Témoignages : le couple à l'épreuve de la stérilité
« Faire un bébé ensemble »... Quoi de plus naturel quand on s’aime ?
Mais lorsque le verdict « stérile » tombe, c’est le couple lui-même qui vacille. Commence alors la valse des doutes et des déchirements. Comment l’amour peut-il résister face à la stérilité ? Ils témoignent.
Il y a elle et lui. Ils s'aiment et décident de faire un enfant. Elle arrête la pilule, ou se fait enlever son stérilet. En faisant l'amour, au-delà du plaisir, ils rêvent d'un bébé mignon, de jouets, de livres d'école et de genoux écorchés. Les mois passent, elle ne tombe pas enceinte. Quand elle commence à s'inquiéter, son gynéco lui dit: "Ça va venir, n'y pensez plus." Mais ça ne vient pas et elle ne pense plus qu'à ça.
Alors elle convainc son partenaire. On va aller faire des examens. Prises de sang, radiographies des trompes et de l'utérus pour elle, spermogramme pour lui. Parfois on leur demande de se précipiter au laboratoire d'analyses moins d'une heure après un rapport sexuel. Alors ils se forcent de plus en plus, obsédés, elle par ses ovules, lui par ses spermatozoïdes. Parfois les médecins trouvent une explication, parfois pas. Mais les faits sont là : l'enfant n'arrivera pas naturellement. On maîtrise beaucoup de choses mais pas ça.
Un diagnostic qui chamboule tout
Lorsque tombe le diagnostic d'infertilité, le couple vacille. Pourquoi moi ? Pourquoi nous ? Comment se projeter dans l'avenir quand le rêve de continuité déserte le futur ? Que faire ? Adopter ? Peut-être. Non... pas encore. On veut poursuivre une lignée, avoir un enfant « de » soi. Alors on se tourne vers la médecine, on va lui demander de pallier les déficiences du corps, de la mécanique reproductive.
Dans les cas les plus rebelles, on va se lancer dans la fécondation in vitro (FIV). Plus de 23 000 naissances par an en France sont issues d'une insémination artificielle ou d'une FIV. Pas énorme, mais de quoi laisser la place à l'espoir. Pendant des semaines, voire des mois, le couple va devenir un ménage à trois : elle, lui et la médecine. Sous l'effet d'injections massives d'hormones, elle va se transformer en usine à ovocytes. Lui, excepté le jour où il va donner son sperme, se sent hors du coup, relativement impuissant. Tout tourne autour de son corps à elle.
Comment surmonter l'épreuve sans exploser ?
Pour faire face, pas de recette, bien sûr, sauf celle de la parole qui explore le désir d'enfant, qui met de la distance entre le couple et son épreuve, qui prépare parfois au renoncement. Mais parler à qui ? A la famille ? Souvent trop lourd, surtout quand l'enfant qui n'arrive pas à naître est l'enjeu d'une rivalité inconsciente entre la mère et sa fille stérile. Les amis ? Oui quand ils savent écouter, non quand l'intimité exposée les met mal à l'aise.
Restent les associations, si l'on a la chance d'en trouver une. Dans le Grand Ouest français, entre Rennes et Nantes, deux femmes ont créé Amphore (www.amphore.fr). Sylvie et Ginou sont amies depuis toujours. La première était sage-femme, la seconde aide-soignante. Devant le désarroi des couples en cours de procréation médicalement assistée (PMA), elles se sont lancées dans le bénévolat. A travers Amphore, elles écoutent, individuellement ou en groupe, soutiennent et orientent. C'est grâce à elles que nous avons rencontré les femmes et l'homme qui nous ont ouvert leur cœur.
Stérilité dans le couple : ils racontent
Aline, 32 ans, mariée depuis douze ans, Cadre supérieure.
Après des années de tentatives infructueuses, les examens médicaux montrent que le sperme de son mari est de mauvaise qualité. La solution la plus simple serait l'insémination avec donneur anonyme, mais son mari refuse.
"Pour lui, savoir que l'enfant était génétiquement de lui était très important. La seule possibilité qui restait, c'était la fécondation in vitro avec micro-injection intracytoplasmique de spermatozoïdes (Icsi)*. Le traitement commence en juin 2007, après une foule d'examens assez douloureux. Très vite, je me rends compte que je ne peux pas mener de front carrière dans la finance et fécondation in vitro. Entre les rendez-vous chez le gynéco et au centre de PMA, les effets secondaires des piqûres et les analyses de sang quasi quotidiennes, je ne peux pas soutenir le rythme. Je décide de démissionner. Les stimulations ovariennes sont extrêmement pénibles.
Je suis épuisée, ballonnée, irritable.
Alors que je suis déjà très myope, ma vision devient de plus en plus trouble.
Finalement, j'arrive à "pondre" treize ovocytes, qui sont prélevés sous anesthésie locale. Au même moment mon mari donne son sperme, immédiatement centrifugé et sélectionné. Après la fécondation in vitro, les biologistes obtiennent neuf embryons. On m'en implante un et on congèle les huit autres.
Commence l'attente, le mélange d'espoir et d'appréhension. Mon corps réagit très vite, mes seins gonflent, mais au bout de deux semaines, on se rend compte que l'implantation n'a pas marché. Le décalage avec mon mari devient alors de plus en plus grand. Je suis enfermée toute la journée, ma vie ne tourne plus qu'autour de ça, alors que lui part au travail tous les matins. Je vis ça dans mon corps d'une manière très intense, mais pour lui, à part les dons de sperme, ça reste abstrait. Il m'écoute mais ne parle pas. Je me sens de plus en plus seule.
Mon intimité est constamment livrée à une équipe médicale.
J'ai l'impression de faire l'enfant non plus avec mon mari mais avec le gynéco.
Et puis la révolte : c'est lui qui a des problèmes de fécondité, c'est moi qui subis les traitements. Après le premier échec, je suis obsédée par la mort de l'embryon. Mon mari ne comprend pas mon chagrin. En octobre 2007, on refait une implantation avec un embryon congelé. Je suis sûre que ça ne marchera pas. L'idée d'un truc congelé qui redeviendrait vivant, ça me paraît fou. Et effectivement, ça n'a pas marché.
Là, je me sens à la croisée des chemins. J'ai droit à encore deux tentatives prises en charge par la Sécu. Je ne suis pas certaine d'avoir le désir de remettre ça. Je prends rendez-vous avec un psychiatre pour essayer d'éclaircir les choses avec mon mari, afin qu'il arrive enfin à mettre des mots sur ses sentiments. Je voudrais le convaincre d'admettre le recours à l'insémination artificielle avec sperme de donneur (IAD), mais j'ai peur qu'il n'arrive pas à s'approprier pleinement un enfant né par insémination. S'il me refuse cette chance, je ne sais pas ce que nous allons faire.."
(*) Utilisée dans le cas où les spermatozoïdes sont déficients, l'Icsi consiste à en trier un de bonne qualité et à l'injecter directement dans l'ovocyte.
Éléonore et Bertrand, 31 ans, mariés depuis dix ans, cadres.
Eléonore a les trompes bouchées: impossible d'éviter la fécondation in vitro. La première stimulation ovarienne débute à l'automne 2005. Le couple raconte comment il a traversé cette épreuve.
Eléonore : Pendant les traitements hormonaux, j'étais hyper-agressive, fatiguée, un mot de travers et je prenais la mouche. Quand j'étais énervée, il m'est arrivé de dire à Bertrand : "Tais-toi ! Si je veux, tu n'auras jamais d'enfant." Pour les câlins, je n'étais pas motivée. Comme le sexe ne pouvait déboucher sur la procréation, je n'en voyais plus l'intérêt...
Bertrand : Je suis parti du principe que comme c'était elle qui endurait tout, j'encaissais sans rien dire. Je compensais mon impuissance en étant entièrement à sa disposition, en faisant les courses, la cuisine, le ménage... J'aurais bien fait les piqûres à sa place!
Eléonore : A la fin du traitement, on m'a prélevé quinze ovocytes sous anesthésie générale.
Bertrand : Pendant le prélèvement, je me masturbais dans un local du labo de biologie. Ça n'était pas agréable, mais ça n'était rien par rapport à ce qu'elle endurait.
Eléonore : On m'a implanté deux embryons. Douze jours après, je suis allée faire une prise de sang pour mesurer le taux de bêta HCG. Quand on est enceinte, ce taux double toutes les quarante-huit heures. L'attente des résultats est terrible. C'est le moment le plus pénible. En deux jours mon taux est passé de 73 à 7. C'était foutu. Je n'étais pas enceinte. Après ça, voir des gens avec des bébés était quasi insoutenable.
Bertrand : C'était important qu'on se change les idées, qu'on ait un autre projet. On venait d'acheter la maison. On s'est lancés dans les travaux et la déco.
Eléonore : Normalement, on peut faire une deuxième fécondation in vitro après un délai de trois mois. Mais j'étais épuisée nerveusement, je dormais très mal.
Bertrand : Je lui ai dit qu'il n'y avait pas le feu, qu'il fallait prendre du bon temps, vivre pour nous. Je l'ai convaincue de s'occuper d'elle jusqu'à ce qu'elle soit complètement retapée.
Eléonore: On a mis toutes les chances de notre côté. Je me suis mise au yoga, à l'acupuncture. Quand a commencé la deuxième stimulation, j'étais relativement en forme. Après un mois de doses hormonales de cheval, on m'a prélevé vingt-trois ovocytes et implanté deux embryons. J'ai senti tout de suite que j'avais des nausées, que mes seins gonflaient.
Bertrand : On a fait attention de ne pas crier victoire trop vite.
On était suspendus aux résultats de l'analyse de sang.
Eléonore: En deux jours, mon taux de bêta HCG était passé de 500 à 1 700. Les deux embryons s'étaient implantés. La grossesse a été très délicate. Je suis restée couchée pendant des mois, en espérant tenir le plus longtemps possible. Bertrand a tout assuré. Il a été extraordinaire. Les deux garçons sont nés à 2,6 kg chacun.
Bertrand : Beaucoup de couples explosent après une PMA. Nous, ça nous a rapprochés. »
Chloé, 48 ans, marc, 46 ans, et Li-Kiù, 7 ans.
Chloé a 31 ans lorsque son gynéco lui annonce qu'elle a les « trompes atrophiées » et qu'elle est donc stérile. Le choc est terrible, mais le couple surmonte l'épreuve et décide sans hésiter d'avoir recours à la fécondation in vitro. Sept tentatives, sept échecs...
"A l'échec de la troisième FIV les doutes ont commencé. Je pense que c'est là qu'on a compris qu'on n'y arriverait jamais, mais nous n'étions pas encore prêts à nous résigner...
En fait, on s'est battus pendant sept ans. Les années passant, notre désir d'enfant tournait à l'obsession.
C'était une période très douloureuse, aussi bien physiquement que psychologiquement. Je pleurais énormément... J'ai conscience aujourd'hui que notre couple a survécu grâce au soutien de Marc. Il m'accompagnait à chaque rendez-vous, me faisait livrer des plats, le midi, pour que je bouge le moins possible et pour augmenter nos chances de garder l'enfant... Surtout, il a toujours voulu beaucoup parler.
Je crois que c'est vraiment la clé, pour éviter le clash : se dire les choses, ne rien garder pour soi et s'épargner le plus possible les non-dits et les tabous. Cela aide à ne pas culpabiliser ou à ne pas en vouloir à l'autre... C'est Marc qui, à la septième fécondation in vitro, a évoqué l'adoption. J'ai tout de suite accepté, j'étais à bout de forces. Je crois que c'est vraiment à ce moment-là que nous avons fait le deuil de l'enfant biologique que nous n'aurions jamais.
Ensemble. Nous allions devenir parents, mais autrement. Et c'est en s'impliquant à 100% dans ce nouveau combat que notre couple s'est encore solidifié. Appeler, relancer, faire bouger les choses... Il a fallu attendre treize mois avant qu'un soir, à 21h30, on nous annonce par téléphone qu'une petite Chinoise de 9 mois au sourire magnifique nous attendait. On ne pouvait plus s'arrêter de pleurer. Marc bégayait d'émotion, c'était un moment de bonheur inimaginable... Je n'oublierai jamais les dernières heures d'attente, en Chine, à l'orphelinat, dans un silence monacal, au milieu des autres adoptants... Pour moi, cette attente interminable correspond à mon "accouchement"! (Rires.)
Quand on a posé Li-Kiù sur ma poitrine, j'ai ressenti une émotion inconnue, presque animale. J'étais maman. Finalement notre couple n'était pas stérile ! Après toutes ces épreuves, il est solide comme un roc !"
L’avis de l’expert sur la stérilité dans le couple
Pourquoi est-il si douloureux de découvrir qu'on est stérile?
Sylvie Faure-Pragier : Cela provoque des sentiments de culpabilité, d'infériorité et d'amputation du moi qui peuvent être intenses. A cause de la stérilité, on interrompt la chaîne de la transmission des générations. On peut avoir l'impression de ne pas devenir adulte, de rester l'enfant de ses parents.
Quels sont les retentissements sur le couple?
Il est amputé de ce signe de l'amour qu'est la grossesse. L'homme et la femme doivent négocier leur propre blessure et la blessure de l'autre. La vie sexuelle, scrutée par les médecins et les biologistes, en prend évidemment un coup.
Quels conseils peut-on donner aux couples en cours de PMA?
Il est indispensable de trouver à qui parler pour diminuer la culpabilité, la perte de confiance en soi et l'angoisse, et pour comprendre comment intégrer le trauma de la stérilité dans son histoire. Quelques séances chez un psy spécialisé peuvent suffire.
Le rôle des associations aussi est précieux. Le conjoint a tout à gagner à compenser sa relative mise à l'écart physique en accompagnant sa femme un maximum.
Si les techniques de PMA ne fonctionnent pas, il est important de préparer le renoncement à l'acharnement thérapeutique en liaison avec l'équipe médicale. L'entourage doit écouter sans être intrusif.
Et l'adoption ?
La loi impose qu'on parle d'adoption aux couples qui entreprennent une fécondation in vitro. C'est à mon avis une erreur. On ne peut songer sereinement à l'adoption que lorsqu'on a renoncé à l'enfant biologique, pas avant.
Et puis il est important de rappeler que, contrairement à ce que la norme sociale martèle d'une manière de plus en plus envahissante, on peut être parfaitement heureux sans enfant.
Source : Autre presse
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