Comment les sociétés secrètes font perdurer la pratique de l`excision en Sierra Leone

En Sierra Leone, les sociétés secrètes "jouent toujours un rôle prépondérant dans la vie sociale, religieuse et politique" de la grande majorité de la population. Leurs pratiques, bien que controversées, comme celle de l’excision des jeunes filles, sont encore pourtant aujourd’hui défendues jusqu’aux plus hauts sommets de l’État.

Après avoir provisoirement interdit les sociétés secrètes, le gouvernement sierra-leonais est revenu sur sa décision, les autorisant désormais uniquement d’octobre à décembre et lors des vacances scolaires, comme le rapportent nos confrères du Monde. Si ces rites ne peuvent plus non plus être imposés à des mineurs sans leur consentement et que toute discrimination pour non-appartenance à une société secrète est prohibée, celles-ci restent toujours aussi actives.
Pour preuve, début juillet, les images d’une trentaine de jeunes filles âgées de 4 à 16 ans et ayant rejoint la société de Bondo, dans le village de Kombrabai (nord), avaient été publiées sur les réseaux sociaux. Ces dernières, soumises à l’initiation, symbole du passage à l’âge adulte, partiront deux semaines dans la brousse apprendre à danser, chanter, se confronter aux esprits… C’est également au cours de ce périple que les fillettes seront excisées. Une mutilation génitale qui ne serait qu’une étape de cette procession, "Nous ne faisons pas que les exciser, nous leur apprenons également à être une femme, à cuisiner, à respecter les anciens. Après l’initiation, elles retournent dans leur communauté pour poursuivre leur éducation jusqu’à leur mariage", explique Yambundu Oile, qui, en une cinquantaine d’années, a initié des milliers de jeunes filles, détaille Le Monde.

Le poids de la tradition

Les sociétés secrètes "jouent toujours un rôle prépondérant dans la vie sociale, religieuse et politique" de chaque communauté, précise le professeur Joe Alie, du département d’études africaines à l’Université de Sierra Leone. Selon lui, plus de 90 % de la population est concernée par ces rites ancestraux que beaucoup défendent comme faisant partie intégrante de la tradition du pays.
Après le lancement de campagnes contre les mutilations génitales féminines, Fatima Bio, l’épouse du président Julius Maada Bio, n’avait pas hésité à les qualifier "d’idées occidentales", avant de revenir sur ses propos, plaidant pour que "la tradition de la société Bondo se poursuive, mais en renonçant à l’excision".


Ce à quoi Rugiatu Turay, ancienne ministre devenue militante de l’interdiction de l’excision, répond, "le défi, c’est d’éliminer les mutilations génitales, pas la culture du Bondo", qui selon elle, remplit un rôle social important. "Mais il est difficile de convaincre les gens de réformer leurs pratiques, parce que les responsables politiques financent les cérémonies d’excision pour gagner des voix", soupire l’ancienne politicienne.

Dans un rapport publié en février 2016, l’UNICEF dressait un bilan chiffré du nombre de femmes et de filles ayant subi une mutilation sexuelle et établissait que 200 millions de femmes et d’enfants victimes de cette pratique étaient alors en vie. Parmi ces dernières, 44 millions étaient âgées de 14 ans ou moins. Dans les 30 pays où les mutilations sont les plus répandues, la majorité des victimes ont été excisées avant d’avoir 5 ans.