Artémisia et vieilles recettes: Madagascar a ouvert la chasse contre le Covid-19
La validation par le Président Andry Rajoelina du remède Covid-Organics, une décoction à base d’artémisia interdite à la vente dans plusieurs pays européens, a suscité espoirs et critiques. Sputnik France a demandé son avis au chercheur congolais Jérôme Munyangi, qui travaille depuis six ans sur un traitement alternatif contre le paludisme. Pourquoi l’annonce il y a une dizaine de jours par le Président Andry Rajoelina de l'existence à Madagascar d'un «remède» contre le coronavirus, appelé Covid-Organics, a-t-elle provoqué autant d’émotion? À l’issue d’essais effectués dans la Grande île sur ce traitement à base d’artémisia, une plante bien connue dans la lutte contre le paludisme, le chef de l’État a estimé qu’ils étaient suffisamment concluants pour commencer à distribuer ce «remède».
«Aujourd'hui, j'annonce officiellement ici la réussite et les bons résultats des essais de notre remède. On peut dire qu'il a donné un résultat concluant sur les malades du Covid-19 à Madagascar et qu'il peut limiter et atténuer ses effets sur le corps humain», a déclaré le Président Andry Rajoelina lundi 20 avril, en validant les essais sur le Covid-Organics, un remède traditionnel sous forme de tisane dont il a pris une grande rasade à la télévision. Partout sur la planète, la recherche d’une combinaison miracle contre le Covid-19 est lancée, comme l’a montrée la polémique autour de l’usage de la chloroquine. Et c’est la première fois, en Afrique comme dans le monde, qu’un dirigeant en exercice valide ainsi publiquement une pharmacopée traditionnelle érigée en traitement contre le coronavirus.
Selon les derniers chiffres communiqués par le Centre de commandement de lutte contre le Covid-19, le nombre de malades suivis à Madagascar est passé de 121 à 63. Toutefois, jusqu’au 24 avril, les personnes guéries avaient pour la plupart pris le protocole composé d'hydroxychloroquine et d'azithromycine. Seulement deux d’entre elles ont été traitées avec le Covid-Organics (CVO), du nom du nouveau médicament local développé par l'Institut malgache de recherches appliquées (IMRA).
Mais cela a suffi pour convaincre le Président. Arguant des effets secondaires de la chloroquine, il lui a préféré un «remède traditionnel amélioré à base d'artémisia et de plantes endémiques, curatif et préventif», tel que le Covid-Organics a été présenté. Les patients conservent néanmoins l’opportunité de choisir leur traitement, entre le protocole international ou le CVO.
D’abord sceptique sur les vertus du CVO en tant que médicament, l'Académie de médecine de Madagascar s’est finalement ravisée en indiquant, dans un communiqué en date du 24 avril, qu’elle ne s'opposait pas à son utilisation sous forme de «tambavy» (décoction en langue malgache, ndlr), laissant sa prise «à la libre appréciation de chacun sous réserve du respect de la dose indiquée, notamment pour les enfants».
«Le combat de David contre Goliath»
En Afrique, où l’artémisia est bien connue et depuis longtemps, les réactions ont d’emblée été très favorables. Contrairement à l’Europe, où la plante est interdite à la vente depuis 2012, notamment en France et en Belgique.
Le Président sénégalais Macky Sall, après le Président congolais Félix Tshisekedi, a non seulement félicité son homologue malgache lors d’un échange en fin de semaine, mais il lui a demandé des échantillons de Covid-Organics avant, éventuellement, de passer commande. Quant aux Malgaches, le CVO, qui se présente sous forme d’une tisane mise en bouteille, leur a été distribué «gratuitement, pour les plus vulnérables» et vendu à bas prix aux autres.
«Tous les bénéfices seront reversés à l’IMRA pour financer la recherche scientifique», a également promis le Président malgache qui en a profité pour déconfiner une partie du territoire et renvoyer à l’école les élèves des classes de 7e, 1ère et terminale dès le lundi 20 avril.
L’artémisia au cœur de la controverse
Pourquoi, alors, le CVO soulève-t-il autant de controverses? Pour le savoir, Sputnik France a interrogé un chercheur congolais, le docteur Jérôme Munyangi, qui a conduit en 2011 une étude pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Kinshasa sur «les maladies tropicales négligées». Depuis 2014, il travaille au sein de la Maison de l’Artémisia à Paris, une ONG française, sur un traitement alternatif contre le paludisme utilisant l’un des principes actifs de l’artémisia appelé artémisinine.
Au micro de Sputnik France, il a réaffirmé l’efficacité de cette plante endémique avec laquelle les Chinois se soignent depuis plus de 2000 ans pour booster le système immunitaire. Et ce, malgré le fait que l’OMS déconseille son utilisation depuis 2012 pour soigner la malaria. Quant à son efficacité sur le coronavirus, il a estimé que la décoction CVO présentée par le Président malgache pourrait inhiber la pénétration du coronavirus dans le corps humain en agissant sur une protéine spécifique.
Pourquoi avoir décidé de consacrer vos recherches à l’artémisia?
En 2012, je finissais mes études à la faculté de médecine de Kinshasa et j’ai attrapé le paludisme. Comme je ne voulais pas me traiter avec de la quinine, à cause des effets secondaires, j’ai demandé à un ami médecin s’il existait une alternative. Il m’a donné des gélules à base d’artémisia venant du Luxembourg. Trois jours après, je me sentais beaucoup mieux. Une semaine plus tard, j’étais guéri. J’ai alors décidé de faire des analyses de sang. J’ai obtenu les mêmes résultats que pour quelqu’un qui n’avait jamais vécu dans une zone endémique. Ma décision était prise de consacrer mes recherches à cette plante.
Est-ce que l’artémisia qui pousse en Afrique est la même que celle que l’on trouve en Chine ou ailleurs sur la planète?
En Afrique, nous avons une variété, l’artémisia afra, qui pousse partout. C’est une plante endémique, autochtone, connue des populations indigènes. Celle qui vient de Chine s’appelle artémisia annua. Elle compte pas moins de 400 principes actifs.
Comment êtes-vous arrivé jusqu’à la Maison de l’Artémisia, à Paris ?
En 2014, je suis venu en France pour faire mon master en biologie synthétique à Paris VII et Paris V. Mon ami médecin au Congo qui m’avait soigné en 2012 a écrit à son professeur au Luxembourg pour le prévenir de mon arrivée. Ce dernier a alors contacté le Dr. Lucile Cornet-Vernet pour voir quelles seraient les possibilités que je fasse des recherches plus poussées sur l’artémisia en collaboration avec son ONG.
En 2001, l’OMS avait déclaré que l’artémisinine, le principe actif de l’artémisia qui agit contre la malaria, représentait «le plus grand espoir mondial pour éradiquer le paludisme». Or, en 2012, elle déconseille son utilisation. Comment expliquez-vous ce revirement?
Pour déconseiller l’utilisation de l’artémisia, sous quelque forme que ce soit –y compris la tisane qui est la plus usitée en Afrique–, l’OMS a déclaré qu’il pourrait y avoir une résistance. Or, toutes mes recherches m’ont prouvé le contraire. On développe des résistances à des molécules, pas à une polythérapie, comme en atteste d’ailleurs la nombreuse documentation scientifique qui existe sur le sujet. L’OMS s’est donc laissé induire en erreur avec les conséquences malheureuses que l’on sait pour le traitement du paludisme, ainsi que la décision de plusieurs pays européens, comme la France et la Belgique, d’interdire purement et simplement l’artémisia à partir de juin 2012.
Par conséquent, le mélange de plantes utilisé dans le Covid-Organics vous paraît-il fiable?
Jerôme Munyangi: «Vous pensez bien que les Malgaches gardent jalousement leur protocole. Ce que je peux vous dire, c’est que l’emploi d’artémisinine dans ce traitement, combiné aux effets thérapeutiques de plusieurs plantes locales, semble très prometteur. Dans le cas du CVO, l’artémisinine qu’il contient permettrait d’inhiber la pénétration du Covid-19 dans le corps humain en agissant, notamment, sur la protéine TMPRSS2. Or, cette protéine est indispensable pour aider le virus à entrer dans les cellules de la personne contaminée. En buvant du Covid-Organics, le renforcement généralisé du système immunitaire qui en est induit pourrait alors contrarier ce processus du virus pour s’infiltrer.
Peut-on dire, dans ce cas, que le CVO «soigne» le Covid-19?
Pour soigner une maladie virale comme celle du Covid-19, on peut intervenir de deux façons: soit en agissant sur l’environnement qui permet la transmission de la maladie, soit en éradiquant le pathogène, en l’occurrence le virus lui-même. Le Covid-Organics, lui, semble agir dans la première catégorie, en empêchant que le virus utilise la clé lui permettant d’entrer dans les cellules et de les infecter.
Source: sputniknews.com
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