La réussite des mamas Benz
Comme en Occident, les situations personnelles souvent difficiles reflètent des relations hommes-femmes d'autant plus chaotiques que l'émancipation des femmes se heurte à bien des résistances. Mais la situation est aggravée en Afrique par les conséquences de la « décennie du chaos » (1991-2001), caractérisée par l'effondrement des Etats, qui a vu se multiplier le nombre de conflits et de guerres civiles : 35 pays étaient en guerre sur 53 pendant ces années de violence, qui ont vu de nombreux hommes tués dans les combats et une culture de la violence se développer au sein de la jeunesse.
Ainsi, le viol systématique et le rapt des jeunes femmes, utilisées comme esclaves sexuelles, ont été des armes de guerre systématiques dans des pays tels que les deux Congos, le Soudan, l'Angola, la Sierra Leone ou le Liberia. Ces femmes devenues mères contre leur gré et souvent contaminées (MST, sida) sont aujourd'hui psychologiquement et socialement détruites. Rejetées par leur milieu d'origine, elles se retrouvent en ville, sans moyens financiers, réduites à la mendicité ou à la prostitution quand les ONG ne sont pas là pour leur fournir une assistance et un refuge. Plus de 40 % des prostituées sont séropositives en Afrique centrale et australe, régions qui ont été les plus touchées par la guerre. « L'amour qui passe » tue.
L'urbanisation a ainsi entraîné la liberté des femmes, mais aussi leur précarité. « Lieu d'émancipation », la ville est aussi un « lieu de perdition ». On le voit particulièrement à travers la contamination par le sida, qui présente en Afrique la spécificité de toucher aux deux tiers des femmes, contrairement à ce qui se passe dans le reste du monde. C'est la conséquence d'un contexte de pauvreté et de précarité sanitaire, alors que les échanges sexuels sont plus intenses qu'ailleurs, en raison de la polygamie, des viols en temps de conflits, mais aussi des désastres gynécologiques : MST et atteintes de l'appareil génital multiplient par dix le risque de contamination de la femme lors d'un rapport sexuel. En raison aussi de l'attitude irresponsable, voire criminelle, des Eglises, qui continuent de stigmatiser l'usage du préservatif, prônant l'abstinence et la fidélité dans des pays où le« vagabondage sexuel », selon l'expression de Roland Pourtier , reste très répandu. Le « deuxième bureau » (la maîtresse) est une pratique généralisée, chez les hommes aisés notamment.
On l'aura compris, les femmes africaines n'ont pas la partie facile. Mais cette difficulté est aussi ce qui les rend fortes. La formidable puissance économique et sociale des femmes africaines distingue en effet ce continent du reste du monde. Leur présence massive dans le secteur informel et la production de biens alimentaires font d'elles des agents économiques de premier plan, que l'émergence d'une société civile conduit de plus en plus à s'organiser. C'est désormais surtout avec les réseaux de femmes, coopératives de production, syndicats agricoles, associations de quartiers, que traitent les ONG internationales.
L'exemple le plus achevé de cette capacité d'organisation des femmes est celui des « nanas Benz » (parfois aussi appelées mamas Benz), ces femmes d'affaires des pays du golfe de Guinée, branchées sur toutes les opportunités offertes par la mondialisation. A l'origine, dans les années 1960, les nanas Benz (ainsi nommées parce que leur richesse leur permet de rouler en Mercedes) sont des vendeuses togolaises de pagnes, isolées, illettrées et sans moyens. Elles vont peu à peu s'organiser en un réseau formidablement puissant de commerçantes, diffusant dans toute l'Afrique de l'Ouest des pagnes imprimés originaires du monde entier . Cette affirmation croissante des femmes africaines se manifeste aussi dans les grandes conférences internationales, où elles apparaissent de plus en plus fortes et déterminées. Des personnalités comme Aminata Traoré ou Wangari Mathaai ont beaucoup contribué à diffuser dans le monde cette image de la « forte femme » africaine, à tous les sens du terme. Une femme qui a son franc-parler, tire les ficelles et dicte aux hommes ce qu'ils doivent faire. La femme africaine, un modèle de courage et de dignité pour le reste du monde ?
Source : scienceshumaines.com
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