Marie-Thérèse Boua N`Guessan, présidente de L`AFIP Afrique : ‘’Il faut que les femmes arrêtent d`être réservées, d`être effacées’’

“Les talents, selon Antoine Claude Gabriel Jobert dans Le trésor de pensées (1852), donnent l'indépendance”. Cette citation prend tout son sens à travers le cursus professionnel de Marie-Thérèse Boua N’Guessan, ancienne du Lycée Mamie Houphouët Faitai de Bingerville.

Directrice des Ressources humaines et de la communication du groupe NSIA, Marie-Thérèse Boua N’Guessan, férue du travail bien fait et perfectionniste, fait montre de sa rigueur à la tête de la Présidence de l’AFIP Afrique (Africa Femmes Initiatives positives). Cette femme passionnée, à l'humilité éblouissante, prend fait et cause pour la valorisation et l'épanouissement de la femme. Elle nous invite à partager, dans cet entretien, sa vision et son combat pour le développement de la femme.

Votre cursus aiguise notre curiosité de savoir, qui est Marie-Thérèse Boua N’Guessan ?

Il est parfois délicat de parler de soi. J’essayerai, tout de même de le faire en essayant d’être le plus objectif possible.

Je suis Marie Thérèse Boua N’Guessan, la présidente de L’AFIP Afrique (Africa Femmes Initiatives positives). L’AFIP Afrique est un réseau de femmes dont l’un des rôles essentiels est la promotion de la femme et la découverte des talents et des initiatives féminines.

L’honneur de la création en 2012 de ce réseau, revient à Madame Désirée Djomand. Les activités, en revanche, ont effectivement été mises en place en 2016.

Madame Djomand, étant au niveau de la section internationale, elle m’a confiée le développement et la coordination de la zone Afrique. Dans le cadre de nos activités, cette branche Afrique a créé comme support, le magazine BLAMO’O, dont la gestion m’a été confiée par les actionnaires de BLAMO’O, elles-mêmes membres de l’AFIP.  En tant que Directeur de publication de BLAMO’O, qui signifie en langue locale baoulé “merci femme”, nous donnons le meilleur de nous-même pour être à la hauteur de cette tâche lourde mais agréable (rires).

S’agissant de ma vie professionnelle, je suis Directeur des ressources humaines et de la communication du groupe NSIA. Ce groupe, exerce dans les domaines de l’assurance et de la banque et couvre 12 pays d’Afrique avec 30 sociétés. Je suis donc à la holding sur mon périmètre, dans une position de coordination des activités régionales.

Votre récit est si captivant que nous voudrions en savoir davantage à la fois sur votre parcours professionnel et votre choix ?

Parcours professionnel ou associatif (rires) ? Professionnellement, pour commencer, il y a 26 ans que je travaille. Partant de NESTLÉ, où j’ai débuté ma carrière, à la fonction régionale que j’occupe aujourd’hui depuis bientôt 5 ans (rires), que de chemin parcouru. Mes premières expériences m’ont ouvert les portes de la chocolaterie de BARRY CALLEBAUT et ensuite le réseau cellulaire, MTN, pour aboutir à des fonctions de Directeur Général de CHOCODI, Après, les choses sont allées crescendo avec la fonction de Directeur Général de L’OCPV qui est une société du ministère du commerce puis de Directeur des Ressources Humaines et de la Communication dans une position régionale. Voilà donc succinctement mon parcours professionnel.

Quand on a par ailleurs la cinquantaine avec quand même un peu plus de la moitié de sa vie à se bonifier professionnellement, c’est de bon augure qu’on ait envie de retourner un peu l’ascenseur aux plus jeunes et aux ami(e)s.

Et c’est bien dans cet esprit débonnaire qu’il m’est donc venu, pour la première fois, l'intérêt de me mettre à fond dans la vie associative.

Présidente de L'AFIP (Africa Femmes Initiatives Positives), comment êtes-vous arrivée à poser votre candidature à ce poste ? Pourquoi ?

Avant d’aborder cet aspect, je voudrais relever que je suis présidente de l’amicale des anciennes du Lycée Mamie Houphouët Fêtai de Bingerville, un aspect important que j’ai oublié. Ce volet comporte un pan réel de la réponse à votre interrogation. Mon ascension à ce niveau de responsabilité à l’AFIP Afrique est effectivement liée à ma présidence de l’amicale des anciennes du Lycée Mamie Houphouët Fêtai de Bingerville. Ce fut on ne peut plus atypique. En tant que présidente j’avais mis en place des activités au niveau du lycée pour conseiller les lycéennes, les plus jeunes, à travers l’organisation de panels avec les anciennes au nombre desquelles on compte des enseignantes, des médecins, des femmes d’affaires, des dirigeantes. Ces panels, en présence de la nouvelle génération, nous ont permis d'échanger en essayant, bien entendu, de leur montrer que la réussite ne tient pas du miracle. Même mieux, qu’il faut, pour ce faire, bosser et que toutes ces femmes qu’elles voyaient étaient toutes passées au lycée, que nous avons fait les mêmes bancs et les mêmes internats. Nous avons tous mangé la sauce arachide avec farine (rires), mais aujourd’hui elles sont devenues ce qu’elles sont, des modèles de réussite.

Cette activité, qui fut une réussite si magnifique, a été l'élément déclencheur qui a emmené la présidente internationale, elle aussi ancienne du lycée, à m’approcher et me dire : “Marie Thérèse je vois un peu ton dynamisme et tout. Mais ne serait-il pas intéressant de prolonger ton action en direction des jeunes filles vers les femmes?  

J’ai une association pour laquelle j’avoue n’avoir pas encore finalisé le cadre pour communiquer et pour développer. Et si l'idée te plaît, je voudrais bien que tu te joignes à moi pour construire quelque chose. Cela, pour que, à l’unisson, nous voyons ce que nous pouvons faire de meilleur.” C’est ainsi que les choses ont commencé. Un peu retissante au départ à cause de ‘image catastrophique qu’ont les associations de femmes, je me suis laissée convaincre et j’ai trouvé l’offre intéressante. Je lui ai alors donné mon accord puisque cela me faisait du sens d’avoir une action en direction des lycéennes et une autre en direction des femmes. Je me suis dit que les jeunes filles que nous formons au lycée, deviendrons les femmes de demain, ce ne sont donc pas, à mon avis, des sujets contradictoires. C’est cela, l’histoire de l’AFIP Afrique (Africa Femmes Initiatives positives) que je souhaite écrire : ‘de l’éducation de la jeune fille au leadership féminin… (rires).

Cela se passe-t-il bien ?

Globalement, tout se passe plutôt bien. Notre cellule, je dois avouer, est en plein essor avec de plus en plus d’engouement et d’intérêt des femmes. C’est aussi le cas autour du magazine BLAMO’O. Nous avons également initié des rencontres trimestrielles dénommées les « Afterwork BLAMO’O ». Nous avons réalisé deux éditions l’année dernière. Les activités comptant pour 2018 démarreront le 6 avril prochain.

Le succès se démontre aussi par ces anecdotes : Concernant le premier Afterwork, lorsque nous sommes allés voir le Palm club, ils nous ont demandé laquelle des salles nous voulions. Nous leur avons répondu que nous ne voulions pas de salle, que nous voulions le petit bar. Ils nous ont rétorqué que le bar était pour une trentaine de personnes. Une trentaine de personne (rires)! Ce n’est pas mal, et si on finit à 50, pourquoi pas ?

Et, au fur et à mesure que nous avons commencé à communiquer, le nombre de participants a augmenté et nous nous sommes retrouvés à 110, 115 personnes. Du coup l’espace n’était plus taillé pour ça. C’était non seulement un peu restreint, mais il y faisait également chaud. Parce que nous n’avions pas imaginé que cela susciterait autant d’engouement de la part du public. C'était des femmes de qualité, et ça m'a fait vraiment chaud au cœur. Nous avons remis, pour le premier anniversaire de BLAMO’O en novembre dernier, et l’invité était Madame Evelyne Tall, l'ex numéro 2 d'ECOBANK. Et là, nous avons eu plus de 200 personnes. (Rire), nous pensions à un petit réseau mais on voit que ce sont des sujets qui intéressent.

Si je dois évaluer notre activité à ce jour, des résultats pareils sont des résultats qui me parlent. Et quand je regarde aussi le nombre d'abonnés sur notre page Facebook, plus de 10 000 personnes qui nous suivent régulièrement, je trouve que ce n’est déjà pas mal. On commence aussi à faire tache au niveau de la sous-région.

Le mois dernier, nous avons été invités par des Dames du Gabon qui organisaient une conférence. C'était le salon de la femme, un réseau de femme gabonaise, qui échangeaient sur le thème de la polygamie qui continue d’exister au Gabon. Nous sommes allées avec Dr Lezou, une AFIPienne, enseignante chercheur à l’Université d’Abidjan, pour partager notre expérience. Aujourd'hui, il y'a des dames qui se sont engagées à représenter l'AFIP au Togo, au Bénin, en RDC aussi. Ce sont de bons résultats. On prie Dieu car on aimerait avoir un développement plus important et plus structuré.

Quelles sont les évolutions majeures constatées depuis sa création? Quel bilan tirez-vous de votre engagement?

En interne, je dirai que nous sommes en plein dans notre sujet : le réseautage et le mentorat. Donc on est dans une plateforme où on partage les expériences, où essaie d’apporter des solutions à des femmes qui ont besoin d'un revenu supplémentaire, de business supplémentaire. Nous nous appuyons aussi sur les compétences internes ; On ne va pas forcément chercher à l'extérieur. Un exemple très simple, si j'ai besoin de refaire mon intérieur, il y'a forcément l’une d’entre nous qui est décoratrice d'intérieur dans le réseau et qui viendra me faire une proposition. Là par exemple, on doit développer pour des Afterwork tout ce qui est support print. Nous avons une dame à l'intérieur du réseau qui a une imprimerie... c'est déjà ce qui est important et qui plait.

On a aussi le volet solidarité qui est très développé. Nous avions par exemple lancé un soutien à une jeune artiste peintre du réseau qui avait besoin de moyens pour se déployer et d’un peu de visibilité.

Au-delà de tout cela, on a ce support BLAMO’O qui attire de plus en plus de femmes qui m’appellent avec des témoignages, des encouragements sur notre site internet, notre Facebook, notre page YouTube.

On a mis en place aussi des BLAMO’O Talks qui sont des capsules vidéos de 2 min. Je vois de plus en plus de personnes regarder. On a eu des actrices, des femmes d’entreprise, des marqueteurs, des commerçantes, vraiment on a un peu de tout. Pour dire aux femmes, ‘’il faut qu’on se bonifie mutuellement et il faut qu’on progresse. C’est vraiment des entrepreneurs, c’est palpable, du réel. Ce ne sont pas de grandes théories où on vient dire pour être entrepreneur il faut ça, ça, non. Ce sont des femmes dans leur métier grand ou petit qui partagent leurs expériences, leurs challenges et là je pense que ça a de l’effet. Ça aide les femmes.

Concrètement, en tant que présidente, quel est votre rôle, vos attributions, vos obligations ?

Comme tout premier responsable, j’ai d’abord une responsabilité de représentation de notre réseau à l’extérieur donc auprès des autorités administratives et des partenaires. J’engage le réseau quand je prends la parole, quand je vais dans des négociations. Au niveau interne, j’ai la responsabilité de driver l’activité, d’indiquer les approches stratégiques, les canevas de travail, le plan d’actions. Le 17 mars prochain nous organisons une retraite stratégique où je réunis tous les membres du bureau et on doit travailler sur le plan d’action 2018-2020.

Nous mettrons en commun les projets auxquels elles-mêmes ont réfléchi par commission. On a par exemple la commission formation, bien être, développement commerciale, la commission des jeunes parce qu’on a aussi des jeunes qui sont intéressées qu’on essaie d’encadrer pour qu’elles assurent la relève de demain.

Nous avons donc toutes ces femmes là que j’essaie d’encadrer, de fédérer autour de nos valeurs pour qu’on puisse marquer notre génération et aider à faire évoluer les femmes de Côte d’Ivoire et d’Afrique.

Que souhaiteriez-vous pour améliorer le réseau ?

Je dois avouer que nous sommes aux premières étapes, si on avait un peu plus de partenaires et de mécènes à nos côtés cela nous aiderait à mettre en place des projets auxquels je tiens.

Par exemple, on a le magazine BLAMO’O qui a besoin de plus d’annonceurs pour son autofinancement.

On a aussi le projet de ‘l’école de la seconde chance’. On aimerait, à travers ce projet, donner la chance aux jeunes filles qui sont sorties très tôt du système éducatif général pour s’intégrer professionnellement. Leur donner une formation. On a pensé à des métiers très basique comme celui des nounous. Nous en tant que femme, on ne peut pas se développer si nous n’avons pas de nounous qui sont bien formées à tenir nos maisons. D’un autre côté, les nounous sont des jeunes filles de milieu assez défavorisé parce qu’elles n’ont pas fait de bonnes études. Donc on fait d’une pierre deux coups on trouve une solution au développement de la femme et une solution d’autonomisation et de réinsertion pour ces jeunes filles. Monter une école où on pourrait faire une vraie formation à ces filles-là en termes d’éducation des enfants, de tenue de la maison, d’utilisation du matériel de la maison, d’alphabétisation. On se dit que lorsqu’elles sont bien formées et qu’elles seront fiables, il sera plus facile de leur verser le SMIG parce qu’on aura affaire à de vraies gouvernantes. Ça donne une nouvelle perspective. Il y a aussi le métier de couture, de coiffure…de petits métiers qui gagneraient à être valorisés. Pour la partie sociale, on a pour projet d’aider une fondation qui s’occupe des enfants démunis, la Fondation du Dr Javad. À la fête des mères en Mai prochain, on prévoit leur faire des dons de vivres et de non vivres pour les femmes et les enfants démunis. On espère aller plus loin avec des mécènes.

On parle d'autonomisation des femmes et de l'égalité homme et femme. Que pouvez-vous dire sur ce sujet et qu'en est-il en Côte d'ivoire ? Que fait l'AFIP à ce sujet ? Y'a-t-il une amélioration?

Au niveau de l’égalité homme et femme, les choses ont pas mal évolué en Côte d’Ivoire. Les dernières décisions réglementaires ont donné plus de place à la femme dans la société et dans sa vie familiale. On le voit sur nos bulletins de salaire. Avant, je me souviens que comme je voulais payer moins d’impôts, il me fallait demander à mon époux de me transférer la puissance paternelle pour qu’on considère les parts de mes enfants comme étant mes parts. Ça, c’était avant.

La loi a progressé dans le bon sens. Il faut que dans la pratique les choses suivent. Qu’il y ait des lois, qu’il y ait de la sensibilisation. Il faut qu’il y ait de vraies décisions politiques d’ordre général.

Et cela doit commencer au sein du gouvernement, ensuite dans les conseils d’administration, puis dans les directions générales... Et quand l’administration a fini de faire les preuves de sa volonté politique, forcément les entreprises vont suivre. C’est ma façon de voir les choses et je crois que c’est l’une des façons de rendre tout ça plus concret, de vraiment sensibiliser les politiques à donner l’exemple et s’obliger à faire les choses. Et je reste persuadée que les choses évolueront. Il y a de nombreuses femmes compétentes mais qui restent dans l’ombre, dans leur coin. Elles ont besoin d’éclore…

Le 8 Mars, la journée internationale des droits de la femme, un mot sur ce jour spécial?

Pour moi, la journée de la femme n’est pas une fête comme beaucoup aiment à le dire. La journée de la femme c’est plutôt un moment de réflexion, un moment pour faire le bilan, pour voir, qu’est ce qui a progressé dans les droits de la femme, dans l’expression de la femme, dans son développement et voir ce qu’on peut faire pour le futur. Voyant tout ce qui reste à faire, je me dis qu’il faut continuer à se battre. Il faut qu’on continue à parler de nos challenges, de nos problématiques. Il faut que les femmes arrêtent d’être réservées, d’être effacées. Si une femme est patronne, il faut qu’elle arrête de se dire que : je ne veux pas me faire voir, non! Autant que les hommes se font voir et vont de succès en succès autant nous aussi avons besoin de visibilité pour montrer ce dont nous sommes capables. S’exprimer pour se faire challenger nous aident à progresser.

Quels sont les objectifs et les grands projets de l’AFIP pour 2018/2019 ?

Rire, les objectifs sont les mêmes, c’est à dire l’éducation de la jeune fille, le réseautage, le développement de la femme, le mentoring et la solidarité. Ce sont nos objectifs principaux.

Et les activités qui en découlent sont, le magazine BLAMO’O, les afterworks, les BLAMO’O Talks, l’école de la seconde chance, les colloques, les formations, les activités de bien-être, les actions sociales, etc….

Un dernier mot ?

Je voudrais lancer un appel aux femmes, nous ne sommes pas un réseau de trop, ni un réseau de papotage, d’affairage (rire). On a vraiment besoin de la compétence et de l’expérience de chacune d’entre vous pour que ce mouvement puisse prendre de l’ampleur et que, de façon solidaire, nous puissions développer le leadership de la femme en Afrique. Qu’elles nous rejoignent massivement pour qu’on travaille parce qu’il y a beaucoup de chose à faire.

Et aux entreprises sensibles aux questions de Responsabilité Sociétale d’Entreprise, aux organisations internationales, aux mécènes, nous avons besoin de leur appui pour mettre en œuvre des programmes de développement en faveur de la femme et de la jeune fille.

 

 

Mam Dieng