Après le retrait de la loi sur les employés de maisons/ Sylvie Fofana, Pdte Aspe-Ci : «Les députés doivent faire parler leur cœur»
L’Association des salariés du particulier employeur de Côte d’Ivoire (Aspe-Ci) est une Ong de défense des droits des travailleurs de maison. Elle a récemment dénoncé le retrait de la loi réglementant le travail des travailleurs domestiques. Sa présidente, Sylvie Fofana, évoque les enjeux de cette loi.
Le 6 août dernier, on vous a vu fondre en larmes dans une salle de conférence à Adjamé où des Ong étaient réunies pour exiger le retour de la loi sur le travail domestique. Qu’est-ce qui vous a fait pleurer ?
D’abord, je n’aime pas l’expression ‘‘travail domestique’’ que vous employez pour désigner cette catégorie de travailleurs. C’est une appellation qui dévalorise la profession du service à la personne.
C’est bien de cette façon que la loi que vous défendez qualifie ce travail.
Soit. Mais en disant travailleur domestique, il y a un manque de reconnaissance. Nous pensons que l’appellation appropriée c’est : ‘’salarié du particulier employeur’’. Maintenant, revenant à votre question de savoir ce qui ma touché au point de fondre en larme. C’est que j’ai été moi-même garde-enfant à domicile en France pendant 17 ans. Ici, on nous appellerait les bonnes ou les nounous. En France on dit auxiliaire parentale, ou assistante parentale, ou garde-enfants à domicile. Et depuis 17 ans dans ce métier en France, j’ai eu des hauts et des bas. Je ne vais pas rentrer dans les détails, parce que je vais me mettre encore à pleurer. (Elle observe un moment de silence, Ndlr). Mais c’est un sujet qui me touche à tel point que vous n’imaginez même pas qu’ici en Côte d’Ivoire, la situation de cette catégorie de travailleurs est encore plus grave. Récemment une jeune ivoirienne s’est fait tuer par un Libanais parce qu’elle osait lui réclamer son salaire ! Et elles sont nombreuses qui se font violer par leurs employeurs. Il y en a qui n’ont pas le droit de manger à leur lieu de travail, d’autres n’ont même pas le droit de se laver sur ces lieux. Certaines travaillent plusieurs mois sans salaire. C’est à se demander en ce 21e siècle, comment est-ce possible que des droits humains élémentaires sont aussi bafoués.
Votre combat frise le féminisme, n’est-ce pas ?
Moi je milite au sein d’une association de femme intellectuelle française, le Laboratoire de l’égalité (Le). Je suis membre permanente du comité d’orientation de cette association, ce sont des féministes. Donc je me bats aussi pour les droits de femmes. Mais à l’Aspe-Ci, notre combat va au-delà du genre. Là, ce n’est pas un combat féministe. Parce que la proposition de la loi ‘‘Adjaratou’’ que nous défendons est claire : il s’agit des travailleurs de maison. Ce sont les jardiniers, les bonnes, les boys, les chauffeurs, les cuisiniers, cousinières. Notre combat va au-delà du féminisme.
« Les députés doivent défendre le petit peuple »
Pensez-vous que cette proposition de loi pourra changer quelque chose à ce système sous les tropiques?
Il y a au moins un million de personnes qui profiteront de l’adoption de ce texte en Côte d’Ivoire. Nous sommes tous complices d’un grand système d’esclavagisme en Côte d’Ivoire. Et personne n’ose réagir parce que ça les arrange. Nous sommes nés et avons grandi dans ce système. Maintenant, il faut que ça change. Cette proposition de loi, garantit un jour de congé hebdomadaire, cinq semaines de congés payés annuel, parce que nul n’a le droit de travailler et de ne pas pouvoir se reposer. Elle met l’accent sur la formation pour les employés, cela leur permettra d’établir un plan de carrière. Il y a également le salaire qui est fixé, au moins le Smig (Salaire minimum interprofessionnel garanti fixé environ 63 mille, Ndlr). La proposition de loi ‘‘Adjaratou’’ venait enfin mettre de l’ordre et redonner espoir à ces travailleurs. C’est pourquoi, nous avons été choqués par le retrait sans explication de ce texte.
Avez-vous approché les députés pour comprendre les raisons du retrait de la proposition de loi ?
Nous avons rencontré l’initiatrice de la loi, l’honorable Adjaratou Traoré. Elle nous a simplement fait savoir qu’elle a retiré la proposition de loi. Et elle ne nous a pas dit pourquoi. Mais comment des députés, des personnes qui ont été élues par le peuple pour défendre leur droit peuvent-ils hésiter à adopter une loi en faveur du peuple ! Je pense que les députés sont là pour le peuple et j’espère qu’ils feront revenir sur leur table cette proposition de loi pour adoption définitive. Il faut qu’ils fassent parler leur cœur. L’adoption de ce texte, c’est une question de dignité. Et quand je pleure, c’est que je pense à toutes ces personnes qui sont tellement indispensables à notre quotidien, mais qui sont maltraitées, exploitées, c’est injuste.
« Quand on n’a pas les moyens, on ne prend pas de servante »
Les députés n’ont pas rejeté catégoriquement la préposition de loi. Ils veulent, selon certains d’entre eux, apporter des améliorations pour l’adapter aux réalités ivoiriennes...
Mais à partir du moment où une loi a été adoptée en commission et à l’unanimité (elle a été adoptée en Commission le 8 juillet 2014, Ndlr), on ne devait même plus se poser de questions au niveau des plénières. Ce qui nous inquiète, c’est que quand la proposition de loi a été retirée, je me suis amusée à interroger certains Ivoiriens sur ce qu’ils en pensaient. Et j’ai entendu des gens me répondre : « Tu te crois en France ou quoi ? ; Tu penses que nous Ivoirien moyen, on a la possibilité de payer une bonne à 60 mille francs ? » Mais je dis, prendre une bonne c’est un luxe. Vous n’avez pas le droit, sous prétexte que vous n’avez pas de moyens d’exploiter une personne. Si vous n’avez pas les moyens ne prenez pas de personnel de maison. En France, la loi est claire, et elle date de 2005, la loi Borloo. Il faut que notre pays évolue. Quand vous n’avez pas les moyens de payer au Smig, dans ce cas vous vous en passez.
La France n’est tout de même pas la Côte d’Ivoire. N’êtes-vous pas en train de brûler des étapes ?
Je suis consciente de la tâche qui nous attend. Mais je sais que les Ivoiriens dans leur majorité nous soutiendront. Et nous n’allons plus reculer. Ça prendra certainement du temps, mais en plus de l’adoption de cette loi, nous allons veiller à son application. Nous allons intensifier nos travaux avec les organisations des droits de l’homme pour redonner de la noblesse aux employés de maison. Mais sachez que nous n’allons pas aussi vite que vous le croyez. Beaucoup d’Ivoiriens se rendent compte que ces travailleurs-là ont besoin d’aide. Leur profession a besoin d’être valorisée. Nous nous posons donc en éveilleuses de consciences. Nous savons qu’on ne peut pas brusquer les choses, mais l’adoption de cette loi est d’abord un pas important qu’il faut franchir. Il faut qu’on commence à considérer l’emploi familial comme un emploi à part entière.
Pensez-vous que si cette loi est adoptée, elle pourra être effectivement appliquée ?
Mais Oui. L’Ivoirien moyen paye déjà son employé à 30 mille, selon une enquête que nous avons faite. Et la loi ‘‘Adjaratou’’ est claire. Elle dit : si le salarié n’a pas trois ans d’ancienneté professionnelle, vous pouvez lui donner un tiers du Smig, c'est-à-dire 20 mille francs. Mais les gens payent déjà au-dessus de cela en moyenne. Et la loi demande de prendre en compte certains services dont bénéficient l’employé, et que cette valeur ne dépasse pas la moitié du Smig. Donc vous voyez que le salaire garanti à ces travailleurs est déjà supporté par l’Ivoirien moyen. Mais il s’agit, au-delà du salaire, de donner de la dignité à travers un statut à ces travailleurs.
« La responsabilité des autorités engagée »
Votre association a été créée cette année en avril, puis la loi ‘‘ Adjaratou’’ a été proposée aux députés en juillet. Y a-t-il une complicité entre la députée Adjaratou Traaré et vous ?
La présidente de l’Aspe-Ci que je suis a été bonne pendant 17 ans en France. Et en Côte d’Ivoire, mon pays, c’est encore pire. J’ai décidé avec mes amis de faire l’avocat de tous ceux qui souffrent de cette forme d’exploitation. Le combat en France a porté. Là-bas, ces métiers de maisons ont été réglementés. Et nous voulons que ce soit la même chose en Côte d’Ivoire. Si nous ambitionnons d’être un pays émergent, il y a des sacrifices à faire. Et nous, nous croyons à cette émergence. Chez nous, personne ne s’occupe des droits de ces travailleurs de domicile. Les agences de placement-employeurs, tous les exploitent. Maintenant, vous soupçonnez une complicité entre la députée et nous. En vérité, notre présence et la proposition de loi ‘‘Adjaratou’’ ne sont qu’une simple coïncidence. Une heureuse coïncidence je dirais. Cette loi, je l’attendais à bras ouverts. Et quand nous avons entendu parler de son adoption en commission, nous-nous sommes réjouis. Nous savons crié : « Dieu merci !». C’est pourquoi, son retrait sans explication nous a déçus.
Un dernier mot?
Nous lançons un appel au président de la République, particulièrement à la Première dame, Dominique Ouattara qui se bat contre le travail des enfants ; aussi au président de l’Assemblée nationale. Tous, leur responsabilité est engagée pour assurer un statut aux salariés du particulier employeur de Côte d’Ivoire.
Source : ivoiresogoma-info.com
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