``Les Aquatiques `` : le roman d’une femme africaine de notre époque


La documentariste et photographe franco-camerounaise Osvalde Lewat s’essaie à un premier roman extrêmement maîtrisé, portrait d’une femme africaine au XXIe siècle et, à travers elle, des fragilités de la société africaine.

Vingt ans après l’enterrement de sa mère – scène qui ouvre le roman et en donne le ton, drôle et tragique –, Katmé doit faire déplacer la tombe. Aussitôt, son mari, préfet de la capitale, y voit une opportunité politique qu’il compte exploiter sans état d’âme. Un événement catalyseur pour la jeune femme, bientôt suivi d’un autre : son meilleur ami, accusé d’homosexualité, est emprisonné. Jusqu’ici endormie dans la confortable position sociale et matérielle de « maman préfète », Katmé entame une réflexion sur sa vie et pose un regard sans fard sur cette société africaine dominée par les faux-semblants, où, hors du mariage, point de salut pour une femme.

Pourquoi avoir choisi le roman plutôt que le documentaire ?

« La littérature s’inscrit vraiment dans le continuum de mes envies de raconter le monde. J’ai commencé par le documentaire, puis la photographie, mais mon premier désir de raconter le monde était vraiment un désir d’écriture de roman. J’ai longtemps porté en moi ce désir, avec le sentiment que je ne pourrais jamais être à la hauteur, tendre vers mes héros et héroïnes littéraires. Quand on a lu Mémoires d’Hadrien, Le monde s’effondre, Le Carnet d’or... on se sent un peu écrasé et ce sentiment d’incapacité à raconter le monde et à trouver le juste mot pour écrire m’a paralysée pendant de très nombreuses années. Un jour, j’avais déjà réalisé plusieurs films, fait plusieurs expositions de photographies, je me suis dit, c’est le moment. Mais je dois aussi ajouter que je portais en moi l’histoire des Aquatiques depuis très longtemps : je vivais une relation fusionnelle avec un ami, et j’avais déjà l’idée de raconter une histoire d’amitié très forte, totale, irréductible. Au fil des années, ce désir s’est densifié, à cause de mes confrontations avec la vie, j’ai eu envie de la raconter dans un contexte où des personnes avec des existences rangées se retrouvent confrontées aux soubresauts de la vie. Comme ça que les Aquatiques sont nées. »

Qu’est-ce que le roman apporte de plus que cette autre forme de récit, très forte, qu’est le documentaire ?

« C’est différent dans la mesure où on peut subvertir la réalité grâce à la fiction romanesque. C’est une chose qui me manquait. Le journalisme et le documentaire m’assignaient à l’exactitude. Alors qu’avec le roman, je peux inventer un monde, créer des personnages, donner vie à une histoire uniquement à partir de mon imagination. C’est un pouvoir extrêmement important, celui de poser un regard sur le monde, raconter des êtres aux prises avec la vie sans être limité par les faits. Le réel dans le roman nous permet de voyager, de réinventer le monde, de l’enchanter aussi. J’ai toujours été attachée à la musique, la couleur des mots. J’entends les mots comme des notes, mes phrases comme une musique et c’est une liberté, un affranchissement que je ne pouvais trouver que dans l’écriture romanesque. Si je suis honnête, je dirais que je place le roman au-dessus de mes élections hiérarchiques. Le documentaire a une place essentielle dans mon travail de création. Mais peindre le monde avec une palette que j’ai choisie est un pouvoir qui me séduit beaucoup plus. » …suite de l'article sur lavoixdunord