Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi : les trois militantes à l`origine de Black Lives Matter

Elles s'appellent Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi. À elles trois, elles ont lancé en 2013 un mouvement d'ampleur mondiale contre le racisme : le #Blacklivesmatter. Retour sur les pas de celles qui, par l'intersectionalité, espèrent faire reculer les discriminations raciales.

Elles s'appellent Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi. Trois femmes racisées américaines. Deux d'entre elles sont queer. À elles seules, elles ont lancé un mouvement anti-raciste d'envergure, repris des réseaux sociaux à la rue, et ce aux quatre coins du monde. Ce mouvement, c'est Black Lives Matter, à comprendre "les vies des noirs comptent" en français. Symbole de la convergence des luttes, il replace les personnes noires au centre du débat public.
Sur son site web, Black Lives Matter reconnaît ses objectifs comme tel : "Éradiquer la suprématie blanche et créer des pouvoirs locaux capables d'intervenir contre les violences systémiques commises à l'égard des communautés noires. En combattant et contrant cette violence, explique l'organisme, le but est de créer un espace, une place, pour que les personnes racisées puissent imaginer et innover, ce qui devrait leur permettre de vivre plus dignement."

Depuis les récentes manifestations contre les discriminations raciales qui frappent le monde, le mot-dièse #Blacklivesmatter a été repris partout. Comment est-il né ? D'où tient-il sa force, et sa popularité ?  

1/4 Le déclencheur : la mort de Trayvon Martin

Le mouvement Black Lives Matter a pris racine en 2013, en réaction à la mort de Trayvon Martin. L'adolescent noir de 17 ans est abattu, non armé, par un vigile du nom de George Zimmerman dans la nuit du 26 février 2012. Il est acquitté du meurtre l'année suivante, ce qui crée l'indignation sur les réseaux sociaux, d'autant plus qu'il a reconnu l'avoir tué simplement parce qu'il trouvait l'adolescent suspect.
Face à ce qui a tout d'une injustice fondée sur des stéréotypes raciaux, Alicia Garza, une militante américaine de la communauté LGBTQ+, réagit sur son profil Facebook personnel. Alors âgée de 32 ans, elle termine son long billet de révolte par ces mots : "Individus noirs. Je vous aime. Je nous aime. Nos vies comptent, les vies noires comptent." Première occurence de l'expression "Black Lives Matter".
Très vite, une autre activiste queer lui répond, interpellée par le post Facebook. Il s'agit de Patrisse Cullors, résidant à Los Angeles. Elle utilise à ce moment-là le hashtag #Blacklivesmatter pour la première fois. Les deux femmes échangent et contactent la New-Yorkaise d'origine nigériane Opal Tometi, qui les rejoint.
Toutes les trois, elles créent des comptes Tumblr et Twitter usant de ce slogan, et débutent une campagne en ligne pour le promouvoir. Black Lives Matter est né.

2/4 Trois femmes, un mouvement

Les trois femmes se rencontrent grâce à un organisme national intitulé "Black Organizing for Leadership & Dignity" (BOLD). Celui-ci a pour but de former les individus noirs aux États-Unis à organiser des actions groupées pour mieux défendre leurs intérêts. 
Alicia Garza est une militante et éditorialiste queer vivant à Oakland, en Californie. Elle est connue avant la fondation du mouvement pour son engagement contre les violences policières. Elle lutte aussi pour un meilleur système de santé américain, davantage de protections pour les femmes employées domestiques ainsi que pour les étudiants. Elle prend aussi position contre les violences faites aux individus transgenres et plus largement contre la communauté LGBTQ+.

Au sein du mouvement, elle défend que pour éliminer les inégalités raciales, les questions de genre doivent être considérées. Elle écrit pour plusieurs médias reconnus comme The Guardian ou le New York Times. Elle est mariée depuis 2008 à un activiste transgenre du nom de Malachi Garza. En tant que femme queer, il lui tient à coeur de "déconstruire le préjugé affirmant que seuls les hommes cisgenres noirs seraient victimes de violences policières", dit-elle sur le site web Blacklivesmatter.com.
C'est la ressemblance frappante entre Trayvon Martin, injustement tué, et son plus jeune frère, Joey, qui l'incite à publier sur Facebook ce billet, fondateur du mouvement Black Lives Matter. Elle rédige "A Love Note to Black People" ou "Lettre d'amour aux personnes noires" en français, parce qu'elle est convaincue que son frère aurait pu être tué à la place de Trayvon Martin. 

Patrisse Cullors, elle, est une artiste et activiste américaine. Elle s'identifie elle aussi comme une activiste queer. Elle se bat contre le racisme mais aussi contre le système carcéral américain, qui discrimine doublement les personnes racisées. Son activisme découlerait des violences subies par son frère de 19 ans, alors qu'il était emprisonné à Los Angeles. Elle a grandi dans un quartier très surveillé par la police, elle raconte "avoir vu sa fratrie subir des agressions par la police" et "sa maison être perquisitionnée".
Aujourd'hui, elle est une autrice à succès soutenue par le New York Times. Récemment, elle a réalisé POWER: From the Mouths of the Occupied, une performance artistique censée pointer du doigt la criminalisation des personnes noires aux États-Unis. Lors d'une interview pour Ted, elle expliquait en 2016, à propos du mouvement : "Black Lives Matter est notre appel à l'action. C'est un outil pour repenser un monde où les personnes noires sont libres d'exister, libres de vivre."

Quant à Opal Tometi, elle est devenue une activiste américaine reconnue en étant publiée par des médias comme Glamour, le Time ou encore CNN. Elle a débuté sa carrière en défendant le droit des immigrés américains Afro-descendants au sein de la Black Alliance for Just Immigration (BAJI), où elle était directrice exécutive. Elle a aussi mené des actions contre les violences conjugales. Récemment, elle a réalisé Diaspora Rising, un court-métrage sur l'immigration aux États-Unis.
Au sein de Black Lives Matter, elle est responsable de la création des plateformes en ligne et a développé la stratégie du mouvement sur les réseaux sociaux. Elle a été invitée à s'exprimer aux Nations Unies et a participé au forum sur les migrations ainsi qu'à celui sur la place des femmes. "Ce dont on a besoin, c'est d'un mouvement global qui défie le racisme systémique. Car même quand on pense à la crise climatique, il y a des disparités raciales. Six des populations les plus touchées par des catastrophes climatiques sont situées sur le continent africain" avait-elle revendiqué lors de la même interview à Ted.
Depuis la création du mouvement, elles sont toutes les trois invitées à des cérémonies prestigieuses dans le monde du cinéma ou de la presse. Elles donnent aussi beaucoup de conférences dans des universités, où elles discutent de sujets relatifs aux inégalités raciales. Lors de la mort de George Floyd par un policier américain, elles sont descendues dans la rue elles aussi, et ont incité les internautes à partager le hashtag #BlackLivesMatter. 

La popularisation du mouvement Black Lives Matter

C'est en 2014, lorsqu'un nouvel adolescent noir décède sous les balles des forces de l'ordre, que le mouvement Black Lives Matter commence à s'imposer, un an après sa création. Michael Brown meurt en août 2014, non armé, et sans aucun antécédent judiciaire. Black Lives Matter, jusqu'alors seulement présent sur les réseaux sociaux, s'incarne dans les rues, où des manifestations ont lieu pendant plusieurs semaines.
Le mouvement est tel que l'État du Missouri où est mort Michael Brown se voit contraint d'instaurer un couvre-feu pour mettre une terme aux revendications des personnes racisées. Le policier responsable du meurtre, Darren Wilson, est innocenté deux fois par la justice, ce qui attise d'autant plus les protestations. Parallèlement, l'affaire Eric Garner, lui aussi injustement tué par la police, cette fois par un plaquage ventral, connaît une issue similaire : le policier l'ayant assassiné n'est pas poursuivi.

Le sentiment d'injustice s'intensifie et le mouvement Black Lives Matter s'impose comme porte-parole, et permet d'organiser les protestations. Des célébrités comme Kanye West le reprennent et lui donnent de la visibilité. La phrase "I can't breathe", soufflée par le jeune homme avant sa mort, est scandée dans la rue comme sur le web.  Une phrase que six ans plus tard, George Floyd, à l'agonie, prononcera lui aussi. 
Plus tard, en 2016, Barack Obama rencontre certains militants Black Lives Matter, ce qui apporte une certaine légitimité au mouvement, au même moment où Twitter révèle que #BlackLivesMatter est le troisième hashtag liés aux causes sociales le plus utilisé au monde.

Au fil des années, des délégations locales du mouvement Black Lives Matter sont organisées aux quatre coins du monde : dans les universités, les petites villes comme les plus grandes et dans certaines entreprises. Ces dernières semaines, il a fédéré à l'échelle mondiale face à l'indignation autour du meurtre de George Floyd et Breonna Taylor notamment. En France, Black Lives Matter fait particulièrement écho à l'affaire d'Adama Traoré, et est évoqué pendant les manifestations organisées par sa famille.
Autre preuve de sa reconnaissance, "Black Lives Matter" a été peint il y a quelques semaines par la municipalité de Washington D.C sur la route menant à la Maison Blanche. La ville de New York devrait prochainement reproduire cette action dans plusieurs rues.

Fonctionnement et revendications : l'intersectionnalité au coeur de Black Lives Matter

Bien qu'elles soient à l'origine du mouvement, Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi ne s'estiment pas cheffes de Black Lives Matter. Le mouvement n'a pas de hiérarchie, il est décentralisé et s'appuie majoritairement sur les réseaux sociaux, contrairement à beaucoup d'autres mouvements anti-racistes qui l'ont précédé. Cette présence sur les réseaux est la clé de son succès et lui a permis d'être popularisé dans les pays dits "développés".
Outre des actions sur Twitter, Tik Tok ou encore Instagram, Black Lives Matter organise des manifestations contre les discriminations raciales et des actes de désobéissance civile, à l'image du "die-in" où les militants s'allongent tous sur le sol pour feindre leur mort.

Parce que le mouvement est né de trois femmes engagées dans des luttes intersectionnelles, il est particulièrement inclusif et bénéficie du soutien de différents groupes marginalisés, dont il porte aussi les combats. À ce titre, Black Lives Matter agit pour le droit des personnes transgenres racisées, par exemple, ou pour la sécurité des travailleuses du sexe noires.
L'inclusivité est d'ailleurs l'un des premiers principes énoncés par le mouvement de protestation sur son site web. On y voit ainsi une mention aux personnes racisées présentes au sein de la communauté LGBTQ+, handicapées ou victimes d'une autre caractéristique discriminante : le mouvement prend position en assurant que leurs vies comptent, à eux aussi. "C'est nous tous ou personne" a affirmé à ce sujet Alicia Garza sur son compte Twitter.