Au Burkina Faso, une ferme agroécologique veut réinventer « le monde d’après »
La crise du coronavirus met en évidence la dépendance du pays aux importations… sauf pour ceux qui, comme l’association Béo-neere, ont fait le pari du bio et du circuit court.
Dans le champ des Belemgnegre, les courgettes fleurissent sous le maïs et les poireaux embrassent les papayers. Drôle de mariage de fruits et légumes. En agroécologie, on appelle ça « l’association des cultures ». « On met des plantes “amies” côte à côte pour qu’elles se protègent mutuellement des ravageurs, pas besoin de pesticides », explique Razack Belemgnegre en sillonnant les allées de sa ferme de Roumtenga, un village à la périphérie de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso.
Sur le terrain de deux hectares de son père, les plantations de concombres, de fraises et de pommes de terre narguent le sol sableux. A côté, un champ de riz fraîchement labouré, un poulailler et même une étable. « On a tout ici ! », résume en souriant le jeune dirigeant de Béo-neere (« avenir meilleur », en moré), une association de promotion de l’agroécologie et de formation des paysans. Son pari : miser sur le bio et le circuit court.
Alors que la pandémie liée au coronavirus met en évidence la vulnérabilité des systèmes de production et de distribution des denrées alimentaires, cette petite ferme burkinabée fait figure de résiliente. Selon l’ONU, la crise sanitaire risque d’aggraver la faim dans le monde. En Afrique de l’Ouest, le nombre de personnes touchées pourrait passer de 17 à 50 millions entre juin et août 2020. Au Burkina Faso, qui recensait 672 cas de Covid-19 et 46 décès au 5 mai, Razack Belemgnegre et son père, Souleymane, veulent réinventer « le monde d’après ».
Le nombre de clients a doublé
Le téléphone du trentenaire n’arrête pas de sonner. De nouvelles commandes de paniers de fruits et légumes, des curieux qui veulent visiter la ferme… « On n’arrête pas depuis le début de l’épidémie, on a même dû augmenter notre capacité de production », se réjouit-il entre deux coups de fil. Pourtant, la fermeture des marchés, la mise en quarantaine de la capitale et le départ de nombreux expatriés ne promettaient rien de bon. Lui aussi pensait devoir mettre la clé sous la porte.
Mais en quelques semaines, le nombre de clients de sa petite exploitation familiale créée en 2013 a doublé : ils sont près d’une quarantaine désormais, et plus de 50 paniers sont vendus chaque semaine. « Ce qui nous a sauvés, c’est la livraison à domicile. Nous avons pu capter de nouveaux clients, certains ne connaissaient pas le bio et cherchaient une solution pour s’approvisionner », explique celui qui a troqué sa maîtrise de droit pour les champs.
Ici, pas d’intrants importés, les paysans cultivent leurs propres semences et fabriquent leur engrais à partir du fumier et du compost. Les produits, certifiés biologiques, sont vendus en circuit court directement à la ferme, au domicile des clients et sur des marchés, quasiment au même prix que ceux du commerce. Béo-neere soutient également une vingtaine de coopératives bio à travers le pays et les aide à revendre leurs produits auprès de ses clients. « Mais avec la mise en quarantaine des villes, l’acheminement jusqu’à Ouagadougou est plus compliqué. Désormais on privilégie la vente microlocale », précise Razack Belemgnegre.
Garantir l’accès aux denrées alimentaires est un enjeu vital au Burkina Faso, où près de 80 % de la population vit de l’agriculture et 40 % en dessous du seuil de pauvreté. Malgré une politique de promotion des produits locaux, ce petit pays enclavé du Sahel dépend largement des importations pour s’approvisionner en riz, farine, lait et huile. Avec la fermeture des frontières, la déstabilisation des chaînes d’approvisionnement et la perturbation des échanges commerciaux, le coronavirus met en péril la sécurité alimentaire du continent, a alerté l’ONU, qui pointe des « risques de pénurie ». D’autant que la soudure, la période entre deux récoltes, de juin à août, approche.
« On nous prenait pour des fous »
Accroupi les mains dans la terre malgré ses 80 ans, Souleymane Belemgnegre est inquiet. Il a vécu les « émeutes de la faim » en 2007, à la suite d’une flambée mondiale du prix des céréales. Il a aussi connu Thomas Sankara, l’ancien président révolutionnaire (1983-1987). A l’époque, le dirigeant, très engagé dans la lutte pour la souveraineté alimentaire du Burkina, avait fait appel à Pierre Rabhi, un paysan français alors inconnu qui avait développé un centre agroécologique à Gorom-Gorom, en plein désert, dans le nord du pays. « Sankara était impressionné par le rendement de ses cultures. Il lui a proposé de réfléchir à une nouvelle politique agricole pour le pays. Et en quatre ans, il a réussi à rendre le Burkina autosuffisant ! », argue le fondateur de Béo-neere.
L’assassinat de Thomas Sankara, en 1987, mettra un brutal coup d’arrêt à ses projets. Mais Souleymane Belemgnegre n’a pas oublié pas la formule du « Che Guevara africain » : « Produisons ce que nous consommons et consommons ce que nous produisons », aime-t-il répéter à ses visiteurs. L’autosuffisance alimentaire, l’amélioration des conditions de vie des paysans et le développement d’une agriculture durable sont au cœur du projet de Béo-neere. C’est en 2011 que cet ancien maraîcher a décidé d’abandonner l’agriculture conventionnelle pour se former à l’agroécologie avec des anciens élèves burkinabés de Pierre Rhabi. Souleymane Belemgnegre découvre les techniques du zaï et des demi-lunes pour retenir l’eau, la rotation des cultures et les biofertilisants pour nourrir la terre.
« Mes capacités de rendement augmentaient, à moindre coût. Fini les dettes pour acheter des engrais chimiques ! », raconte l’octogénaire. Il achète un terrain avec ses économies et le soutien de Terre & Humanisme, l’association de Pierre Rhabi. « On nous prenait pour des fous, on nous répétait que rien ne pourrait pousser ici », se rappelle-t-il. Mais en quelques mois, la terre aride, fragilisée par d’anciennes cultures intensives, redevient fertile. Depuis, la ferme luxuriante de Béo-neere est devenue un modèle et même un centre d’apprentissage. Souleymane et Razack y ont déjà formé plus de 1 000 étudiants et agriculteurs d’Afrique et d’Europe aux techniques de l’agroécologie.
Chez les Belemgnegre, on rêve d’un « monde plus équitable et raisonné ». « Le coronavirus doit nous servir de leçon. On a trop forcé la nature, on subit déjà les effets du changement climatique. Il faut repenser local, nous ne pouvons plus dépendre de l’extérieur pour nous nourrir », insiste Razack Belemgnegre, qui espère construire d’ici à la fin de l’année des potagers dans quelque 70 villages démunis du Burkina pour lutter contre la malnutrition.
Source : lemonde.fr
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