Pour être heureux, soyons patients
Dans le rythme effréné de la vie contemporaine, retrouver le temps d'attendre devient une priorité. Alliée précieuse de la réflexion comme de l'action, cette sagesse révèle sa discrète efficacité.
Vous avez tendance à attendre fébrilement la réponse au SMS que vous venez d'envoyer? Vous guettez les améliorations visibles sur votre silhouette dès le premier footing? Vous vous attendez à voir votre vie révolutionnée après quelques séances chez le psy?
Dans un monde où la communication, dopée par les nouvelles technologies, est instantanée, et où l'efficacité, portée par l'accélération du progrès en général, rime désormais avec rapidité, vous ne faites pas figure d'exception. L'impatience est devenue un mode de vie, l'impatient, un modèle. Plus remarqué que le patient, dont la sagesse stoïque était encore à la mode il y a un siècle, il comprend vite, pense vite, réagit vite. Surtout, il le fait voir et savoir. On le remarque, on l'admire et on l'envie. A juste titre?
Un lien entre patience et bien-être
Les études, étonnamment rares, sur la question, montrent pourtant que ces personnalités, aujourd'hui sur-valorisées, ne détiennent pas forcément les clefs du bonheur tant vantées par le développement personnel. Dans les années 1970, une expérience menée par le Pr. Walter Mischel à Stanford, et renouvelée fréquemment depuis avec les mêmes résultats, avait conclu que les enfants capables d'attendre 15 minutes pour obtenir deux bonbons connaissaient par la suite des parcours professionnels et personnels plus enviables que ceux qui se jetaient sur le bonbon unique accessible immédiatement.
Plus récemment, Sarah A. Schnitker, chercheuse en psychologie diplômée de l'université de Californie, a signé depuis 2007 plusieurs publications établissant un lien entre patience et bien-être. Les personnes à même de supporter placidement une attente ou de garder leur calme face à des gens contrariants ou des événements difficiles seraient ainsi moins touchées par la dépression et les émotions négatives.
"La réponse immédiate est rarement la bonne"
Plus empathiques, elles seraient aussi plus équitables et tolérantes. Moins sujettes au stress, elles seraient enfin dotées d'une meilleure santé et davantage concentrées sur leurs objectifs, avec les efforts nécessaires qu'ils impliquent.
"L'impatience a un côté vivant et spontané très séduisant, souligne Laurie Hawkes, psychothérapeute et auteur d'un ouvrage publié le mois dernier. Mais elle ne permet pas de réunir les bonnes conditions pour 'mentaliser'. Car 'mentaliser', autrement dit réfléchir de façon constructive et efficace pour agir en fonction de son bien et de celui des autres, implique un certain recul."
"Dans un contexte désagréable comme une dispute, la réponse immédiate est rarement la bonne, note Laurie Hawkes, car elle est le produit de pulsions ou d'émotions mal régulées. En outre, elle ne prend pas suffisamment en compte la partie adverse, qui a peut-être des circonstances atténuantes."
Un défi de taille dans cette ère de l'hyper-productivité
Un peu de patience permettrait donc de différer sa réponse pour mieux la penser et la formuler. Une démarche facilitée pour ceux qui ont bénéficié dans leurs jeunes années d'"une éducation structurée où les parents se sont appliqués à leur faire comprendre qu'on ne peut pas tout obtenir tout de suite, la condition indispensable au développement de la maîtrise de soi", affirme la psychologue.
"C'est une souffrance pour l'enfant, qui doit très tôt négocier avec ses désirs", commente Ariane Bilheran, psychologue clinicienne et également auteur, rappelant l'étymologie du mot 'patience', le verbe latin patior signifiant 'endurer, souffrir'. Mais cet apprentissage est indispensable pour lui permettre de s'adapter au fonctionnement réel de la société", poursuit-elle. Le défi est de taille dans cette ère de l'hyper-productivité et de la surconsommation qui laisse justement croire à la possibilité du "tout de suite".
Cette illusion dangereuse annihile "l'idée même de civilisation, c'est-à-dire d'un monde construit grâce à la patience de nos ancêtres et dans le respect des générations à venir. Elle nous fait régresser à un stade pré-infantile et pré-civilisationnel propice à la violence et à tout type de dérives sectaires ou extrémistes", analyse Ariane Bilheran. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le roman de Morgan Sportès inspiré par l'affaire du "gang des barbares" à l'origine du calvaire d'Ilan Halimi s'intitule Tout, tout de suite (éd.Fayard).
Une caractéristique du monde du travail contemporain
Pour la sociologue Danièle Linhart, l'entreprise est un des creusets de cette évolution inquiétante. "Le management contemporain est guidé par le principe de la remise en question et de l'adaptation permanentes, souligne-t-elle. L'idée du changement même est devenue une vertu comme, avant elle, celle du progrès." Changer pour changer sans même attendre les effets des mesures prises. L'impatience a clairement pris le pouvoir dans le monde du travail.
"La plupart des salariés se vivent désormais comme des apprentis à vie qui doivent sans arrêt faire leurs preuves et trouver de nouveaux repères", constate Danièle Linhart. La pilule est un peu amère pour eux, même si les initiatives visant à leur offrir une décompression se multiplient. "La mise en place de quarts d'heure de méditation contribue à une certaine détente, mais elle ne change rien au problème de fond qui réside au coeur des procédures de travail", conclut-elle.
En Chine, la patience est une vertu
Si l'entreprise gagnerait sans doute à tirer des bilans avant de se précipiter pour lancer de nouveaux chantiers, l'individu pourrait lui aussi repenser son rapport au temps et à l'attente. En s'inspirant par exemple des champions du monde en la matière, les Chinois. "La patience est au coeur de leur mentalité, souligne le sinologue Cyrille Javary. Alors qu'en Occident elle est étymologiquement et psychologiquement une souffrance qu'on supporte, en Chine, elle est une vertu relevant du yang, c'est-à-dire une force qui ne nous abîme pas."
Le mot signifiant "la patience et l'endurance" est d'ailleurs formé de deux idéogrammes dont l'un se traduit par "se caler sur le rythme de la pousse des racines qui assurent la floraison". Une image inspirante pour les natures occidentales qui peinent à envisager qu'une action ne soit pas suivie d'effets instantanés ou à accepter la durée de certains états ou situations pénibles.
Une culture de l'espoir
"Les Chinois, dont le calendrier est fondé sur les saisons et non sur les événements religieux comme en Occident, savent qu'après l'hiver arrivera le printemps", rappelle Cyrille Javary. Autrement dit, ils savent d'autant mieux patienter qu'ils n'ont aucun doute sur l'issue positive des choses. Les Occidentaux ont perdu cette harmonie avec le rythme terrestre naturel, observe-t-il. Ils ont une culture divine de l'espoir qui est en fait un pari, avec l'incertitude que cela engendre."
Or, pour rester dans la symbolique, c'est justement dans la certitude de l'arrivée du printemps qu'on peut puiser la force de supporter le froid et la tristesse de l'hiver. Et c'est pendant l'hiver que commencent à pousser les fleurs qui sortiront au printemps. Comme dans la déprime, où au coeur d'un mal-être peuvent se dessiner de nouvelles perspectives.
"Redéfinir des priorités de vie"
"Certains patients voudraient régler cinquante ans de vie en trois séances, résume la psychologue Ariane Bilheran. C'est impossible et ce serait très violent. Quelqu'un qui s'est construit dans le déni, par exemple, risque de s'effondrer si on lui enlève trop rapidement cette construction psychique qui lui sert de protection." Après un burn-out, dormir et accepter d'être inutile à la société se révèlent également indispensables pour redéfinir des priorités de vie. A l'image d'une terre qu'on laisse en jachère quelque temps afin de la rendre plus propice à la culture.
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