Le "stealthing" ou retrait non consenti du préservatif, une forme de viol taboue

Dégradant, à vomir... Les adjectifs pour qualifier le stealthing sont nombreux. Cette pratique consiste à ôter son préservatif durant un rapport sans que son ou sa partenaire ne s'en rende compte.

Après le revenge porn, une nouvelle pratique sexuelle à vomir a été décrite aux Etats-Unis : le "stealthing". Révélé par une enquête de la juriste américaine Alexandra Brodsky, publiée dans le "Colombia journal of gender and law", le "stealthing" ("stealth" veut dire furtif en anglais) consiste à retirer discrètement son préservatif pendant un acte sexuel sans prévenir son ou sa partenaire.

Un phénomène qui n'est pas sans rappeler celui du "bareback" au sein de la communauté homosexuelle, pratique qui consiste à coucher volontairement sans préservatif avec un partenaire. Sauf que dans le cas du "stealthing", la surprise est totale.

Aux risques de grossesses non-désirées et de maladies sexuellement transmissibles s’ajoute un sentiment très déroutant pour les victimes, qui ne savent pas si elles ont été violées ou non. Cette confusion est décrite par la juriste dès le début de son enquête qu’elle a mené durant quatre ans.

La plupart des victimes du stealthing commencent leur témoignage par : "Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’un viol, mais…". Une "situation limite" sur laquelle il est difficile de poser des mots. Pourtant, le stealthing est "une violation de la confiance et un déni de l’autonomie de l’autre, comme dans un viol", jauge Alexandra Brodsky. A partir du moment où le consentement n’est plus respecté, l’ambiguïté n’a pas lieu d’être. Malgré cela, cette pratique n’est pas encore clairement qualifiée, notamment par la loi.

Absence de consentement

La chercheuse a d'abord mené l'enquête sur les campus américains, extrêmement concernés par les violences sexuelles. Selon une étude de l’Association of American universities dévoilée en 2015 et réalisée auprès de 150.000 étudiants de 27 campus, 23,1 % des étudiantes disent avoir subi un acte sexuel non désiré durant leurs quatre années d’études. Le stealthing en fait partie. La culture du viol est massive dans les universités, comme en atteste le documentaire "The Hunting Ground". C’est à partir de ces témoignages qu’Alexandra Brodsky a enquêté sur cette pratique "répandue parmi les jeunes et les personnes sexuellement actives".

A la frontière du viol pour certains, le stealthing en est pourtant un, à partir du moment où il y a rupture du consentement. Le docteur Sinead Ring, de l’Université du Kent, revient sur l’importance de ce standard qui devrait être à la base de chaque relation dans un article de "refinery29" : "En faisant cela [le stealthing, NDLR], l’auteur bafoue le consentement sous condition, car ce n’est pas parce qu’une personne accepte un rapport sexuel qu’elle consent à tout. Le consentement n’est pas le choix d’un moment, il agit sur toute la durée d’un rapport sexuel".

L’article 222-23 du Code pénal français définit comme un viol "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise". La notion de surprise est au cœur du stealthing. Il ne s’agit pas d’un accident, mais d’un stratagème réfléchi et porté à exécution.

"Il m’a pris mon pouvoir de dire non"

C’est d’ailleurs ce que ressentent les victimes. Comme cette étudiante française de 29 ans qui a bien voulu témoigner auprès de "l'Obs". Le préservatif s’est rompu durant un rapport, ce qui n’a pas empêché son partenaire de poursuivre. La jeune femme s’est sentie violée, tandis que l’homme ne l’a pas vécu de la même manière :

"A la suite d’une soirée alcoolisée passée avec des amis et un collègue, j'ai hébergé ce collègue en lui précisant qu'il ne se passerait rien. On dormait l'un à côté de l'autre et dans la confusion, on a commencé à faire l’amour. Son préservatif s’est rompu. Lui s’en est rendu compte immédiatement et moi seulement au bout d’une dizaine de minutes. Pendant ce laps de temps, il ne s’est pas arrêté.

Quand j’ai découvert qu’il n’avait plus de préservatif, la colère m’a dominée. J’ai eu une immédiatement une réaction urticaire sur la peau. Je me suis fâchée et le rapport s’est arrêté là. Ce n'est pas comme cela que ça doit se passer, c’est l’antithèse du respect alors que j’avais été très claire, à plusieurs reprises, sur le fait de se protéger. J’ai eu peur d’attraper une maladie. J’ai essayé d’oublier tout de suite cette mauvaise expérience, d’éviter tout contact avec lui.
Malheureusement, je le recroise au travail le lendemain et il essaye de m’embrasser. Il n’a pas du tout vécu la situation comme moi. Il s’est excusé d’avoir continué malgré l’absence de préservatif, mais a justifié son geste en expliquant que c’est sa manière de vivre, de fonctionner. Qu’il est habitué aux relations sexuelles violentes, trash.

Pour moi, c’était une mauvaise expérience à oublier, mais quatre mois après les faits, en y réfléchissant plus intensément, je me suis rendu compte que je me sentais violée. Je me suis senti utilisée, il m’a pris mon pouvoir de dire non et s’est imposé comme le plus fort dans la situation. J’ai vraiment éprouvé l’instauration d’un rapport de force."

Suprématie masculine

utre point effrayant de l’enquête : la justification du stealthing. Alexandra Brodsky révèle l’existence d’une sous-communauté en ligne qui motive cette pratique et pire, donne des conseils aux auteurs pour qu’ils mènent à bien leurs désirs pervers et trompent leurs partenaires.

Les auteurs justifient le stealthing par "un esprit de suprématie masculine dans lequel la violence est un droit naturel", selon la juriste américaine. Les 28 pages de son enquête sont marquées par des légitimations archaïques de la part des défenseurs de cette pratique : "Jouir dans une femme relève de l’instinct de l’homme", ou encore : "Pour moi on ne peut pas boire le verre à moitié vide. Si une fille veut le sexe d’un homme, elle doit aussi prendre sa semence"...


Une avocate contactée par "Libération" résume la difficulté d'affirmer avec certitude que le stealthing est un viol : "Cela peut se plaider, car juridiquement, on considère que la relation sexuelle se fait à certaines conditions : il faut que la personne ait clairement manifesté que 'si on n’est pas protégé, je ne veux pas'. La défense peut arguer que dans le feu de l’action, tout est possible". "Le plus difficile pour la victime serait de démontrer que le port du préservatif est une condition essentielle pour que la relation sexuelle ait lieu", détaille Marie-Hélène Lahaye, juriste et féministe, au site "20 minutes".

Comme pour le viol conjugal, la notion du consentement reste vague en droit français. "C’est pour ça qu’aujourd’hui, il y a toute une discussion pour rédiger une nouvelle infraction de viol dans laquelle on introduirait la notion de consentement", expliquait Anne Matteoli, responsable pédagogique au centre d'information sur les droits des femmes de Strasbourg, dans un webdoc du Centre universitaire d'enseignement du journalisme (CUEJ) sur les auteurs de violences sexuelles.

Ce flou qui entoure le stealthing ne permet pas encore d'en saisir l'ampleur. Si aucun cas n'a été encore jugé en France, il n'a pas fallu attendre bien longtemps avant que l'appel à témoins lancé pour réaliser cet article n'obtienne des réponses.