Ruth Gbagbi : ``Je n’ai pas envie de parler de ma relation privée… mais je voudrais plutôt inspirer la jeunesse``
Jeune athlète ivoirienne, est née à Abidjan en Côte d'Ivoire. Médaillée olympique, Championne du Monde de taekwondo et Officier de l'Ordre National du Mérite, Ruth Marie Christelle Gbagbi est également quadruple Championne d'Afrique, vainqueur des Jeux Africains, médaillée des Jeux Mondiaux Universitaires, Vice-Championne du Monde par équipe. Lors des Jeux Olympiques de Rio 2016, elle devient la première femme médaillée olympique de l'histoire de la Côte d'Ivoire et la première Championne du Monde ivoirienne à l'occasion des Championnats du Monde 2017 de taekwondo en Corée du sud. Numéro 1 au classement mondial, elle aspire désormais a décrocher la médaille d'or aux Jeux Olympiques de Tokyo 2020, cet été, afin de faire rayonner L'Abidjanaise sur la scène internationale et remporter une grande victoire collective en honneur aux ivoiriens. De passage à Weblogy, elle a accepté de se confier à Afriquefemme.com.
Comment pouvez-vous nous expliquer votre passage du football au Taekwondo?
Je remercie le site Afriquefemme et j’apprécie l’opportunité de m’exprimer au travers de cette interview. Alors, revenant à votre question, je puis dire qu’au départ, le taekwondo n’était pas ma passion. Je peux même ajouter que je ne connaissais même pas ce sport. Moi je voulais juste jouer au football et j’avais pour idole Didier Drogba au point où je voulais lui ressembler au football.
Ma mère trouvait que je me promenais trop, elle a décidé de m’inscrire au Taekwondo, car elle trouvait que je me promenais un peu plus. Et en m’inscrivant dans ce sport, selon elle, on me frapperait et je serais plus calme. Aujourd’hui, je fais une carrière de taekwondo et c’est devenu une passion pour moi. Et je me rappelle avoir dit, dans une interview, vouloir être la Didier Drogba du taekwondo. Je peux donc dire que ce changement est positif parce que je peux dire qu’aujourd’hui le taekwondo est tout pour moi.
Vous êtes une femme dans un sport où l’on rencontre plus d’hommes’’. Comment vous sentez-vous dans ce milieu?
Je me sens à l’aise. Dès le départ, je m’y plaisais bien. Je me souviens dans mes débuts, que mon maître Medi George m’a tout de suite mise avec les hommes. Ce qui m’a vite permis de progresser. Franchement, moi, je n’ai pas peur. Je ne vais pas juste parler de moi parce que j’ai des amies, Diomandé Bavassa qui est une fille, à l’INJS, Miss Kragbé Cynthia qui a même participé à Miss CI 2014 et Miss Touriste 2017. Elle est taekwondoin. Ça n’a rien changé. Je peux dire qu’elle est toujours féministe.
En ce qui me concerne, je peux dire que je suis née ainsi. Je me sens très bien dans ce sport de combat qu’on croirait être fait pour les hommes. Et j’aimerais inviter toute la gent féminine à s’y intéresser. C’est un sport vraiment intéressant, passionnant. Dans ce sport, il y a beaucoup de structure et je suis plus dans le côté combat, mais il y en a d’autres. Il y a les poumsé, c’est-a-dire les kata et aussi, le côté mental qui est le do.
Quand on sait que la femme incarne la douceur, voir une femme dans un sport qu’on va dire hard, n’êtes-vous vous mal vue?
Non je ne pense pas parce que là, vous me voyez. Je ne suis pas compliquée, Je ne suis pas méchante non plus. Vous constatez que quand on me salue, je ne sors pas mes dents tout de suite. Je suis souriante mais sur le tapis, je représente mon pays donc il n’y pas d’amitié. Je donne tout. Mais à part ce fait, en dehors du taekwondo, je n’ai pas changé, je suis toujours douce comme une femme. Une femme est douce, une femme est gentille, elle a du coeur, elle a des sentiments, Je suis une femme.
Alors, on va parler de votre style vestimentaire. Vous faites homme. C’est choisi ou il est lié au sport que vous pratiquez ?
On va dire que c’est inné. Je suis née comme telle. Et lorsque ma mère parle de moi au passé, je vois que je ne fais pas exprès de m’habiller ainsi. Depuis toute petite, j’aimais porter les culottes. En revanche, je n’aimais pas les jouets avec les poupées. Je voulais toujours avoir un vélo, un bonhomme, une voiture.
Et ça ne vous blesse pas souvent quand on parle de votre style de garçon manqué?
Non, pas du tout. Ça me fait au contraire sourire. C’est normal parce que quand je me regarde dans la glace, avec mon style, j’avoue que c’est quelquefois difficile de dire que c’est une femme en fait. Donc je comprends souvent lorsqu’on m’appelle ‘’Monsieur’’ dans l’avion ou quelque part d’autre, Je comprends. Je jette juste un sourire.
Le prenez-vous comme un handicap ? Ou est-ce un avantage pour vous ?
Je le prends plutôt comme un avantage.
Parlons à présent de votre parcours professionnel. De 2016 à 2019, vous avez glané beaucoup de lauriers. Comment avez-vous vécu ces moments?
En gros, c’était de beaux moments parce qu’il y a eu des moments de victoire, des moments de défaite, puis des moments de blessure et un moment où je suis revenue à la victoire.
C’était de beaux moments, surtout à la fin de l’année 2019. J’avais une blessure alors que je devais me qualifier pour les jeux olympiques de Tokyo. J’étais troisième au rang mondial en début d’année 2019 et à cause de ma blessure en juillet, je suis descendue à la neuvième place. Cela était dû à mes trois mois sans compétition. Et je vous assure que mentalement, c’était difficile, parce que l’Etat de Côte d’Ivoire nous aide. Autrement dit, une aide présidentielle nous ai accordé, Cissé Cheick et moi pour nous entraîner en Espagne pour pouvoir se qualifier pour les jeux olympiques de Tokyo. Cheick était déjà qualifié mais moi, c’était sur que j’étais qualifiée mais à cause de ma blessure, j’ai commencé à descendre du rang. Donc à un moment, mentalement, c’était difficile.
Je doutais, j’étais stressée, comment faire pour revenir à la compétition alors que j’étais à ma deuxième fracture… En tout cas, c’était une période vraiment délicate et je vous assure que j’avais le bras encore en convalescence. Malgré tout, je suis venue faire ma rééducation ici à Abidjan. Et pendant que j’étais ici, je partais m’entrainer au stade Houphouët-Boigny. Je faisais des gradins sous le soleil pour ne pas perdre ma forme et lorsque le docteur m’a conseillé de reprendre les entraînements, je les ai repris avec un coach de l’INJS. Je vous assure que les entraînements étaient très très difficiles parce que j’avais juste une petite période pour pouvoir vite me mettre en jambe avant de reprendre ma première compétition après ma blessure. Donc c’était une période assez difficile. Et là, je peux dire que c’est le mental qui a parlé. Je n’ai pas lâché les entraînements, je me suis donnée à fond à chaque période d'entraînement. Et je suis allée à mon premier championnat c’était le grand prix de Sofia en Bulgarie où j’ai été médaillée d’or. Mais vu mon rang, j’étais neuvième, lorsque tu n’es pas bien classée dans le rocking mondial, les premiers combats sont plus difficiles.
Alors qu’avant lorsque j’étais troisième, je pouvais même sauter le premier combat. J’ai croisé des filles vraiment redoutables. Celle de la nouvelle Zélande qui était très grande et souple, mais j’ai pu la battre avec mon physique. Ensuite j’ai croisé une Croate que j’ai battue, puis ce fut une coréenne, la championne olympique de Rio en 2016 que j’ai battue en quart de finale. C’était un combat très très difficile et en demi- finale, j’ai gagné la Jordanie et en finale, j’ai battu une anglaise. Et j’ai été médaillée d’or. Tout le monde ne croyait pas à ce résultat là, après ma blessure. Mais Dieu était au contrôle et a bien voulu nous soutenir. J’ai fait cinq compétitions en moins de deux mois. J’ai eu trois médailles d’or, deux médailles d’argent et j’ai financé de mes propres poches, trois compétitions parce qu’il fallait que je refasse mon retard.
Vous parliez de victoire et d’échec. Alors, face à un échec quelles sont les clefs qui vous permettent de les surmonter?
Ce sont mes objectifs et je me dis que j’ai choisi ce sport et c’est comme dans la vie de tous les jours. Si par exemple, j’ai présenté le BAC aujourd’hui et que ça n’a pas marché, donc je vais abandonner non! Qu’est-ce qui n’a pas marché ? C’est dans quelle matière ai-je échouée ? Je vais bosser pour avoir le BAC. C’est pareil. J’ai échoué cette année au championnat du monde. J’étais championne du monde 2017 en Corée. Et cette année j’ai échoué au championnat du monde à Manchester, j’ai perdu en quart de finale et ça a été une défaite bête, si je peux le dire de la sorte. Je menais le combat et à la fin je me prends 2 poings rapides et le combat se termine. Cette défaite m’a vraiment fait mal et j’ai travaillé là-dessus. C’est-à-dire que lorsque je partais à l'entraînement, et que je suis fatiguée, on met quelqu’un qui n’est pas fatigué pour que j’arrive à gérer mes poings. Donc lorsqu’il y a des échecs, je travaille sur mes points faibles pour pouvoir avancer.
En ce qui concerne le centre qui t’a permis d’être championne aujourd’hui, est-ce qu’il vous arrive souvent de venir en aide à ce centre qui a été pour vous comme un tremplin?
Oui je le fais à chaque instant. Chaque que je suis a Abidjan ou même étant à l’étranger, j’appelle mon maître pour avoir de leur nouvelle et savoir ce que je peux faire, je le fais pour mon club.
Et vous êtes encadrées par la vice-championne olympique 2012, Marlène Harnois. Est-ce qu’il vous arrive d’encadrer aussi d’autres jeunes ici, pour leur permettre d’émerger comme vous?
Oui, je le fais dans mon club et dans d’autres clubs. Je ne veux pas rester seulement dans mon club parce que aujourd’hui, je n’appartiens plus à mon club ni à ma famille. J’appartiens à toute la Côte d’Ivoire. Donc j’essaie aussi de partager mes expériences avec les tout-petits, les plus jeunes. Il y en a plein à l’équipe nationale qui bénéficient de mes conseils pour qu’ils puissent avancer dans le milieu.
Aujourd’hui, vous êtes classée première mondiale dans votre catégorie, quels sont les critères qui ont milité en votre faveur?
Ces critères, je les ai mentionnés un peu plus haut quand j’ai parlé de mes blessures. J’ai dû faire des compétitions pour pouvoir rattraper mon retard. Moi, je voulais être juste cinquième au classement mondial parce que j’étais neuvième, parce que seuls les cinq premiers étaient qualifiés. Et moi, j’ai tout mis à ma disposition pour pouvoir être cinquième. Je ne faisais que des compétitions, et je me disais à chaque fois qu’il fallait que j’arrive au bout. je ne veux pas faire une compétition pour avoir juste deux points, non! J’avais besoin de beaucoup de points. C’est ainsi que j’ai eu trois médailles d’or et deux médailles d’argent en moins de deux mois. C’est ce qui m’a permis de surpasser tout le monde. Je ne m’attendais pas à ça. Je vous assure que moi, je voulais être que cinquième pour assurer ma qualification et je peux dire que c’est la cerise sur le gâteau.
Côté jardin, est-ce que Ruth est un coeur à prendre?
Rires. J’ai remarqué cette question intéresse beaucoup plus et on aime bien me la poser… Je n’ai pas envie de parler de ma relation privée. Mais, sincèrement, je vous assure que je veux plutôt inspirer la jeunesse, inspirer les jeunes femmes parce qu’aujourd’hui, la jeunesse n’a pas de repères. Donc, ce que je peux apporter à la jeunesse, je veux le faire maintenant, leur donner des conseils, parler de mon expérience pour que cela puisse les inspirer. Je pense que c’est ce qui peut motiver la jeunesse mais pas les histoires de sentiments.
Yolande Jakin
Crédit Photo : Lobatchevski
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