Don d’ovocytes : pour les femmes noires l’attente est beaucoup plus longue…
Les femmes touchées par l’infertilité peuvent avoir besoin de dons d’ovocytes. Pour les femmes noires, l’attente se compte en années, car les donneuses sont très rares. Des donneuses, receveuses et médecins expliquent pourquoi.
On le sait, la procréation médicalement assistée (PMA) est loin d’être ouverte à toutes les femmes. Et parmi celles qui y ont déjà accès, elle relève parfois de l’impossible, notamment pour les femmes noires ayant besoin d’un don d’ovocytes (les gamètes des personnes ayant un utérus, qui deviendront des ovules).
Sandrine Ngatchou, 37 ans, en sait quelque chose. Atteinte d’infertilité à cause de fibromes dans son utérus, elle ne peut utiliser ses propres gamètes et entame en 2015 un parcours d’aide à la procréation semé d’embûches. Au CECOS (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains) de Schiltigheim, dans le Bas-Rhin, on l’accueille en lui disant qu’aucune femme noire n’a poussé la porte du centre en huit ans. Et donc, qu’ils n’ont pas d’ovocytes de phénotype noir à lui proposer. « Je n’avais pas conscience que le fait d’être noire était aussi dramatique », raconte-t-elle.
Et pour cause : les temps d’attente pour les couples receveurs peuvent aller du simple au double. Voire au quadruple, selon le Dr Emmanuelle Mathieu d’Argent, du CECOS de l’hôpital Tenon AP-HP à Paris : « Chez nous, les couples d’origine « africaine » attendent en moyenne quatre ans pour bénéficier d’un don, alors que pour les couples « caucasiens », le temps d’attente est de 9 à 18 mois en moyenne ». Elle pointe que l’hôpital est situé dans le 20e arrondissement où « la population est plus mélangée », et signale que cette disparité peut être encore plus grande en région.
« Il y a clairement une inadéquation. En 2020, chez nous, sur 26 donneuses d’ovocytes, trois étaient noires. Sachant que sur la centaine de couples demandeurs en attente dans le centre, une vingtaine est un couple afro-descendant ou un couple mixte. »
Pénurie de dons d’ovocytes : « un tabou dans les communautés noires »
Pour Sandrine, à l’époque, c’est la douche froide. Elle décide de renoncer à la prise en charge de la sécurité sociale et de faire des tentatives au Portugal. Comme son voisin l’Espagne, ou encore le Cameroun, ce pays rétribue les donneuses et les temps d’attente sont donc moins longs. Sandrine finit par abandonner son projet de maternité, après quatre tentatives infructueuses de fécondation in vitro avec don d’ovocytes et 15.000 euros déboursés. Et après avoir milité pour informer sur cette problématique, avec son blog et sa chaîne Youtube Ovocyte-moi. Quatre femmes qu’elle conseillait dans ce cadre ont fini par se rendre au Cameroun.
Selon elle, cette pénurie de dons est due à un « tabou dans les communautés noires » :
« C’est un tabou sur l’infertilité en général, un regard négatif porté sur la femme qui ne pourvoit pas au rôle qui lui est assigné. »
« On ne parle pas de ces choses-là », a même entendu Laura, une jeune quadra qui avait abordé son infertilité avec son entourage. En organisant ensuite un « Twitter Space » (une « salle » audio en ligne) sur la question, elle a aussi constaté l’importance de la filiation, à l’heure où le don est anonyme et les donneuses ne sont pas informées du devenir de leurs gamètes :
« Les participantes se posaient des questions sur ce que deviendraient leurs ovocytes. Le besoin de transmission les traverse beaucoup, l’idée qu’un de leurs “enfants” se balade dans la nature sans connaissance de leur culture à elles, ça les dérange ».
Le Dr Mathieu d’Argent a rencontré de nombreuses femmes pour qui les ovocytes étaient « une part d’elles-mêmes ». Des femmes volontaires qui se rétractaient ensuite parce que l’enfant à venir aurait été « leur enfant ». Elle ajoute avoir longtemps été confrontée à des réticences liées à la religion, à des doutes sur ce que la foi musulmane notamment « autorisait » vis-à-vis de l’aide à la procréation médicalement assistée. « Mais ces questionnements-là sont de plus en plus rares », précise-t-elle.
Pourtant, certaines jeunes femmes se lancent. Tsippora, créatrice d’un podcast sur le (non-)désir d’enfant des femmes noires (Tant que je serai noire), a fait un don d’ovocyte en février 2020. C’est parce qu’elle ne veut pas devenir mère qu’elle s’est dit qu’elle pourrait filer un coup de main à celles qui ont ce désir. Grâce à l’activisme de Sandrine Ngatchou, elle a appris l’existence de ce problème, qui n’est pas assez mis en avant d’après elle :
« Qu’on soit blanc ou noir, on n’entend jamais parler de dons d’ovocytes, au contraire des dons de sperme ou du don du sang par exemple. »
« Où sont les campagnes pour les donneuses d’ovocytes noires ? »
Selon elle, il y a un réel manque de campagne ciblant particulièrement les donneuses noires. Sandrine Ngatchou aussi est en colère contre les institutions comme l’agence de biomédecine :
« Où sont les campagnes pour les donneuses d’ovocytes noires ? Ils font bien de la prévention pour le VIH avec la communauté gay. Nous sommes les oubliées des politiques de santé publique. Le système est à revoir. »
Son combat a été entendu, puisque l’agence de biomédecine a bien commencé une sensibilisation spécifique : « L’un des objectifs de l’agence est de recruter des donneuses de profils géographiques variés », avance pudiquement le Dr Claire de Vienne, médecin référent de l’AMP à l’agence de biomédecine.
« Nous faisons des spots radio, des campagnes sur les réseaux sociaux… Nous travaillons avec des associations de patient·e·s dont certain·e·s sont issu·e·s de la diversité, et de même pour les influenceurs et influenceuses. »
L’ABM a notamment évoqué le besoin de profils divers dans une vidéo en partenariat avec Amandine Gay et diffusé le témoignage de Marie Anne, donneuse afro-descendante, dans un podcast avec Marie Bongars.
« Ça prend du temps, mais on y croit », affirme Claire de Vienne. Le nombre de donneuses (tout phénotype confondu) augmente chaque année (il est par exemple passé de 746 en 2016 à 777 en 2018). Le Dr Mathieu encourage également les quelques donneuses et les receveuses à en parler autour d’elles, à désacraliser l’ovocyte et à donner une image plus humaine à la démarche, moins technique.
Tsippora veut faire sa part avec son podcast, dont une série d’épisodes sera consacrée au sujet cet été, pour « donner des clés très concrètes sur le parcours PMA ». Elle concède que la démarche est lourde : des injections quotidiennes d’hormones pour stimuler la réserve ovarienne pendant 10 à 12 jours, puis une ponction sous anesthésie locale ou générale. « Bref, si t’es pas vraiment motivée, tu peux avoir envie d’arrêter ».
« Certains couples se sentent un peu contraints de prendre des ovocytes blancs, voyant le délai d’attente »
La démarche n’est donc pas anodine, et mêle de nombreuses questions bioéthiques, qui sont autant de blocages que de leviers d’action. Parmi eux, la règle de l’appariement, expliquée ainsi par Emmanuelle Mathieu d’Argent :
« La loi dispose qu’il convient de faire correspondre autant que possible les caractéristiques physiques de l’enfant à naître aux couples receveurs, ce qui implique notamment la couleur de peau ». Lire la suite sur madmoizelle.com
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