Revivre après avoir été prisonnière de Boko Haram
Zacaria a enfin le sourire, une image très rare dans cette chambre d’hôpital de Yola où sont soignés les cas les plus graves parmi les 275 femmes et enfants libérés par l’armée nigériane fin avril, après des mois passés en captivité avec Boko Haram.
Les autres ont été rassemblés dans un camp à la sortie de cette ville située dans l’est du Nigeria, tout près de la frontière avec le Cameroun. Zacaria revient justement du camp, où il a scruté en vain les visages de ces femmes, en espérant reconnaître sa sœur, disparue après l’attaque de son village par la secte islamiste il y a plus d’un an. « Quand on a vu les combattants débarquer avec leurs armes, on s’est enfuis, parce qu’on savait qu’ils nous tireraient dessus, se souvient le jeune homme de 36 ans. Ils ont tout brûlé. C’est à ce moment-là que j’ai perdu ma sœur et son bébé. »
C’est au centre médical fédéral de Yola qu’il la trouve finalement, assise sur un mince matelas, son petit garçon dans les bras. Mais le regard vide de la jeune femme ne s’éclaire pas à la vue de son frère, élégant dans son large boubou blanc, assorti avec son chapeau traditionnel haoussa. « Elle ne m’a pas reconnu, glisse Zacaria, gêné. Je pense que c’est parce qu’elle n’est pas en bonne santé. » Le mot est faible pour celles qui ont subi tant de sévices pendant si longtemps. Maintenues captives dans une forêt du nord-est du pays, fouettées, sans assez de nourriture. Et il y a les violences sexuelles… « J’ai lu dans les journaux ce qui leur était arrivé mais je ne lui ai posé aucune question, explique pudiquement Zacaria. A partir du moment où je la vois vivante, je suis heureux et je remercie Dieu de la retrouver avec son jeune enfant. »
Lavage de cerveau
La réaction de la jeune femme n’est pas une exception chez celles qui ont été kidnappées par Boko Haram. Christian Macouley Sabum, qui coordonne la prise en charge psychosociale des rescapés pour le compte du Fonds des Nations unies pour la population, a déjà été confronté à plusieurs cas. « C’est du lavage de cerveau, s’émeut le psychologue. On leur répète que leur famille et tout ce qui n’est pas dans le cercle de Boko Haram n’est pas bon. Leurs imams convertissent même celles qui sont déjà musulmanes, parce qu’ils considèrent que seule leur version de l’islam est la bonne. » Après avoir subi une telle pression psychologique, le chemin est long pour se remettre. Alors tous les matins, à 10 heures, c’est le moment des thérapies de groupe au camp Malkohi à Yola, la ville où les autorités nigérianes rassemblent depuis sept mois celles et ceux qui fuient les violences de Boko Haram. Une thérapie pour les 70 femmes du groupe arrivé le 2 mai, les autres étant des enfants ou des adolescents. « Elles se sont refermées sur elles-mêmes après les interrogatoires des militaires qui cherchaient à obtenir des renseignements sur Boko Haram, raconte Christian Macouley Sabum. Notre rôle, c’est de les mettre en confiance, pour qu’elles nous racontent comment cette épreuve les a affectées. »
Parmi les cas qui inquiètent le plus les thérapeutes, il y a celles qui souffrent du trouble de stress post-traumatique, comme cette femme constamment en larmes, hantée par un cauchemar dans lequel des hommes qui ressemblent à ses ravisseurs tentent de l’étouffer. Elle reste la plupart du temps murée dans le silence, incapable encore d’exprimer sa souffrance avec des mots, paniquant au moindre bruit strident. Puis il y a toutes celles qui ont été forcées d’avoir des rapports sexuels avec ces combattants dans la forêt de Sambisa. « Quand une femme a commencé à évoquer les viols qu’elle a subis, sa voisine lui a demandé de se taire, en lui rappelant qu’elle pourrait avoir des problèmes avec son mari », regrette Christian Macouley Sabum. Des rumeurs ont circulé à propos de femmes revenues enceintes de leur captivité. Les chiffres sont difficiles à vérifier, mais un travailleur social parle d’une trentaine de cas. Certaines l’étaient peut-être déjà lorsqu’elles ont été enlevées ; d’autres ont cédé au simulacre de mariage avec des combattants de Boko Haram, anéanties par les menaces et les coups incessants.
Certaines voudraient... retourner dans la forêt
C’est donc à Malkohi que ces rescapées tentent de se reconstruire, dans cet ensemble de baraques en béton construites au bout d’une piste de latérite, près d’un camp de l’armée nigériane. Dans l’enceinte qui leur est réservée, la vie s’organise difficilement. Les dortoirs sont surpeuplés, mal aérés. Trouver de la fraîcheur ou un coin d’ombre à l’extérieur semble impossible dans cette étendue désertique. Assises sur le sol de béton, les jeunes filles se font des tresses et les petits dessinent sur les quelques feuilles qu’on leur a données. Des gestes simples mais si précieux pour ceux à qui tout a été interdit pendant des mois. Les mamans se plaignent pourtant du manque de nourriture, confrontées à leur impuissance face aux visages émaciés de leurs enfants déshydratés, rachitiques ou au ventre gonflé. Elles demandent de quoi préparer à manger au lieu des aliments fades et sans sauce qu’on leur distribue.
Celles qui sont déçues de l’accueil des autorités nigérianes n’osent pas s’étendre en présence du personnel encadrant du camp, mais plusieurs se livrent en séance de thérapie, comme l’explique Christian Macouley Sabum. « Elles se sentent oppressées par cette promiscuité dans le camp et par les questions incessantes de l’armée, des ONG ou de la presse. Certaines ont demandé à retourner dans la forêt. Ce sont celles qui se sont senties impuissantes à lutter contre les combattants de Boko Haram et qui ont fini par accepter leurs principes. On les battait moins, elles étaient mieux nourries, certaines allaient même faire du commerce loin du campement. Elles avaient fini par trouver une forme de sécurité dans cette captivité », relève le thérapeute.
Mais il y a aussi celles, comme Fatima, qui n’attendent qu’une chose : rentrer chez elles. La jeune femme de 27 ans s’est occupée pendant cinq mois de sept enfants coupés de leurs parents, partageant sa petite ration de nourriture entre eux et sa propre petite-fille. « J’ai entendu que mon mari était vivant, donc je veux le retrouver. Ici, quand une femme aime, ça veut dire quelque chose », sourit-elle.
Source : lemonde.fr
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