Les hommes aux fourneaux, une espèce en voie de multiplication
Je crois pouvoir affirmer au nom de mes compatriotes togolaises et allons plus loin, africaines, que faire la cuisine reste le talon d’Achille de bon nombre de nos concitoyens. Une petite note personnelle tout même. Je reconnais que je fais partie des femmes « chanceuses », dont le mari aime faire la cuisine, et il est très doué de surcroît. J’ai également dans mon entourage un couple qui respecte un partage équitable du travail. L’homme, excellent cuisinier, accepte de s’occuper des tâches ménagères, quand sa femme s’occupe de la cuisine, et vice-versa. Mais l’exception reste la norme en matière de participation aux activités ayant trait aux casseroles, chez l’homme togolais, africains, et allons jusqu’au bout, l’homme en général !
Le 21e siècle a bien évidemment ouvert le débat du rôle de l’homme dans le couple, particulièrement en ce qui concerne la gestion des tâches ménagères. Dans le monde développé, on voit de plus en plus d’hommes partager les responsabilités qui, il y a quelques décennies, étaient réservées exclusivement à la femme. Certains «super hommes» allant jusqu’à opter pour une carrière d’homme au foyer ! Cependant le fourneau semble toujours rester une sorte de chasse gardée des femmes, volontairement ou non. On se demande alors pourquoi l’explosion du nombre de grands chefs gastronomiques de par le monde, montrant bien une aptitude des hommes à la perfection de talents culinaires, ne s’est pas traduite dans la vie quotidienne. Pourquoi ces messieurs n’acceptent pas de mettre la main à la pâte davantage.
Il y a encore et toujours les préjugés classiques. Mon mari, tout parfait cuistot qu’il est, a tout de même ses soubresauts récalcitrants. Et à ces moments-là, clame qu’il n’est pas génétiquement programmé pour faire la cuisine tout le temps. Les membres masculins de ma famille, certains mariés localement, d’autres à des étrangères ont tous la même attitude lorsqu’il s’agit de prendre les devants aux fourneaux. Un cousin explique : « On peut contribuer au besoin, quand la femme est malade, ou indisposée pour une longue durée, par exemple quand elle est enceinte. Mais c’est hors de question de le faire systématiquement ». Au-delà des idées reçues, il y a aussi les stigmates de chez nous. Un homme qui fait la cuisine tout le temps a soit été « envoûté » par sa femme, ou est une faible nature. Et attention à la belle-mère qui verra son fils avec une spatule à la main quand sa femme ne fait que la vaisselle à côté. Chez nous au pays, où les mœurs changent à une allure réduite, les hommes peuvent laver les enfants mais la cuisine, c’est un autre monde !
Il y a aussi les réalités logistiques. L’homme travaille souvent plus avec des horaires plus chargés et rentre souvent tard. La moindre des choses est pour lui de rentrer trouver son dîner au chaud. Mais qu’en est-il du couple où la femme travaille autant, sinon plus, que le mari ? Qu’en-est-il des femmes qui voyagent souvent ? Une collègue dont le mari refuse catégoriquement de cuisiner est obligée de préparer de la nourriture pour lui et les enfants, longtemps à l’avance et en grande quantité pour leur permettre de survivre lorsqu’elle s’absente pour une longue durée. Ce même mari est aux petits soins pour les enfants, mais réfute l’idée de faire la cuisine. Simplement parce qu’il n’a pas été éduqué ainsi.
Ce qui nous emmène alors à la question de l’éducation, celle transmise par nos parents versus celle que nous acquérons par nous-mêmes dans notre démarche de «self-improvement». Il est clair que beaucoup de nos hommes africains ont appris dès la petite enfance que la femme règne aux fourneaux. C’est une image qui reste ancrée dans leur mémoire. De même que celle du papa qui écoute la radio, ou regarde la télé au salon, lorsque la maman rentrée précipitamment de son travail ou du marché se dédouble, avec l’aide d’une aide ménagère ou non, pour présenter un repas en un temps record. Je me rappelle de l’anecdote d’une amie qui raconte que son père pouvait même se plaindre de la température du « Akoumé » (pâte de maïs traditionnelle) si celle-ci n’était pas à un degré compatible avec la sauce accompagnatrice. Il va sans dire qu’un garçon qui a évolué dans un tel environnement est conditionné à vie. Et il faut un véritable travail de fond pour renverser les attentes.
Chose difficile, mais pas impossible. Ici entre en jeu le rôle de l’éducation personnelle, perpétuellement remise en question. Celle qui évolue selon les tendances et les besoins, et permet alors de changer les comportements. Grâce à elle, bon nombre de nos compatriotes ont pu faire face aux réalités du terrain. A leur arrivée en Occident, beaucoup ont été confrontés à une vie de célibataire. On a vu alors des hommes qui au pays n’avaient aucune notion culinaire, très vite se réinventer pour apprendre à faire la cuisine, et dans le cas de mon conjoint, à l’apprécier. Ces hommes ce sont nos frères, nos cousins, nos maris, qui ont pris la sage décision de s’adapter et aujourd’hui font bénéficier de cette « self-éducation » à leur conjointe. Ces deux versions de l’homme éduqué traditionnellement et transformé existent bel et bien dans notre diaspora aux Etats-Unis. Le premier résiste toujours et ne veut pas fournir l’effort requis de chaque partie au couple pour une harmonie de la vie conjugale. Le dernier s’est adapté et accepte le nouveau rôle de l’homme, qui n’est pas celui de se transformer en fée du logis, ou de surpasser la femme dans son domaine de prédilection, mais de la seconder régulièrement, et de la remplacer en cas de force majeure. Notre environnement demande une multiplication de cette deuxième espèce.
Les femmes ont, elles aussi, un rôle primordial à jouer pour conforter cette transformation. Au lieu de nous cantonner dans un silence rancunier ou d’avoir recours au chantage affectif quand l’homme ne participe pas, pourquoi ne pas l’engager subtilement, sans stress. Je ne demanderai jamais à mon conjoint de s’occuper du dîner quand je sais qu’il y a un match de foot à la télé. Je sais faire la différence entre le besoin de le voir impliqué (si je dois rentrer tard du travail) et le désir de le voir cuisiner (soit parce que je n’en ai pas envie ou parce que le plat en question est sa spécialité). Il faut trouver le juste milieu quant à nos propres attentes. Il y aura bien sûr des frustrations de part et d’autre, mais nous devons cultiver un nouveau pouvoir de conviction.
Je finirai en nous rappelant que, bien qu’il fût long et escarpé, ce chemin parcouru depuis l’époque où demander à un homme de faire le marché était un sacrilège, nous l’avons parcouru. Il faut entamer une nouvelle route, un nouveau chemin de croix pour généraliser la tendance de l’homme habile et fier à la cuisine. Il en va de la survie du couple, mais également de l’actualisation de l’éducation transmise à nos enfants, à nos fils. L’image de l’homme au contrôle de la gazinière à côté de sa femme pourra alors un jour remplacer celle du maître de la télécommande attendant d’être servi.
Djifa Nami (Ambassadrice Afriquefemme)
Togo
Photo d'illustration
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