Sida : "J'ai contaminé ma fille, mais son enfant sera séronégatif"

Pascale, 54 ans, vit depuis trente ans avec le sida. Dépistée dix ans après sa contamination, elle avait donné naissance à une fille séropositive, qui attend aujourd'hui un enfant. A l'occasion du Sidaction 2015, elle témoigne.

J'ai été contaminée sexuellement en 1984, au tout début de l'épidémie, par mon petit-ami de l'époque. Comme 35.000 français, il ne savait pas qu'il était séropositif. Je prenais la pilule, mais je ne me protégeais pas. Le sida, ça ne touchait qu'une certaine catégorie de personnes les homosexuels, les toxicomanes. Moi, je ne me sentais pas concernée. Je n'ai été dépistée que dix ans plus tard. J'avais une bronchite qui traînait, mon médecin m'a suggéré un test de dépistage du VIH, et c'est là que j'ai su que j'étais séropositive. A ce moment-là, c'était un arrêt de mort: on me donnait trois, quatre ans à vivre. J'ai immédiatement pris l'AZT, un traitement qui m'a finalement sauvé la vie.

"Elle est trop jeune pour entendre le mot 'sida'"

Ma fille, ma petite chérie, avait alors 6 ans. Elle était en pleine forme et au départ, on m'a dit: "Rassurez-vous, elle n'est pas contaminée, sinon elle serait déjà morte." Mais mon médecin a quand même voulu la dépister, et nous avons découvert qu'elle était, elle aussi, séropositive. J'avais contaminé Audrey*. J'ai ressenti une culpabilité énorme, pendant des années. Elle a dû grandir dans le secret absolu. Il faut comprendre qu'à cette époque, les séropositifs étaient pestiférés. Des enfants étaient virés des écoles, car les parents avaient peur de la transmission. C'est pour ça que nous n'avons rien dit à personne; ce n'était même pas mentionné sur son carnet de santé. Elle devait prendre, comme moi, l'AZT toutes les quatre heures: j'avais donc mis le médicament dans un flacon différent et raconté à la maîtresse qu'il fallait lui donner pour soigner une allergie. Elle l'a fait sans savoir ce que c'était.

J'ai alors demandé aux médecins: "Est-ce qu'il faut lui dire?" "Surtout pas, elle est trop jeune pour entendre le mot 'sida', attendez qu'elle vous pose des questions", m'a-t-on répondu. Des années d'angoisse se sont passées en attendant cette question fatidique. Elle a grandi en prenant 35 médicaments par jour, en faisant une prise de sang tous les mois... Mais pourtant, les questions ne venaient pas. Puis un jour, alors qu'elle avait 16 ans, le proviseur de son lycée m'a appelée en me disant qu'Audrey était en pleurs. Au fond, elle se doutait qu'elle et moi avions un problème, et tout est remonté à ce moment-là. Pour moi, c'était un immense soulagement. Mais quand je lui ai annoncé, elle s'est mise à pleurer et elle m'a dit en paniquant: "On va mourir!" Pendant un an, elle a fait une grosse dépression. Elle a arrêté sa scolarité et était suivie par un psy. Puis elle a fini par aller mieux.

"La chance que je n'ai pas eue"

Lorsqu'elle a commencé à sortir, à flirter, j'ai eu peur qu'elle ait des déceptions. Moi qui ait toujours eu des compagnons séronégatifs, j'ai eu la chance de ne jamais avoir de refus, de ne jamais avoir été rejetée par un homme à cause de ça. J'avais peur pour elle. Mais non, elle a rencontré un garçon charmant avec qui elle est en couple depuis huit ans maintenant. Ça a été un soulagement de savoir que ma fille avait une vie affective normale. Elle continuait néanmoins d'utiliser le préservatif, même après le rapport Hirschel de 2008, qui dit qu'une personne séropositive dont le traitement est efficace (dont la charge virale est indétectable) ne risque pas de transmettre le virus.

Jusqu'au jour où ils ont eu envie d'avoir un bébé. Ils auraient pu avoir recours à l'insémination artificielle, mais ils ont préféré le faire naturellement. Et elle vient de m'annoncer qu'elle est enceinte de deux mois! Le bébé va naître séropositif, mais il recevra un traitement et deviendra séronégatif au bout de quelques mois. Elle pourra accoucher naturellement, simplement sa grossesse sera beaucoup plus suivie que celle d'une femme séronégative et elle ne pourra pas allaiter son enfant, à cause du risque de transmission du virus. C'est le plus grand des bonheurs pour moi. C'est la chance que je n'ai pas eue.

Il y a six ans, j'ai rencontré mon compagnon par l’association Aides. Il est lui aussi séropositif. Au début, je me suis dit que ça allait être trop difficile. En plus de m'inquiéter pour ma fille et pour moi, même si nous allons bien, je craignais de devoir m'inquiéter pour une troisième personne. Et puis finalement... Aujourd'hui, on est très heureux. Le préservatif, poubelle! Surtout, nous vivons la même chose, donc nous nous comprenons. Ça m'a changé la vie.

Comme moi, Bertrand est "un vieux séropositif" -j'ai été contaminée il y a 30 ans, et lui 24 ans. Aujourd'hui, nous n'avons plus qu'une prise de médicaments par jour, mais des années de traitement très lourd ont abimé notre corps et on ne peut plus revenir en arrière. Pour les femmes séropositives, les risques d'ostéoporose sont notamment plus élevés, et je dois passer un examen des os tous les trois ans. A 44 ans, Bertrand souffre actuellement d'un cancer des poumons, qui touche habituellement des personnes entre 65 et 70 ans. On peut donc aujourd'hui vieillir avec le sida, mais on vieillit plus vite. Un simple rhume peut dégénérer en quelque chose de très grave, très vite.

Si aujourd'hui je suis en bonne santé, je vis avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, d'autant que j'avance dans l'âge. Je vis la peur au ventre. C'est en moi. Je ne peux pas me projeter dans l'avenir, alors je vis au jour le jour. A chaque anniversaire, je me dis: "Une année de gagnée." Mais la maladie rend aussi plus fort. J'ai connu des périodes de dépression mais aujourd'hui, à 54 ans, j'ai envie de vivre le mieux possible. Je profite d'habiter à Bayonne, la plus belle ville du monde, pour faire des balades au bord de la mer. Je ne sais pas combien de temps il me reste, mais j'ai aujourd'hui une motivation supplémentaire pour me battre: j'ai envie de voir grandir mon petit-enfant.

Source : lexpress.fr