrai travailler pour elle. »
Quand elle a dit qu’elle ne le ferait pas, Amina a été battue et menacée. « Ils me disaient qu’ils allaient faire du mal à ma mère… » Prise au piège.
La maquerelle avait fixé à 500 € par jour l’argent à ramener. « J’avais jusqu’à 12 clients… Mais parfois, il y avait moins de monde, alors je prenais des coups de bâton. » Sur les trottoirs de Bordeaux, Amina se fera interpeller trois fois pour racolage passif mais sitôt remise en liberté elle retournait travailler. La peur des représailles l’empêchait de porter plainte.
« Fin avril 2011, on m’a amenée à Caen où comme à Bordeaux, il y a des filles du Nigéria. J’ai travaillé pendant un an sur le cours Montalivet et toutes les semaines je prenais le train pour descendre l’argent à Bordeaux. »
Pour que « ses » filles travaillent tranquillement, la maquerelle constituait pour elles des demandes d’asile en bonne et due forme auprès de l’OFPRA (Office Français de protection des Réfugiés et Apatrides). Des demandes établies avec de faux passeports. À Caen, Amina était hébergée en foyer d’accueil, et chaque soir elle était sur le Cours Montalivet. Pendant près de 18 mois, la jeune femme allait ainsi continuer à vendre son corps pour payer sa dette. Insupportable.
Seule une grossesse pourrait lui permettre de s’échapper, car à partir de là, elle ne serait plus intéressante pour le réseau. Sa rencontre avec un Français au cours d’un déplacement à Bordeaux, lui a offert l’opportunité de se faire faire un bébé. La formule est brutale, mais c’est la stricte réalité. « Quand j’ai dit que j’étais enceinte, j’ai été insultée, mais pas battue. Ils ont respecté ça… »
La surveillance exercée sur la jeune femme s’est alors relâchée. Elle a saisi sa chance et pris la fuite. En février 2013, Mohamed-Mickaël est né. Avec la nationalité française. Alors qu’il avait disparu de la circulation, son père est même venu jusqu’à Caen pour le reconnaître et signer des documents attestant d’une responsabilité parentale partagée.
« Je veux être serveuse… »
Dans une permanence d’accueil des étrangers, Amina a eu la chance de rencontrer Marie-Paule Delhon, militante dans plusieurs associations caennaises, qui tentent d’améliorer le quotidien des laissés pour compte, échoués sur le territoire français dans l’espoir d’une vie meilleure. Une rencontre miraculeuse. Après des semaines d’approche, Marie-Paule parvient à convaincre la jeune femme d’aller porter plainte en qualité de victime de Traite des Etres Humains. Puis d’ouvrir devant les services de la Préfecture une nouvelle demande d’asile ; sous son vrai nom cette fois. Un parcours du combattant car la situation d’étrangers sans papiers n’a rien de confortable. Hébergée à l’hôtel, Amina et son bébé sont régulièrement menacés d’expulsion faute de crédit. C’est un combat permanent. Mais celui-ci doit lui ouvrir les portes d’un véritable avenir. « Je veux rester ici car au Nigéria, tout le monde sait que j’ai été prostituée. Et puis, la maquerelle a été arrêtée en France et expulsée. Elle est là-bas. Moi je veux rester à Caen avec mon bébé. Je veux quitter l’hôtel, et travailler. Je veux être serveuse… »
Un cri d’alarme
Comme Amina, de nombreuses familles vivent aujourd’hui dans des conditions de plus en plus précaires. Les crédits affectés au 115 étant épuisés, ces gens se retrouvent à la rue. A Caen, en ce moment au moins six familles d’origine Russe, Chinoise, Arménienne ou Kosovarde, dont une avec un enfant de trois semaines, vivent dans la rue. Les places d’hôtel qui leurs étaient ouvertes ne sont plus financées. « Les associations ont beau déposer des recours, les demandes de prises en charge sont aujourd’hui systématiquement rejetées. Les plus chanceux ont une voiture dans laquelle ils dorment. Les autres montent des tentes dès que la nuit est tombée… » explique Marie-Paul Delhon, signataire comme d’autres citoyens caennais d’un « Cri d’alarme » adressé aux autorités. « Depuis le 14 mai, plusieurs familles demandeuses d’asile ont vu leur prise en charge par le dispositif d’hébergement d’urgence s’arrêter (…) Ces décisions sont prises sur des arguments budgétaires, en toute illégalité et sans aucune considération des personnes. Elles ont bien sûr des conséquences sur la santé des familles (…) Cette situation inacceptable indigne ceux qui se pensent encore dans le pays des Droits de l’Homme… »
Source : Côté Caen
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