Safi Faye : la première femme cinéaste d`Afrique subsaharienne
Safi Faye, née en 1943 à Dakar, est une réalisatrice de documentaires, anthropologue, ethnologue et féministe sénégalaise. Elle obtient un diplôme d'enseignante à l'école normale de Rufisque. Elle enseigne à Dakar quand elle rencontre en 1966 Jean Rouch, qui lui donne un rôle dans Petit à Petit (1969).
Dans un contexte où le Sénégal a brillé à la 25e édition du Fespaco 2017. Nous allumons, au lendemain de ce triomphe du cinéma sénégalais, les projecteurs sur Safi Faye, la première femme cinéaste en Afrique au Sud du Sahara. Zoom sur la réalisatrice de La passante, Kaddu Beykat (Lettre paysanne), long-métrage, 1975, Fad’jal (Arrive Travaille), long-métrage, 1979, Goob Na Nu (La récolte est finie), 1979, Man Sa Yay (Moi, ta mère), 1979 et le chef d’œuvre Mossane, 1996.
Lorsque l’on évoque le nom de Safi Faye dans le milieu du cinéma, la jeune génération ne connaît pas vraiment la personne. Même si les plus curieux connaissent son œuvre et ont quelques fois lu des choses sur elle, la plupart des jeunes réalisateurs sénégalais, n’ont jamais rencontré Safi Faye. Pourtant elle est une icône de notre cinéma. Première femme d’Afrique au Sud du Sahara à réaliser des films, cette Sénégalaise née en 1943 à Fad’jal (Sénégal), était une habituée du plus grand rendez-vous du cinéma africain, le Fespaco. Mais cela fait bien longtemps qu’elle s’est retirée pour des raisons que de nombreux cinéastes interpellés ignorent. «Safi est une personne qui a de la rigueur et ne fait rien sans l’avoir bien pensé. J’ai une grande admiration pour elle et pour son œuvre. C’est une sœur…», a confié le cinéaste ivoirien Timité Bassori, doyen d’âge du cinéma africain. Comme lui, beaucoup de cinéastes de la génération de Sembène Ousmane et de la génération d’après, connaissent bien Safi Faye, mais aucun n’arrive véritablement à donner les vraies raisons pour lesquelles cette pionnière a raccroché et ne vient plus honorer de sa présence ce grand rendez-vous du cinéma.
«Ce serait bien qu’elle soit là, en 2019 pour la célébration du cinquantenaire du Fespaco… Ses œuvres sont encore d’une actualité brûlante dans nos pays et on peut faire un focus sur elle, dans le cadre d’une rétrospective pour l’édition à venir», mentionne un officiel du Fespaco, qui avoue ne connaître cette «amazone du cinéma sénégalais» que par ses films.
En réalité, selon plusieurs sources concordantes, Safi Faye était une enseignante quand Jean Rouch lui proposa de jouer dans son film Petit à petit en 1971. Elle devient par la suite, la première femme africaine à se lancer dans la réalisation de films. «A Paris, elle étudie le cinéma et l’ethnographie et réalise en 1972 son premier court métrage, La passante. Diplômée de l’Ecole normale de Rufisque, elle a suivi des études d’ethnologie à l’Ehess (Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris) et soutient en 1979 un doctorat de 3e cycle sur la religion des Sérères. Elle a également étudié le cinéma à l’école Louis Lumière en 1979-1980».
Son premier court-métrage, renseigne-t-on, elle le réalisa en 1972 et l’intitula La Passante, suivi d’un documentaire sur les difficultés économiques au Sénégal, Kaddu Beykat (Lettre paysanne). Mais selon le journaliste et critique de cinéma Baba Diop, Safi Faye a eu, avant ces œuvres, à produire un film qui traite de la femme et de l’art culinaire comme facteur d’intégration.
Des œuvres à son image
«Je me souviens, elle me l’a dit, son premier film c’était sur les Africaines à Paris mais tout le film tourne autour du repas. Parce qu’elle se disait que c’est la cuisine qui est le meilleur facteur d’intégration, c’est par la cuisine que l’on se connaît. C’est donc par les menus en faisant le tour des restos qu’elle avait fait un film comme ça autour de ces femmes et autour aussi du manger en Afrique. Parce que les Africains aussi qui étaient à Paris cherchaient un peu le gout de la nostalgie, le gout de leur pays», renseigne l’ancien président de la Fédération africaine des critiques de cinéma. Si l’on en croit Baba Diop, c’est par la suite dans les années 70, qu’elle réalisa Lettre paysanne. «Comme elle avait fait l’anthropologie je crois qu’elle s’est dit : «Mieux vaut fixer et filmer les gens de mon terroir» et Lettre paysanne a été vraiment un coup de tonnerre». A l’époque où Safi Faye faisait ce film, «sous Senghor effectivement, il y avait la maltraitance des paysans. Parce qu’ils n’arrivaient pas à payer les impôts. Et, vraiment c’était une difficulté d’être paysan au Sénégal dans les années 70», explique le critique de cinéma.
Relevant que c’était «un film très courageux», M. Diop magnifie surtout le style qu’elle avait emprunté. «Parce qu’effectivement on sait qu’à cette époque-là en Afrique c’était plutôt la lettre, tout le monde n’avait pas de téléphone. Donc la communication passait à travers la lettre et ce genre de communication elle l’a utilisé pour effectivement écrire Lettre paysanne», souligne-t-il.
Outre Lettre paysanne (Kaddu Beykat), qui traite des problèmes économiques du monde rural et qui a marqué les cinéphiles, Safi Faye pour son deuxième long métrage, Fad’jal (1979), tourné dans son village natal, a reçu le Prix George Sadoul 1975 et de nombreux autres prix. Ce film, informe-t-on, traite de l’opposition entre tradition et modernité. Baba Diop relève que cette œuvre est un joli focus sur le village natal de Safi Faye. «Elle décrivait les personnes qui étaient là, les rites qui y étaient. Ce village ne devenait plus par rapport à la ville un lieu de non-épanouissement. Au contraire, c’était des gens laborieux, des gens qui travaillaient. Mais c’était vraiment une fierté que d’être dans ce village-là», analyse Baba Diop.
En analysant les œuvres de cette pionnière du 7e art africain, les cinéastes de sa génération rencontrés à Ouagadougou, mentionnent qu’il n’y a aucun doute que Safi Faye, soit considérée comme la première réalisatrice noire africaine. Car disent-ils tous : «Elle a ouvert la voie à de nombreuses femmes comme Rose Bekale (Gabon), Aminata Ouedraogo (Burkina Faso), ou Yangba Léonie (Centrafrique)».
Mossane, ce chef d’œuvre qui reste
Une chose est certaine, si dans le rang des réalisateurs africains, personne n’a pu situer Safi Faye sur ces projets du moment, tous retiennent d’elle sa plus grande production, Mossane qu’elle avait présenté en 1997 au Fespaco, mais qu’elle avait tourné dix ans plus tôt et dont la sortie était «retardée par un pénible conflit avec son producteur». Baba Diop en parle avec un peu de chagrin dans la voix. «Mossane, est vraiment un bijou. Malheureusement quand le film est sorti, au moment où on devait faire la finition, Safi Faye a eu des bisbilles avec son producteur et le film est resté 10 ans dans les couloirs. Parce que tout simplement il fallait qu’elle se batte pour qu’on ne lui arrache pas ses droits, qu’elle ne soit pas quand même dépossédée de ce travail-là», éclaircit-il. Ce premier long-métrage de fiction raconte en réalité, l’histoire d’une adolescente qui refuse le mariage arrangé par ses parents.
Aussi, pour raconter la première réalisatrice noire africaine, les mots et les qualificatifs ne manquent pas dans les rangs de ses pairs : «orgueilleuse, indépendante, forte, fière face aux hommes…», Safi Faye est décrite en somme, comme une vraie reine, un modèle de femme battante pour la société africaine. Baba Diop n’en finit pas de tarir d’éloges sur sa personne. Ce qu’on peut retenir de Safi dit-il, «est qu’elle est vraiment une femme déterminée, une femme qui, très tôt, a fixé son arène, son terrain d’investigation. C’est une grande dame. Et, ces films ce ne sont pas des histoires d’amour qui sont racontées, mais des histoires vraies. On peut dire que c’est presque du néoréalisme qu’elle faisait avec Fad’ Jal…».
En plus de ces œuvres évoquées, Safi Faye qui a travaillé pour des programmes internationaux de télévision, entre 1979 et 1982, compte également dans sa filmographie, Goob Na Nu (La récolte est finie), 1979, Man Sa Yay (Moi, ta mère), 1979, Les âmes au soleil, 1981, Selbé et tant d’autres, 1982, Ambassades nourricières, 1984, Tesito, 1989.
Source : lequotidien.sn
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