Megane Boho, présidente de la ligue ivoirienne des droits de la femme : la nécessité d’un centre d’accueil fonctionnel pour les ``survivantes``
Megane Boho, 25 ans. Elle travaille comme gestionnaire de compte de presse à African Media Agency, une agence de communication de media. Présidente de la ligue ivoirienne des droits des femmes (LIDF), elle consacre une autre partie de son temps à lutter contre violence sexuelle, physique, psychologique et sexiste faite aux femmes. Comment meuble-t-elle ses journées? Quelles sont les difficultés rencontrées dans l’exercice de ces différents domaines? Elle livre quelques aspects de cette double activité.
Un honneur pour nous de vous recevoir présidente. Que devons nous comprendre par ligue et quels sont vos objectifs?
La ligue ivoirienne des droits des femmes est un réseau féministe qui a pour but de lutter contre tout ce qui est violences sexuelles, physiques, psychologiques et sexistes faites aux femmes. Nous avons pour objet de créer un certain lien entre les victimes que nous appelons ‘’survivantes’’ dans notre jargon de violence basée sur le genre et les autorités compétentes c’est-à-dire que nous voulons créer une certaine confiance pour que, lorsqu’il y a des cas de viol, de violences physiques ou conjugales, les autorités puissent se saisir de ces affaires sans que les victimes ne puissent passer par beaucoup de tracas. Bien souvent, c’est le constat que nous faisons. Le deuxième point, c’est que nous voulons lutter contre les violences faites aux femmes et faire des sensibilisations et de l’éducation sur ce qui est violence, ce qui est féministe également. En somme, c’est un réseau féministe et notre volonté c’est notre engagement dans la défense des droits des femmes. Une autre volonté et non des moindres, c’est essayer de créer une certaine sororité, c’est-à-dire un certain lien entre les femmes ivoiriennes à travers la fédération des associations, des personnes qui luttent ensemble contre tout ce qui est violence faite aux femmes. En un mot, il s’agit pour nous d’être le canal par lequel les survivantes qui ne veulent pas aller devant la loi ou les autorités compétentes pour que nous puissions nous auto-saisir de certains cas et faire porter leur voix. Nous sommes en quelque sorte la voix de ceux qui n’ont pas de voix.
25 ans, n’est-ce pas une charge assez lourde pour votre si jeune âge?
Comme le dit le dicton, aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. L’âge n’est pas synonyme de maturité même si c’est le cas souvent. Mais c’est plus les expériences de la vie qui forment une personne. Et je peux dire que je me suis très lancée dans tout ce qui est engagement communautaire.
J’ai été formée par ce que j’ai vécu, par ma famille. Parlant de mon côté multiculturel, je suis sénégalo-ivoirienne. Cette facette me donne une certaine diversité non sans évoquer aussi bien les voyages et les formations que j’ai pu faire, que les personnes que j’ai pu rencontrer. Cela m’a permis d’emmagasiner de bonnes expériences de vie. En aucun cas mon âge, dont je fais fi quand je vais travailler, n’a été un frein pour moi. Quelquefois peut être à la rencontre des communautés, le fait de nous voir si jeunes et petites, laisse perplexe. Mais lorsque nous commençons à parler, et qu’on nous voit à fond dans notre combat, ils se disent “bien voilà, nous avons besoin de jeunes filles comme celles-là”.
Alors quelles sont les actions déjà menées par la ligue ivoirienne pour le bien être des femmes?
Et bien, nous faisons beaucoup de sensibilisation parce que la ligue est née sur les réseaux sociaux. Une chose que nous devons dire, c’est que la ligue est née sur les réseaux sociaux parce que j’avais remarqué que certaines de mes soeurs ivoiriennes avec lesquelles je partageais les idées et idéaux avaient la même vision que moi. Je me suis alors dit, pourquoi ne pas nous mettre ensemble et mener le combat. C’est de cette façon que nous est venue l’idée de commencer sur les réseaux sociaux. Dans la pratique et la partie visible de ce qu’on fait, c’est beaucoup de sensibilisation sur les réseaux sociaux en essayant d’éduquer à notre manière. La partie cachée de l’iceberg, c’est l’accompagnement psychologique, l’appui juridique, l’appui social que nous offrons aux survivantes quand on nous sollicite. Comment nous joindre, vous serez tentée de me demander. Nous sommes joignables via notre page Facebook et à travers un numéro vert. Lorsque nous recevons un appel, nous nous déplaçons vers la victime et on essayons d’écouter attentivement son histoire puisque c’est la première des choses dans notre action.
Il arrive des fois que gênées, des femmes refusent de dénoncer leur violeur ou bourreau. Dans un cas pareil, que fait la ligue? Va-t-elle s’auto-saisir pour défendre la victime?
Il est important à ce stade de notre entretien, que les gens comprennent que nous ne poursuivons personne en justice. Nous sommes seulement là que pour la survivante. Et nous ne faisons que ce que la ou les victimes nous demandent de faire. Rien de plus. Et si d’aventure, le cas dépasse nos compétences, que le procureur veut s’auto-saisir de l’affaire, cela n’engage que le procureur. On n’a rien a y voir. Ce que nous faisons surtout, c’est aller à la rencontre de la victime.
Si c’est au téléphone, nous l’écoutons puis nous déplaçons des bénévoles, ou les membres du bureau. Dans l’attention que nous lui accordons, nous essayons de la rassurer au mieux en lui disant qu’elle n’est pas seule. Il est question à cette étape de faire en sorte que la victime nous ouvre son coeur. Nous lui disons par exemple que peu importe ce qui s’est passé, ce n’est pas sa faute. C’est après que nous analysons la nécessité ou non d’un appui psychologique urgemment, d’un appui médical, si elle n’a pas encore le certificat médical, ou si elle n’a pas vu un médecin. Nous l’aidons à entreprendre toutes ces démarches et à les faire aboutir avec nos propres fonds. Il faut qu’on le souligne. Nous entamons notre soutien par les premiers soins de base et après on appelle le conseil national des droits de l’homme, pour les questions juridiques, un de nos partenaires. Moi aussi, je vais souvent en intervention. Mais il y a aussi des bénévoles qui sont des juristes qui nous aident dans certains cas. Au niveau social, on fait des levées de fonds avec des donateurs anonymes engagés à nos côtés pour qu’on puisse s’occuper de ces femmes. Mais nous n'aimons pas sur le court terme ou de façon périodique. C’est dire que quand on prend des cas, on les suit jusqu'à la fin. Si la victime veut porter plainte, on l’accompagne pour le faire. Mais on obligera jamais une victime d’aller porter plainte parce que porter plainte, c’est un long cheminement, elle va devoir affronter son agresseur, affronter sa famille, affronter le regard des autres. Si elle n’est pas préparée, si elle ne veut pas, cela prouve que c’est elle avant tout, c’est comment elle se sent.
Hormis les levées de fonds pour aider les victimes, une subvention vous est elle octroyée pour la bonne marche de vos actions et luttes?
On n’a pas de subventions, néanmoins on est entrain d’en chercher et on a des appuis sur des événements précis. On a même un de nos partenaires, EngenderHealth, qui est une ONG américaine qui nous appuie sur les questions psychologiques, sur les questions des droits des femmes. Ils nous ont appuyé(e)s sur une activité le 6 juin dernier. Au cours de cette activité, nous avons réuni 50 survivantes qui ont effectué le déplacement. Nous avons également eu des cabinets, des cabinets juridiques, des cabinets psychologiques et des cabinets en santé de la reproduction, que nous avons ouverts le même jour. C'est vous que sur le champ, elles ont pu consulter des gens, leur dire ce qu’elles pensent et nous avons pu faire des suivis pour leur cas. Donc nous avons des personnes que ces cabinets appuient de manière périodique sur le cas. Nous avons aussi le comité national de lutte contre les VBG qui est sous la coupole du ministère de la femme qui nous accompagne sur le volet psychologique; c’est-à-dire qu’il nous permet de rentrer en contact avec des psychologues. Mais souvent pour certains cas, il y a des psychologues qui sont bénévoles, comme je l’ai dit tantôt, qui prennent des cas. On a par exemple eu le cas d’une fillette de 8 ans qui a été violée. Ce cas s’inscrit dans le domaine de la pédopsychiatrie pour les enfants. Donc nous étions obligé(e)s de chercher quelqu’un qui est du domaine et qui nous accompagne.
En tant que présidente de la ligue et malgré la défense des droits de la femme, on remarque que ceux-ci ne sont toujours pas respectés. Quelle est la faille dans votre système de lutte?
La faille n’est pas au niveau du système parce que on voit de plus en plus de femmes qui osent parler. La faille vient de notre société qui continue de s’enraciner dans la culture du viol par exemple, qui continue de penser que la violence est normale. On remarque que la société est de plus en plus violente. On constate également qu’on traîne aussi souvent des séquelles de guerres, de crise, qui font que le viol est devenu une arme destructive pendant les combats et ces personnes qui ont été dans ces zones, quand elles reviennent en société, c’est compliqué d’enlever ce qu’elles ont emmagasiné pendant des années. Et la société devient de plus en plus méchante. Il y a des personnes qui ont pris la violence comme une chose étant normale depuis des années. Et on transmet cela à nos enfants. Quand on a vécu dans un environnement violent, on transmet cela à nos enfants. Et c’est une chaine, il faut qu’on la brise. C’est parce qu’on a continué d’alimenter cette culture du viol que quand quelqu’un a été violé, on dit elle s’est fait violer. Mais non... elle ne s’est pas fait violer, on l’a violée. parce que ce n’est pas sa faute. On lui demande tu étais où à cette heure là? Tu avais porté quoi? Mais il y a des bébés qui sont violés. Ces bébés-là avaient porté quoi? Rien! C’est là qu’on voit que la faille ne vient pas de la lutte, mais plutôt de la société et aussi de nos autorités qui devaient taper sur la table. Il y a des lois qui sont là. Mais est-ce qu’on a eu des exemples types c’est-à-dire des personnes qui ont été condamnées pour viol? Il faut qu’on ai beaucoup de répression parce qu’on a l’impression que c’est trop léger. Normalement quand il y a un cas de viol sur enfant, le ministère de la famille devrait s’auto-saisir du cas et faire en sorte que la personne soit arrêtée, appréhendée et condamnée pour que cela fasse office d’exemple. Plus il y a des exemples, plus ça va faire peur. Il ne faut pas juste que ça s’arrête à la répression, c’est pour cela qu’on fait beaucoup de sensibilisation.
La ligue a pour projet de faire assez de choses. On veut aller dans les communautés, utiliser le langage qu’ils comprennent, les langues locales. On veut aller vers les autorités traditionnelles pour leur dire que c’est compliqué le bouleversement qu’on apporte au niveau de nos cultures. Mais il faut privilégier la vie.
Dans le cadre du viol des enfants, est ce que ce ne sont pas des personnes psychologiquement atteintes?
Psychologiquement atteintes? ça dépend des personnes mais il faut être mal intentionné à la base pour pouvoir penser qu’un enfant puisse te donner une certaine pulsion. On va dire que d’autres ne sont pas normaux, oui mais avant, il y a plein de personnes qui le font car selon elles, elles ne peuvent pas maîtriser leur pulsion. Mais arriver à penser jusque là, il y a un processus qui a commencé depuis la base. je trouve qu’il y a des personnes foncièrement méchantes. On ne peut pas mettre ça sur le compte d’un dérèglement psychologique. Ces personnes savent ce qu’elles sont entrain de faire. Quand tu vois un enfant et tu as des désirs vers cet enfant là, normalement si c’est psychologique, elle doit se faire soigner, et non aller accomplir sa sale besogne. Moi, je ne suis pas pour qu’on dise qu’il y a un dérèglement psychologique.
Au-delà des sanctions et autres, que préconise la ligue? Faites vous des plaidoyers?
Nous la ligue, on est beaucoup opérationnelle. Ce qui nous manque en Côte d’Ivoire, c’est le refuge pour accueillir les femmes survivantes. Le plus gros problème qu’on rencontre, c’est quand on va rencontrer une femme qui est en danger. Elle dit ‘‘je veux partir mais partir où?’’. On nous a parlé d’un centre Pavios depuis des années, on n’a jamais vu l’effectivité de ce centre. On nous a montré, il y a quelques semaines de belles photos avec des remises de matériels, il n’est pas fonctionnel. Donc la ligue veut créer son propre centre de la société civile, parce qu’il ne faudrait pas tout le temps attendre nos autorités. C’est vrai que c’est leur devoir, mais il faut que nous-mêmes on se mette à la tâche aussi. Donc on veut notre centre, notre refuge pour que ces femmes aient des endroits où partir. Actuellement où je vous parle on a peut être plus de dix cas sous la main, on ne sait pas où les loger. On est obligé de faire du porte à porte, d’appeler des personnes pour assistances. Ca ne devrait pas être un souci, Normalement on devrait avoir un centre pour que les femmes puissent se sentir en sécurité. La ligue préconise qu’il y ait un centre. Que le centre Pavios qui est là, soit fonctionnel et qu’il n’y ait pas qu’un seul centre de ce type. Les violences conjugales ne sont pas seulement à Abidjan. on intervient partout en Cote d’Ivoire; Bondoukou, Odienné... On a fait venir il n’y a pas longtemps, une femme qui a été brûlée à l’huile chaude par son époux. On ne peut pas concentrer tous les centres à Abidjan mais on peut commencer au moins par le centre qui est Abidjan. Ça c’est le plus gros challenge qu’on a. Beaucoup de sensibilisation, il faut que nos autorités soient à la tâche. on ne veut pas juste les voir entrain de faire des colloques, on veut le voir sur le terrain, au côté des femmes, entrain de faire de la sensibilisation, on veut les voir prendre ce problème la à bras le corps et aussi appeler les organisations de la société civile. On est sur le terrain, il y a certaines choses que nous voyons mais qu’eux ne voient pas. Il faut une certaine synergie parce que ce n’est pas à nous de courir vers eux. Ca devait être un travail d’équipe au fait.
Que pensez-vous du 08 mars 2020, la journée internationale des droits de la femme en Côte d’Ivoire?
La dernière fois le 8 mars 2020 sur les réseaux sociaux, il y a eu un gros boom, peut être que vous n’avez pas vu. Mais, si on veut dire, c’était comme un boycott du pagne du 8 mars parce qu’on était vraiment en colère. le 8 mars, le pagne change et nos droits? Le 8 mars, nous avons besoin de voir des femmes qui marchent en colère dans la rue pour dire que nous ne voulons plus. Le 8 mars ce n’est pas allé fêter dans de beaux pagnes. Et après, qu’est-ce qui se passe? Le 8 mars serait peut-être un engagement avec des campagnes publicitaires partout: ‘’on ne touche pas à un enfant de cinq ans’’, pourquoi pas... Des actions pour éveiller les consciences. C’est ce qui devait être notre 8 mars et la ligue prévoit plein de choses dans ce sens. On espère avoir l’appui de nos autorités.
A part le centre, avez vous d’autres projets?
Comme je l’ai dit à l’entame de mes propos, notre plus grand projet, c’est notre centre. Et nous avons beaucoup de projets d’éducation sur les questions de culture du viol, comme je l’ai dit, de sensibilisation chez les jeune femmes et les jeunes hommes. Car il ne faut pas oublier que ceux qui commettent ces actes, ce sont ces jeunes hommes. Il faut les impliquer aussi dès le bas âge pour comprendre que la femme est un être humain qui a le droit d’exister, que la femme n’est pas une machine à faire des enfants, que la femme n’est pas une machine à lui couper certaines parties, certains droits.
En fait, c’est depuis la base qu’il faut éduquer et nous voulons le faire. On des projets d’éducation dans plusieurs villes de la Côte d’Ivoire et la ligue n’est pas seulement qu’en Côte d’Ivoire. Il y a la ligue France, Bénin. Donc nous sommes entrain de nous structurer pour qu’il y ait des activités dans chaque pays dans lesquels nous avons une représentation. Et chaque journée internationale, ou journée dédiée aux femmes, nous voulons les marquer en acte pour que les gens puissent se rappeler que nous ne sommes pas seulement sur les questions de sensibilisation dans la bouche, mais bien plus que nous sommes sur le terrain. Et notre plus grand projet, c’est de permettre que ces femmes soient autonomes financièrement. C’est important. Nous y travaillons, nous ne faisons pas que
L’accompagnement. Nous voulons que ces femmes puissent avoir des fonds pour se lancer dans l’entrepreneuriat.
A l’occasion du 20ème anniversaire du décès de la princesse Diana, vous avez reçu un prix... De quoi s’agit-il exactement?
Le ‘’Diana Award’’, c’est un prix qui récompense des jeunes qui, à travers le monde, ont accompli de grandes choses dans le domaine communautaire et qui sont engagés pour leur communauté. Ce prix vient couronner toutes ces années que j’ai eues à donner dans l’engagement communautaire parce que très jeune, je me suis engagée dans tout ce qui est leadership. Je ne savais pas au début que j’allais me retrouver du côté du leadership féminin. Le ‘’Diana Award’’ c’est d’ailleurs mon premier prix international. Et d’ailleurs, j’étais la seule francophone de la liste.
Yolande Jakin
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