Henriette, esclave en France : «Je ne mangeais jamais à ma faim, je vivais un enfer»

Elle est la première à avoir osé porter plainte contre ceux qui la réduisaient en esclavage. Pour la Journée internationale de l'abolition de l'esclavage, Henriette Siliadin revient sur le calvaire qu'elle a vécu.

«Dès le premier jour, j'ai su que j'avais fait l'erreur de ma vie. Ma première nuit en France, je l'ai passée dans un couloir, avec à peine une couverture, en plein mois de janvier. J'avais encore l'espoir que les choses s'améliorent. Ça n'a jamais été le cas.

J'avais 14 ans quand on m'a proposé de quitter le Togo pour rejoindre la France. Une amie de mon père, Simone, qui vivait à Paris, proposait de m'héberger et m'inscrire au collège contre des petits travaux d'aide à la maison. Elle avait promis à ma famille de me donner une vie meilleure que celle que j'avais au Togo. Dès mon arrivée chez elle, j'ai déchanté. Elle vivait déjà avec une autre jeune fille, elle aussi réduite en esclavage. Nous devions nous occuper de tout à la maison, le ménage, le repassage, et aider le couple dans ses magasins textiles. Je ne touchais aucun salaire, mon passeport était confisqué. Je ne mangeais jamais à ma faim, je tombais dans les pommes en faisant le ménage parce que j'étais trop faible. Je suppliais Simone de pouvoir appeler mes parents, mais elle ne me laissait jamais leur dire la vérité sur ma situation, prétendait que j'étais capricieuse, insupportable.

Une voisine prévient la police

Comme elle ne pouvait plus me supporter au bout de 6 mois, elle m'a vendue à une de ses amies. Je suis restée 4 ans chez Aminata, son mari, et leurs enfants, dans un duplex du XVIe arrondissement de Paris. Ce sont ces enfants qui m'ont empêchée de me suicider, car ils m'apportaient de la joie et me défendaient auprès de leur mère. De nombreuses fois pourtant je sortais sur le balcon, au 13e étage, et je me disais qu'il serait si simple de me libérer enfin de ce destin. Je me disais qu'au Ciel je recevrais peut-être enfin de l'amour. Chez eux, je m'occupais donc des petits, je leur faisais à manger, je devais maintenir le domicile impeccable. Je n'avais jamais de jour de congé, jamais le droit de m'asseoir quand j'étais fatiguée. Je ne pouvais jamais prendre de douche chaude, je dormais par terre. Je suppliais Dieu tous les soirs de me sortir de cet enfer. J'avais 18 ans , j'étais désespérée. Quand j'essayais de me rebeller, Aminata me disait que si je parlais, personne ne me croirait jamais, que je serai renvoyée au Togo avec les menottes aux mains, comme une criminelle.

C'est finalement une voisine qui m'a sauvée. Elle me demandait souvent “Comment est-ce possible qu'à votre âge, on ne vous voit sortir que pour emmener et aller chercher les enfants à l'école?” J'ai tout avoué à cette dame, qui m'a d'abord conseillé de me taire et de prier Dieu pour qu'il me sorte de cet enfer. Mais six mois plus tard, la police a débarqué chez moi. La voisine les avait prévenus et ils avaient mené leur enquête. Je pleurais toutes les larmes de mon corps quand je les ai vus arriver. Dans mon malheur, j'ai eu la chance de rencontrer des personnes généreuses qui m'ont donné la force nécessaire pour aller jusqu'au bout, notamment auprès du Comité contre l'esclavagisme moderne. Aminata et son mari ont été condamnés à payer des dommages et intérêts. La France aussi a été condamnée en 2005 par la Cour européenne des droits de l'homme, pour n'avoir pas su me protéger. Mais je suis très reconnaissante à la France, c'est grâce aux lois loi de ce beau pays que j'ai pu m'en sortir et mener aujourd'hui la vie dont j'avais rêvé.»

Henriette