Tendance : les fibres naturelles donnent des idées aux créateurs africains
De nombreux stylistes se saisissent du raphia, tiré des feuilles de palmier, pour la confection de pièces haut de gamme, voire de luxe.
Fibre textile naturelle, solide et malléable, le raphia – nom dérivé de « rofia », en malgache – fait partie intégrante des coutumes et des traditions de plusieurs pays d’Afrique. Que ce soit à Madagascar pour la confection de costumes traditionnels et de mobilier, au Congo pour le tissage d’étoffes (pagne Téké ou tissu Kuba), au Maroc pour la fabrication de chaussures, mais aussi en Afrique de l’Ouest pour leur suc (vin de palme) et la confection d’accessoires en tout genre, ces fibres tirées des feuilles de palmier du même nom comptent parmi les matières qui donnent des idées aux créateurs africains.
Le Camerounais Imane Ayissi utilise le raphia depuis quatre ans pour la confection de ses créations haute couture. « J’ai toujours été très curieux à l’égard de ce qui venait d’Afrique. Je me souviens d’une époque, au début des années 1990, où une créatrice gabonaise, Olga Ô, l’utilisait systématiquement dans ses collections. J’estime que c’est à nous, créateurs, de perpétuer et de mettre en avant nos héritages et nos traditions d’Afrique », clame celui qui se fournit à Madagascar, au Cameroun et au Gabon.
Pour lui, le raphia est une matière noble qu’il s’amuse à travailler au gré de diverses techniques, comme le crochet, à mêler à de la dentelle ou même à teindre. D’autres griffes africaines, comme celle de l’Ivoirienne Loza Maléombho ou la marocaine Contre-Allée, misent aussi sur ce textile. « En faire un produit de luxe, ce n’est pas évident. Car il faut pouvoir lui donner un aspect minimaliste et le moderniser avec force imagination. »
Un défi que la Ghanéenne Akosua Afriye Kumi a su relever en créant sa marque éthique et luxe de sacs AAKS. Depuis 2014, elle a créé cinq collections où coupes atypiques et couleurs vives – qui constituent sa signature – sont le fruit d’une minutieuse réflexion. « Le raphia que j’utilise vient du Ghana. Il est plus souple que la paille et me permet de travailler n’importe quelle forme de sac. Et puis, c’est une fibre naturelle biodégradable. D’un point de vue éthique, c’est idéal. »
La clientèle d’AAKS est à 90 % internationale et les prix vont de 60 euros pour une pochette à 250 euros pour un sac cabas. Depuis peu, la griffe propose aussi des lampes à suspension au design coloré et épuré à plus de 300 euros.
Vendues en ligne, les pièces AAKS sont aussi disponibles dans des boutiques et des concept-stores au Ghana, au Sénégal, en Afrique du Sud, au Kenya, au Nigeria mais aussi en France et aux États-Unis. « Je pense que ces dernières années, les personnes portées sur la mode sont davantage à la recherche de matériaux naturels et éthiques. Disons que l’on vit une sorte de révolution de la mode vis-à-vis du développement durable et de l’écologie », analyse encore Akosua Afriye Kumi, qui ne souhaite pas divulguer son chiffre d’affaires annuel.
« Et puis, le sac en raphia a toujours été très tendance. Et ce, surtout en Europe, où, l’été, c’est un basique sur lequel on ne peut pas faire l’impasse. » La designer ne croit pas si bien dire. L’an dernier, il dominait la tendance du look des grandes vacances chez les fashionistas ivoiriennes.

Et en cet été 2019, au-delà de la fast fashion qui s’en donne à cœur joie, les sacs et chaussures en raphia sont dans toutes les vitrines parisiennes : de marques haut de gamme comme LK Bennet, Steve Madden, Tara Jarmon ou Claudie Pierlot au luxe comme Jacquemus (sans grande surprise…), Valentino (1 290 euros le sac cabas !), Balenciaga (425 euros les espadrilles), Chanel ou Dior. « Je pense que la différence entre ces griffes et ce que l’on peut trouver chez les créateurs africains se situe au niveau de la couleur. Souvent, dans la haute couture occidentale, la matière garde sa teinte naturelle. »
Tissu Kuba
Une analyse que partage le Congolais Manitou Nsaka qui, en 2015, à Londres, où il est établi, a fondé la marque Duarra. Cette dernière est spécialisée dans la confection de pièces en Kuba, textile traditionnel originaire de la RD Congo et confectionné à partir de fibres de raphia (coussins à 177 euros environ, tissus encadrés à 278 euros, pochettes, sacs, etc.) « En Afrique, nos textiles s’inspirent de la nature, c’est la raison pour laquelle on a tendance à utiliser la couleur », réitère Manitou Nsaka.
C’est avec une vingtaine d’artisans originaires du Kasaï oriental et établis à Kinshasa qu’il travaille. « Le tissu Kuba est en voie de disparition parce que les artisans n’arrivent pas à gagner leur vie. J’ai décidé de m’associer à eux afin de leur payer un salaire et de leur offrir une vitrine internationale. » Une démarche qui s’inscrit dans le commerce équitable et concerne deux tissus kubas : le velours du Kasaï et le shoowa.
Après la confection du tissu, c’est avec des tailleurs de Londres que Nsaka fabrique ses différentes pièces, disponibles sur son site de vente en ligne mais aussi au sein de la boutique Soboye de Londres. Chiffre d’affaires 2018 pour cette petite affaire : près de 28 000 euros. Si le raphia est vanté pour ses vertus naturelles, durables et biodégradables, une autre fibre arrive sur le marché avec des qualités qui ne devraient pas tarder à séduire également le monde de la mode. Il s’agit du Piñatex, textile imitant le cuir, fabriqué à partir de fibres et de feuilles d’ananas !
Originaire de Madagascar
C’est sous la colonisation que l’exploitation du raphia a connu son âge d’or à Madagascar. Aujourd’hui, ce secteur est en plein déclin, et le raphia est principalement utilisé dans le cadre de l’artisanat local. Toutefois, de nombreuses marques occidentales n’hésitent pas à proposer des pièces en raphia 100 % originaire de l’île Rouge.
Et ce, en avançant des modes de fabrication et d’exportation entrant dans le cadre du commerce équitable, de l’éthique et du développement durable. C’est le cas des françaises San Arcidet Paris, Ivahona (dont on retrouve notamment les pièces au sein de la boutique du quai Branly), Made in Mada, Couleurs Raphia, Le Voyage en panier ou encore Ethos Paris.
Source: jeuneafrique.com
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