Marguerite Abouet : ``Ouattara, Gbagbo et Bédié ? J’espère qu’ils ont abordé la question de la pauvreté``

Cette semaine, l’auteure de la célèbre BD « Aya de Yopougon » s’exprime sur la politique ivoirienne, et notamment sur le rôle de l’éducation.

Elle s’est fait un nom grâce la saga Aya de Yopougon. Cette BD connue dans le monde entier, traduite dans quinze langues et adaptée au grand écran, fait la fierté des Ivoiriens. Le personnage principal (qui donne son nom à la saga) évolue dans le quartier populaire de Yop City, où a grandi la scénariste, à la fin des années 1970. Impertinente et drôle, Aya rêve de devenir médecin et incarne pour beaucoup un modèle d’émancipation féminine.

Si Marguerite Abouet a quitté sa Côte d’Ivoire natale à l’âge de 12 ans, elle y retourne régulièrement, notamment afin de poursuivre l’action culturelle qu’elle mène, depuis une dizaine d’années, par le biais de son association Des livres pour tous, qui vise à créer des bibliothèques dans les écoles publiques d’Abidjan. Alors que, dix-sept ans après la publication du premier volume de sa série, elle s’apprête à sortir un septième tome, en septembre prochain, elle revient sur les enjeux qu’elle estime prioritaires pour le pays, la jeunesse et l’éducation.

Jeune Afrique : Le 14 juillet, Alassane Ouattara a reçu ses prédécesseurs, Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié. Que vous inspire cette rencontre historique, la première depuis la crise postélectorale de 2010-2011 ?

Marguerite Abouet : Cette rencontre est une bonne chose. Elle signifie que les tensions se sont apaisées et que ces trois hommes pensent à l’avenir de leur pays. Je ne sais pas ce qu’ils se sont dit, mais j’ose espérer qu’ils ont parlé d’éducation. La Côte d’Ivoire a énormément régressé dans ce domaine. J’espère aussi qu’ils ont abordé la question de la pauvreté et de la cherté de la vie, car près de la moitié de la population est pauvre. Le salaire moyen ne dépasse pas les 100 euros par mois, et le taux de chômage est très élevé chez les jeunes. J’espère enfin qu’ils ont évoqué la politique de la santé, qui est aussi un vrai problème.

Certes, la Côte d’Ivoire connaît un rebond économique spectaculaire grâce à la politique des grands travaux, mais c’est aussi le moyen, pour les politiques, d’oublier les bouleversements du passé. Des plaies ne sont pas encore pansées. Une bonne partie de la population reste traumatisée par la guerre civile.

Les enfants des rues, les prostituées, les personnes qui vivent dans une extrême précarité… Je suis témoin de tout cela quand je retourne dans mon pays. Je souhaite donc que la rencontre entre ces trois hommes aboutira à une prise en compte des besoins de la jeunesse, dont deux générations ont été sacrifiées, et qui, même diplômée, ne trouve pas de travail.

LES ÉCOLES PUBLIQUES SONT UNE CATASTROPHE, ELLES SONT LAISSÉES À L’ABANDON

Vous œuvrez pour l’éducation par le biais de votre association Des livres pour tous. Êtes-vous optimiste pour l’avenir de la jeunesse ivoirienne ?

Cela fait longtemps que j’ai cessé de l’être. Je mène un combat visant à installer des bibliothèques accessibles à tous dans les écoles publiques des quartiers populaires d’Abidjan, et je suis choquée de voir dans quelles conditions on fait travailler ces jeunes. Les écoles publiques sont une catastrophe, elles sont laissées à l’abandon par les pouvoirs publics. Conséquence, des écoles privées fleurissent un peu partout, les professeurs désertent les établissements publics, et même les personnes sans réels moyens y envoient leurs enfants.

Le taux de réussite au baccalauréat 2022 a connu une légère hausse, avec 30,78% (contre 29,24% en 2021). Qu’est-ce que cela traduit selon vous ?

J’espère que les 3 000 jeunes qui fréquent mes bibliothèques y sont pour quelque chose. On intervient de la maternelle à la terminale. Et beaucoup de jeunes qui ont été accompagnés par ce projet reviennent dans les écoles et aident à leur tour leurs cadets. Les équipes sont très dynamiques. Pour autant, ce résultat de 30% est un progrès, mais il reste insuffisant pour un pays comme la Côte d’Ivoire. Le taux de réussite pourrait être beaucoup plus élevé si le gouvernement donnait les moyens à cette jeunesse de travailler dans de meilleures conditions. Il serait d’ailleurs intéressant de connaître le taux de réussite des écoles privées et celui des écoles publiques. LIRE PLUS SUR JEUNEAFRIQUE

 

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