Les finances dans le couple, bien plus qu`une affaire d`argent
Marie n’aime plus Boris. Ils vivent plus ou moins séparément sous le même toit avec leurs deux fillettes. Boris n’a pas les moyens de partir s’installer ailleurs. Leurs conflits conjugaux se cristallisent autour de l’argent. Lui veut sa part de la maison, qui appartient à Marie, mais qu’il a entièrement rénovée et à laquelle il estime avoir donné de la valeur. Il en réclame la moitié, elle lui concède un quart de son prix. Inspiré d’une expérience vécue, le récit de cet affrontement est au cœur du film de Joachim Lafosse, L’Économie du couple (2016), sortie le mercredi 14 décembre en DVD.
Lorsque les couples en conflit envisagent de se séparer, l’argent devient souvent « le nerf de la guerre ». Chaque conjoint fait ses « comptes » et entend faire « payer » l’autre, au sens propre comme au sens figuré. « L’argent est plus que de l’argent, il est une compensation de l’absence d’amour », éclaire la psychanalyste Marie-Claude François-Laugier.
Dans le couple, l’argent est un symptôme, au même titre que la sexualité
Pour Véronique Acar-Egnell, thérapeute familiale au sein du mouvement« Retrouvailles », dans un couple, l’argent est un symptôme, au même titre que la sexualité. En cas de crise conjugale, il devient « un moyen de rétorsion, qui signifie que l’on n’est plus dans l’échange ». Chez les couples unis, existe une « économie cachée », selon Nicole Prieur, philosophe, et Bernard Prieur, psychanalyste. Dans un livre récent (1), le couple de thérapeutes met en évidence les enjeux relationnels qui se jouent autour de l’argent.
« Un billet de banque n’a pas la même fonction ni la même portée symbolique à différents moments de la vie conjugale et familiale », analysent-ils. « Dans un couple, il n’y a pas que des sentiments. Il y a aussi une part de calcul économique, même si cela n’est pas dit explicitement, de peur que l’argent vienne entacher les sentiments », souligne Bernard Prieur. « On n’ose pas toujours parler d’argent quand on s’aime mais on fait marcher sa calculette inconsciente », nuance Nicole Prieur. Madame remarque ainsi que monsieur ne lui offre jamais de fleurs et elle en éprouve une certaine frustration. Laquelle, accumulée, peut ressortir un jour, en cas de crise conjugale. Nicole Prieur le résume avec humour : « Quand on aime, on compte ! » « L’argent transporte avec lui une valeur extra-économique. Derrière les échanges financiers se glissent des attentes, des désirs, des besoins qu’il faut essayer d’énoncer », conseille Bernard Prieur.
Aborder la question permet d’assainir les relations
La gestion quotidienne ou la façon de dépenser du conjoint peuvent être vecteurs d’incompréhension et de rancœur au sein du couple. Aussi est-il naturel que la question de l’argent soit abordée au cours de la préparation au mariage, civil ou religieux. Pour ceux qui vivent déjà ensemble et ont des enfants, ce temps de réflexion sur l’histoire familiale de chacun, son rapport à l’argent, est parfois l’occasion d’échanger pour la première fois sur ce thème et de faire émerger pas mal de non-dits, ce qui permet d’assainir les relations. « Le couple en sort renforcé », se réjouit Agathe Henniart, déléguée générale de la Fédération nationale des Centres de préparation au mariage. « L’argent est un sujet personnel, intime, reconnaît Marie-Claude François Laugier. Mais à ne pas l’aborder avec son partenaire, on risque de courir à la catastrophe », prévient la psychanalyste.
« Chaque couple invente son propre fonctionnement »
L’argent représente-t-il la sécurité ? le plaisir ? le partage ? la transmission ? Même si le couple est porteur de visions contradictoires, il peut en parler de façon neutre et aimante, trouver un terrain d’entente, se faire un budget commun. Quitte à le réviser aux différentes étapes de la vie : naissance d’un enfant, retraite… « Chaque couple invente son propre fonctionnement, à partir de différentes sources d’inspiration », observe la sociologue Jeanne Lazarus. « Sur le plan de la répartition, le modèle traditionnel perdure : les femmes s’occupent plus souvent des courses, des dépenses liées aux enfants, tandis que les hommes prennent en charge les grosses dépenses, les loisirs, les vacances ». Une bonne gestion financière permet de se prémunir contre les disputes monétaires. On veille pour cela à instaurer des règles de partage et d’équité. « Cela signifie à la fois tenir compte des différences de l’autre (éducation, milieu social…) et rétablir une certaine indifférenciation dans un pot commun », détaille Marie-Claude François Laugier.
L’argent doit être envisagé comme un moyen de construire le couple
Afin qu’amour et argent fassent bon ménage, ce dernier doit être envisagé comme un moyen de construire le couple. Il est mis au service de la communauté conjugale et des enfants à naître. Le rapport à l’argent doit rester neutre. Si l’un des conjoints gagne plus que l’autre, chacun peut mesurer ce qu’il apporte au foyer, en dehors du monétaire : temps, soins, services… Les jeunes couples parlent plus facilement d’argent entre eux que leurs aînés. Il y a moins de réticences à interroger le notaire. « Quand un couple non marié signe l’acte d’achat d’un appartement, il n’est plus tabou de déterminer les différences d’apport de chaque concubin », indique Pierre Dauptain, notaire en région parisienne. Le couple est devenu à la fois plus fragile et plus lucide. Pour lui, l’espoir de durer n’est pas incompatible avec la prudence. « S’il devait se séparer un jour, au moins des problématiques d’argent ne viendraient pas mettre de l’huile sur le feu », approuve Pierre Dauptain. Dans la vie à deux, l’argent est une arme à double tranchant. « S’il est utilisé comme un outil de prise de pouvoir de l’un sur l’autre, il peut être source de domination ou d’emprise », déplore Agathe Henniart. Mais quand il constitue «une ressource, un carburant au service de la communauté, un moyen pour exprimer sa reconnaissance, son attachement à la relation, alors l’argent devient un ciment pour le couple », conclut Véronique Acar-Egnell.
Repères
Les femmes ont le droit d’ouvrir et de gérer un compte bancaire depuis 1965 sans l’autorisation de leur mari. 83 % de couples mariés ne font pas de contrat de mariage. 25 % des femmes gagnent plus que leur conjoint. Selon une étude du Credoc de 2015 : 97 % des couples se disent satisfaits de leur organisation financière. Parmi les couples sans enfant, 36 % mettent en commun leurs revenus, 36 % conjuguent une mise en commun partielle des revenus et une autonomie financière, 26 % se répartissent les dépenses, 51 % d’entre eux détiennent un compte joint. 59 % des couples avec un enfant mettent leurs ressources en commun. 71 % font ce choix quand ils ont trois enfants. Les questions d’argent sont la deuxième cause des séparations après l’infidélité.
Source: la-croix.com
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