Rajaâ Cherkaoui El Moursli : "Aussi bien que les hommes"
Lauréate du prix de la Fondation L'Oréal-Unesco, la physicienne marocaine situe son combat sur les terrains scientifique et politique.
Elle officie comme chercheuse en physique nucléaire et des hautes énergies à l'université Mohammed-V de Rabat. Le prix de la Fondation L'Oréal-Unesco qu'elle vient de recevoir pour la zone Afrique et États arabes est une véritable consécration pour celle qui a participé à la découverte du boson de Higgs, une particule élémentaire qui permet d'expliquer pourquoi certaines particules ont une masse et d'autres, pas.
Quelle a été votre réaction à l’annonce de cette récompense ?
J’ai appris la nouvelle alors que j'étais en réunion avec le président de notre université. Mon téléphone était en mode silence, mais j’ai vu que l’appel venait d’un numéro à Paris. L’une de mes filles y habite. Elle n’appelle pas si souvent, alors j’étais un peu inquiète. J’ai quitté la pièce, composé le numéro et quelqu’un de la Fondation m’a annoncé que j'étais la lauréate. J’ai d’abord pensé à une blague ! Pour moi, franchement, c’est une reconnaissance. Le hasard a fait que le même jour, j’ai appris la nouvelle de ma nomination à l’Académie des sciences du Maroc. Donc en plus d’une reconnaissance nationale, je recevais une reconnaissance mondiale pour mon travail. Il faut savoir que lorsqu’on fait de la recherche, c’est beaucoup de sacrifice. Pour moi, plus de trente ans de sacrifice. Mais quand je travaille, je le fais avec amour, même si bien souvent, j’ai eu des remarques de collègues me disant : "Mais qu’est-ce que tu cherches, qu’est-ce que tu crois, etc." Certains parmi eux m'ont par contre soutenue. Et le plus important pour moi est que je forme beaucoup de jeunes.
C'est le travail de toute une vie qui est ainsi reconnu ?
Pour moi, ce prix est vraiment mérité. Des efforts, j’en ai fait. Surtout en Afrique, vous savez comment ça se passe, il faut faire des efforts, non seulement scientifiques, mais aussi politiques, pour pouvoir faire accepter dans les mentalités que nous aussi, on est capables de faire aussi bien. Rien est impossible.
Comment avez-vous attrapé le virus des sciences ?
Très jeune à l’école, j’avais des prédispositions en mathématiques. En plus, je lisais beaucoup, même si les livres étaient rares. Je trouvais toujours des livres d’occasion et, moi qui étais myope, j'étais la seule de ma famille à lire autant. Donc même avec un certain nombre de défauts, on peut aller loin. Petit à petit, je me suis intéressée à d’autres choses. Après le bac, je suis partie faire mes études en France où j’ai rencontré des enseignants qui m’ont formée à la recherche. C'est grâce à eux que j’en suis arrivée là.
C’était dans les années 70. Depuis, le Maroc a t-il opéré des changements vis-à-vis des femmes scientifiques ?
Quand on est une femme, on attire beaucoup. Donc, les jeunes filles et femmes sont plus confiantes. En ce qui me concerne, je reçois tout autant de demandes de conseils de femmes opérant dans d’autres domaines. Je l’ai fait durant toute ma carrière. Maintenant les demandes vont augmenter, mais c’est comme ça que je peux faire bouger les choses en étant sollicitée. Au Maroc, il faut dire que dans les matières scientifiques, on a quand même des chiffres intéressants. Les femmes représentent entre 30 et 40 % des étudiants des grandes écoles scientifiques du pays. Cela dit, on a l’impression que les jeunes femmes, quand elles arrivent à un certain niveau, arrêtent, sauf lorsqu’elles ont le virus des sciences. C’est pour ça que je dis qu’il faut mettre des mécanismes en place pour le futur des jeunes parce que ce n’est plus pareil. Aujourd’hui, les jeunes veulent avoir tout, tout de suite. Si on n’instaure pas des mécanismes, ça risque d’être dangereux pour la recherche, parce que la recherche, c’est un domaine où il faut persévérer.
Comment persévérer alors que les financements dans la recherche se font rares ?
Sur place au Maroc, il n’y a pas tellement d’obstacles. Le problème, c’est surtout les finances, et là, c’est vraiment difficile. Actuellement j’ai réussi à faire venir deux étudiants au CERN dans le cadre du projet Atlas, mais le séjour, c’est le CERN qui le finance parce que les étudiants proposent et innovent dans le domaine. Bien sûr, on ne va pas rémunérer comme dans un pays développé, mais nous participons.
Mais ce prix peut-il contribuer à mieux défendre votre bataille ?
Ce prix L'Oréal-Unesco est important aussi parce qu'il montre que le Maroc est entré très tôt dans le processus. C’est vraiment un marketing qui est important parce qu’avant, pour la communauté scientifique, je parlais simplement. C’étaient des mots, mais là, elle voit que c’est du concret et que le Maroc est devant. Et bien après nous vient l’Afrique du Sud. Iil faut persévérer. Tout est possible, et il faut arrêter de dire qu’en Afrique tout est impossible. On a des compétences extraordinaires, on est un continent jeune, et les gens voient ça comme un désavantage, mais il faut arrêter avec ce discours qui est complètement faux, et transformer ce désavantage en avantage.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre dernière contribution qui vous a valu cette reconnaissance internationale ?
Ma dernière contribution a consisté à contribuer à la simulation et à la construction du calorimètre électromagnétique dans le détecteur Atlas. Il fallait d’abord organiser un réseau national. Cela a pris un an et demi pour pouvoir tout organiser et tout se faisait à nos frais personnels (téléphone, déplacements etc., NDLR). Le Maroc a accédé en 1996 à l’opération Atlas. Ce détecteur a été conçu et mis autour du grand collisionneur de protons. Plus un modèle est bon et plus on se rapproche de ce qu’il s’est passé au moment du big bang, et ça c’est important.
En faisant la fameuse découverte du boson de Higgs, on a vu qu’il y avait une nouvelle particule qui apparaissait,. On est quand même 3000 à mener cette expérience. Chacun prend un créneau et après il y a des équipes qui sont formées puis des sous-groupes et c’est comme ça qu’on arrive à ressortir tous les résultats. Donc, il faut une très grande synergie. Au bout de quelques mois, on se rend compte qu’on avait tout découvert parce qu’on est tous faits des mêmes particules élémentaires comme les briques d’une maison. Moi-même, la table, l’univers tout autour de nous est géré par des forces, mais on n'arrivait pas à expliquer d’où venait cette masse. On s’imaginait qu’après c’était le vide, mais en fait il y avait un champ, on l’appelait le champ X parce qu’un des physiciens s’appelait X, c’est un champ et quand les particules ont été créées pour qu’elles interagissent fortement avec ce champ, elles acquirent une masse grande et quand elles n'interagissent pas elles gardent une masse nulle comme le proton, et là on a découvert qu’effectivement c’est ce qu’il se passe. Alors trouver un boson de Higgs, c’est comme ouvrir une porte, et là on a compris qu’il y avait une nouvelle physique qui va apparaître. Maintenant le LHT va monter en énergie, mais il y a d’autres modèles qui prévoient un modèle à plus haute énergie, c’est-à-dire juste avant, quand l’énergie était encore plus grande après le big bang, donc qui prévoient d’autres bosons de Higgs, signe qu’on va trouver d’autres particules, et trouver d’autres modèles encore plus performants.
Quelle suite allez-vous donner à ce prix ?
J’ai déjà plusieurs propositions d’interventions dans les écoles pour sensibiliser les jeunes, et ça c’est important. Je me rappelle que, jeune, j’avais suivi à la télévision les premiers pas de l’homme sur la Lune et cela a éveillé ma curiosité, je voulais en être, donc aujourd’hui des jeunes filles ont la même réaction vis-à-vis de moi, elles veulent savoir et connaître qui est cette femme scientifique qui a reçu un prix, ce qu’elle a fait. Je pense que lorsqu’on touche la curiosité d’un enfant, eh bien c’est déjà gagné.
Et sur le plan continental ?
Il y a quelque chose qui me tient à coeur. C’est que nous, le Maghreb, partie intégrante de l’Afrique, regardons vers l’Europe. D'autres parties regardent vers l’Europe et les États-Unis, le Moyen-Orient regarde vers les États-Unis et l’Angleterre. Nous, on ne se regarde pas entre Africains, et ça fait mal au coeur. J’espère qu’il y aura plus de dialogue Sud-Sud. Moi, je milite dans ce sens, surtout avec certains pays dont on est très proches. Regardez la coopération du Maroc avec la France, elle est claire, limpide ; il y a des équivalences de diplômes, de postes, etc. Il faudrait faire pareillement avec les pays du Sud.
Source : afrique.lepoint.fr
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