Comment Nawal El Moutawakel a changé la perception du sport féminin dans le monde arabe en une course
Si vous êtes une femme marocaine et que vous avez célébré votre 36e anniversaire le 8 août dernier, il y a de fortes chances pour que vous vous prénommiez Nawal. Et ce, en raison de la victoire de Nawal El Moutawakel le 8 août 1984 aux Jeux Olympiques de Los Angeles. Une victoire hautement symbolique, si bien que le Roi Hassan II déclara que toutes les filles nées ce jour-là soient prénommées Nawal. Et voici son histoire…
Chaque victoire est spéciale. Mais certaines sont plus retentissantes que d'autres, certainement parce qu'elles représentent la somme de plusieurs victoires en une seule.
C'est le cas de la performance de Nawal El Moutawakel aux Jeux de Los Angeles de 1984.
En remportant le 400m haies, elle n'est pas seulement devenue la première femme à le faire aux JO (la discipline ayant été introduite pour les femmes aux JO pour la première fois cette année-là), mais elle est également devenue la première marocaine (hommes et femmes confondus) à remporter une médaille d'or aux Jeux olympiques.
Et peut-être a-t-elle ainsi bien inspiré son compatriote Saïd Aouita quelques jours plus tard, qui signait le doublé d'or marocain en s'imposant sur le 5000m.
Mais ce que le monde retiendra toujours, c'est que Nawal El Moutawakel fut la première femme arabe africaine à devenir championne olympique.
"La première, deuxième, et troisième haie, je les ai sautées avec la jambe gauche en premier, puis j'ai alterné droite-gauche jusqu'à la ligne finale", explique Nawal El Moutawake
La première femme arabe africaine championne olympique
La nuit qui précéda la finale, El Moutawakel fit des cauchemars de sa course, comme tomber dans un trou après avoir passé une haie.
"J'avais vraiment peur", se souvient El Moutawakel.
"J'étais la seule femme athlète de toute la délégation marocaine et tout le monde comptait sur moi."
"J'ai passé la nuit entière sans pouvoir dormir, à penser à ma course. Je la voyais dans mes rêves, dans mes cauchemars plutôt, parce que je transpirais, et je ne pouvais pas aller au lit, et je me voyais courir au ralenti."
Bien qu'elle ne fût pas considérée comme l'une des favorites de la course, la Marocaine avait appris à croire en ses capacités et était déterminée à réaliser quelque chose.
"Je savais que je pouvais arriver en finale, être dans le top 8, mais mes entraîneurs n'arrêtaient pas de me dire, de plus croire en moi et de me faire confiance parce qu'ils pensaient vraiment que je pouvais gagner.
"Avant la finale, mes entraîneurs et moi nous nous sommes assis pour passer en revue des vidéos, pas seulement pour regarder mes courses, mais aussi celles des autres coureuses comme Judi Brown, PT Usha d'Inde, Cojocaru de Roumanie, et nous passions en revue leurs forces et leurs faiblesses, ainsi que mes forces et mes faiblesses."
Ils disaient que je devais y aller fort du début à la fin, parce que je pouvais gagner."
Croire en sa capacité à la réaliser, avant de pouvoir réellement accomplir cette performance fut décisif dans la réussite de Nawal El Moutawakel.
Une fois cela ancré dans son esprit, elle était désormais concentrée sur une seule chose : "tu dois repartir de ce pays avec quelque chose ; c'est ton moment, c'est cette ville, c'est ton heure, tu ne peux pas passer à côté", se répétait alors la coureuse.
Mais avec une Américaine (sa grande amie Judi Brown) alignée sur la course, ce n'est pas en faveur de la jeune Marocaine de 22 ans que le stade du Los Angeles Memorial Coliseum bouillonnait. L'ambiance était à son comble, et l'intérêt médiatique au summum.
Un faux-départ (dont El Moutawakel pensait être la fautive) poussa la tension à son paroxysme.
Réalisant qu'elle n'était pas l'auteure du faux-départ, Nawal El Moutawakel se concentra à nouveau et au coup d'envoi, partit "comme un boulet de canon".
"La première, deuxième, et troisième haie, je les ai sautées avec la jambe gauche en premier, puis j'ai alterné droite-gauche jusqu'à la ligne finale", explique-t-elle.
Impériale et d'une vitesse foudroyante, Nawal El Moutawakel était si loin devant ses concurrentes qu'elle se demanda s'il n'y avait pas eu un second faux-départ et qu'elle avait manqué le rappel du starter.
"Je me disais, mais où sont les autres, comment ça se fait que je sois la seule à courir ? Mais en fait, j'avais tellement d'avance… Et avant la ligne d'arrivée j'ai commencé à regarder à gauche, puis à droite, pour m'assurer de ne pas être la seule à avoir couru du début à la fin. Mais toutes les autres concurrentes étaient bien là."
Effectivement, elles étaient bien là, mais bien derrière.
Nawal El Moutawakel pulvérisa son record personnel de plus d'une seconde pour finir la course en 54'61 secondes
Nawal El Moutawakel pulvérise son record personnel
Malgré avoir ralenti dans les derniers mètres de la course, Nawal El Moutawakel pulvérisa son record personnel de plus d'une seconde pour finir la course en 54'61 secondes, et Judi Brown prit la médaille d'argent en 55'20 secondes.
Une performance incroyable de Nawal El Moutawakel pourtant également teinté de tristesse puisque son premier et plus grand supporter, son père, décédé quelques mois auparavant, n'a pu partager ce moment avec elle.
"C'était la joie quand j'ai passé la ligne d'arrivée, une pure joie, mais il y avait aussi de la tristesse parce que mon père qui était mon premier supporter était décédé quelques mois plus tôt et ne pouvait assister à ma victoire", raconte-t-elle.
Issue d'une famille qui adore le sport (son père avait été judoka et sa mère volleyeuse), El Moutawakel a toujours été encouragée par ses parents à poursuivre ses rêves de devenir athlète de haut niveau. C'est ainsi qu'elle partit s'entraîner aux États-Unis afin de poursuivre sa carrière et ses études en même temps.
Mais avaient-ils imaginé l'impact qu'aurait leur petite fille à travers le monde grâce au sport et à ses performances ?
"Pour mon pays c'était quelque chose d'énorme que personne n'espérait. Une jeune marocaine, une femme qui tentait de se faire une place parmi tous ces grands athlètes. Et non seulement trouver sa place, mais aussi remporter une médaille d'or et la ramener à la maison… c'est quelque chose qui restera à jamais gravé dans l'esprit des Marocains", explique El Moutawakel.
Une page se tourne pour les femmes
"C'était un moment historique qui restera à jamais gravé dans ma mémoire et dans mon cœur."
Ce jour-là, une grande, une immense porte s'est ouverte pour de nombreuses jeunes filles, et pas seulement au Maroc, mais dans de nombreux pays arabes ou musulmans.
"À partir de ce moment, nous avons pu voir beaucoup de femmes marocaines devenir championnes du monde, et pareil pour l'Algérie, la Tunisie, l'Égypte, Bahreïn", précise-t-elle.
"Des pays dont les femmes n'avaient jusqu'alors jamais participé à des Jeux Olympiques. Et après, elles ne venaient plus uniquement pour participer, mais elles venaient aussi pour gagner."
Source : bbc.com
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