En Afrique, les femmes à l’assaut des civic tech
Sur le continent africain, le monde des initiatives citoyennes sur Internet est en plein essor. Tourné vers les pays de l’Afrique francophone, le programme « Connexions citoyennes » encourage la professionnalisation du secteur, en mal de formations et de financements. Pour les femmes qui s’y lancent, il s’agit aussi d’affronter le patriarcat.
Encouragée par la salle, la jeune femme prend la parole la première. Elle se lève de derrière son ordinateur, dégage son sac à dos peluche en forme de léopard, retire son masque en Wax – crise sanitaire oblige – et se lance. Son énergie lumineuse, et son débit assuré captent l’attention de tous. « Offrir un canal médiatique sur les questions environnementales était un véritable challenge, j’ai osé et ça a pris », s’enthousiasme-t-elle. Du haut de ses 34 ans, Rolande Aziaka est à la tête d’Eco Conscience, la première Web-Tv entièrement dédiée aux questions climatiques du Togo. Elle fait partie des onze personnes sélectionnées ce jour-là à Abidjan, la capitale de la Côte d’Ivoire, pour suivre une formation encourageant l’émergence de projets numériques d’actions citoyennes en Afrique francophone.
De l’open data, au management, en passant par les différentes licences juridiques requises, mené par l’agence française de développement médias CFI et l’agence française de développement (AFD), le projet « Connexions citoyennes » mise sur la civic tech. Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Sénégal, Tchad… Issus de quatorze pays, 25 jeunes porteuses et porteurs de projets innovants bénéficient d’un programme d’incubation pour développer leurs initiatives. Une aide financière pourra être attribuée en fin de programme (en janvier 2022) à certains projets sélectionnés. Une chose est sûre : la parité a bel et bien été, ici, respectée – tandis que 30% seulement des candidatures étaient féminines. « Nous n’avons pas dû aller chercher bien loin, les participantes choisies avaient des projets très solides », assure Emilie Bergouignan, responsable de Connexions citoyennes au CFI.
Rolande Aziaka (© Rodrigue Dehedi )
Un pari pour le moins ambitieux pour ces femmes originaires de pays africains où l’accès à l’Internet mobile est rare, et où le réseau électrique est souvent instable – preuve en est, la formation a dû changer de lieu à la dernière minute à cause d’une panne géante dans l’incubateur choisi pour l’occasion. Surtout, c’est aussi une petite révolution vers l’égalité qui se joue ici. Avec un poids religieux – à majorité catholique et musulman – et traditionnel très fort, leurs pays sont aussi marqués par une prédominance masculine qui relègue les femmes au rang d’épouses, et surtout de mères. Sur les cinq chercheuses, activistes et entrepreneuses rencontrées ce jour-là, une, seulement, est mariée avec enfants.
« Nous savions que le mouvement MeToo ne prendrait pas chez nous, car tout est fait pour que les femmes continuent de se taire », martèle Caroline Mveng Mengue derrière ses longues tresses bleues tout en dégustant son déjeuner. La voix basse, son débit s’accélère en listant les violences faites aux femmes qui frappent son pays, le Cameroun. « Il est urgent de rendre les femmes visibles dans l’espace public pour que la honte change de camp ». « Rendre les femmes visibles dans l’espace public », c’est justement ce à quoi elle s’emploie. Caroline a la petite trentaine et déjà un parcours brillant : activiste des droits de l’Homme, militante dans plusieurs associations qui œuvrent pour l’égalité femmes-hommes, et blogueuse reconnue. Lasse d’entendre, depuis des années, les médias camerounais dire qu’ils ne savent pas où trouver les femmes à interviewer, elle a décidé de prendre les choses en main.
Sélectionnée en mars 2021 par Connexions citoyennes, elle prévoit de lancer une plateforme en ligne qui agrégera les contacts de femmes expertes en Afrique francophone. Son nom ? « Elles rayonnent ensemble ». « Il est temps de faire taire les préjugés selon lesquels nous ne serions expertes en rien », martèle-t-elle, la détermination sans faille. Nous lui montrons alors de l’annuaire des Expertes fondé en 2015 par l’activiste française Caroline de Haas – visant à répondre aux mêmes préoccupations. Caroline Mveng Mengue, elle, voudra ajouter des vidéos à relayer sur les réseaux sociaux. Si le taux de pénétration d’Internet n’est que de 34% au Cameroun, il progresse vite, d’années en années.
Ndiague Faye (© Rodrigue Dehedi )
Son déclic féministe, elle l’a eu vers l’âge de 16 ans, suite à un traumatisme qui a marqué sa famille à vie. Alors étudiante, sa sœur aînée a été violée par un camarade qui l’a suppliée de se taire, redoutant les représailles populaires. « Ce sont toujours des hommes qui viennent de familles riches, et qui savent que, malheureusement, nous sommes dans un pays corrompu… » Sans fard, elle raconte les accueils glaçants dans les commissariats, les récurrents « vous étiez habillée comment aussi ? », et le cyberharcèlement des féministes qui osent prendre la parole. A celles et ceux qui lui reprochent un militantisme emprunté aux européennes, Caroline cite du tac-au-tac les combats menés par la première génération de militantes de l’Association des femmes camerounaises (Assofecam) créée en 1946.
A la table d’à côté, Ndiague Faye, 32 ans, hausse les épaules, et lève les yeux au ciel. Elle abonde dans le même sens : « Si l’on fait des études longues, que l’on veut avoir une carrière, et ne pas faire d’enfants jeune, on nous reproche de vouloir imiter les françaises. » Doctorante en sciences politiques, Ndiague est chargée de programme Gouvernance et Processus politiques à l’Institut de Gorée, au Sénégal. La voix monotone, il se dégage d’elle un profond sentiment de sérénité. La chercheuse planche sur une plateforme collaborative de co-construction des politiques publiques au Sénégal qui rassemblera les initiatives menées localement afin que le gouvernement prenne conscience des aspirations profondes des citoyens, et notamment de la jeunesse....La suite de l’article sur lesinrocks
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