Le nouvel espoir de la mode africaine c ‘est lui, Thebe Magugu

Le designer sud-africain Thebe Magugu entre dans l’histoire de la mode. Il est devenu, en septembre, le premier créateur africain à avoir emporté le prix LVMH, l’un des plus importants de cette industrie. Une belle vitrine internationale pour ce jeune talent, mais aussi un coup de projecteur pour la création contemporaine du continent.

Quelques semaines après la cérémonie de remise de prix, Thebe Magugu a toujours du mal à y croire. « Parfois je me dis que je vais me réveiller et me rendre compte qu’il s’agit d’un rêve », résume le créateur lors d’une rencontre à la fin de la Fashion Week parisienne, début octobre.

Ce garçon timide, originaire de Kimberley et installé à Johannesburg, vient d’emporter une dotation de 300 000 euros, qu’il compte investir dans sa marque. En plus de l’aide financière, il sera suivi par une équipe de professionnels du groupe leader mondial du luxe, qui le conseillera sur des aspects pratiques pour le développement de son entreprise, comme la production, le marketing, ou encore la propriété intellectuelle.

« Avec ces prix, il y a beaucoup de pression », affirme le créateur, qui a emporté aussi cette année l’International Fashion Showcase (IFS) organisé par le British Council, le British Fashion Council, le London College of Fashion et la Somerset House. Mais pour lui, cette reconnaissance est avant tout une opportunité de montrer la richesse du continent africain. « Je souhaite que les gens se rendent compte que je ne suis pas le seul créateur actif dans le continent et qu’il y a plein de designers, photographes et stylistes incroyables. Nous sommes des millions », sourit-il. Comme le Nigérien Kenneth Izedonmwen, qui faisait aussi partie à ses côtés des finalistes de cette édition du prix LVMH.

Le plus jeune finaliste

« Je me réjouis qu’un candidat issu du continent africain remporte le prix LVMH pour la première fois, d’autant que Thebe Magugu, à 26 ans, est le plus jeune de la sélection 2019 », a rappelé Delphine Arnault, directrice générale adjointe de Louis Vuitton et à l'initiative du concours.

Magugu a étudié le design et la photographie de mode à l’école Lisof de Johannesburg. Diplômé en 2014, il enchaîne les petits boulots alimentaires et, à peine un an plus tard, lance sa propre marque, défile à la Fashion Week locale et voit ses créations disponibles dans différentes boutiques multimarques en Afrique du Sud, où il commence à avoir une certaine notoriété.

Une marque engagée ?

Selon lui, le jury parisien, composé des directeurs artistiques des marques du groupe LVMH, de Maria Grazia Chiuri (Dior), à Nicolas Ghesquière (Luis Vuitton), en passant par Clare Waight Keller (Givenchy) et Marc Jacobs, semblait très intéressé par les sources d’inspiration africaines de ses créations. « Je fais du prêt-à-porter pour femme, mais je pense que ma marque a aussi une dimension culturelle », explique le designer, qui s’inspire systématiquement de la réalité de son pays, avec des thématiques teintées d’une réflexion plus sociale, presque engagée.

Depuis ses débuts, il donne à ses collections des noms tirés de sujets universitaires. Pour l’automne-hiver 2018, c’était Home Economics, tandis que la saison précédente, le titre était Gender Studies. À chaque fois il explore la thématique de la force féminine en Afrique du Sud. « Nous sommes constamment entourés de femmes et, sur le plan personnel, le trait que j’ai toujours trouvé le plus admirable est leur capacité à posséder à la fois la force et la vulnérabilité. Un aspect auquel j’étais exposé grâce à des personnages matriarcaux qui m'ont nourri », raconte le jeune homme, élevé par sa mère et sa tante, ses premières supportrices.

Black Sash, l’autre histoire de l’apartheid

La collection qui a emporté le prix LVMH s’appelle Prosopography, et s’inspire des Black Sash, ces femmes blanches qui, dès les années 1950, affrontaient l’apartheid en Afrique du Sud. « On parle souvent de Desmond Tutu et Nelson Mandela. Cependant, il y a les plus petites voix, dont les récits se perdent dans les transcriptions historiques, mais qui ont aussi joué un rôle important dans la lutte pour la liberté », explique Magugu.

La collection Prosopography, inspirée des Black Sash

Thebe Magugu

Résultat, sur les podiums ce sont des pièces aux allures parfois classiques – comme certaines jupes plissées –, mais avec des détails osés et quelques touches de couleurs franches. Ou encore des robes dans lesquels des extraits de son journal intime d’enfant sont imprimés sur la soie. Une tenue qui, d’ailleurs, a attiré l’attention d’Anna Wintour, la rédactrice en chef du magazine Vogue Amérique, qui a scruté son travail lors des évaluations pour le prix.

Ambition globale pour une marque locale

Mais au-delà des sources d’inspiration, Magugu intègre l’Afrique dans tout le processus de création de sa marque. Les pièces sont fabriquées à Johannesburg et il fait appel à des artisans locaux sur chaque étape de la production. « Quand j’ai présenté ma collection devant le jury, j’ai dit que mon rêve était de bâtir une marque globale, qui s’exporte partout », raconte le créateur. « Mais je leur ai dit aussi que, pour moi, il était important de rester basé dans mon pays. Ma mission a toujours été de montrer l’Afrique du Sud contemporaine. Je souhaite en finir avec certains stéréotypes un peu faciles sur l’Afrique et sur la mode venue de ce continent », insiste le designer.

D’ailleurs, il pense que les choses commencent à changer. « Avant, les gens disaient : l’Afrique c’est le truc du moment, c’est la nouvelle tendance. Mais, la saison d’après, le truc du moment était ailleurs. Sauf que maintenant, il y a un intérêt plus réel pour notre continent. On regarde ce que nous faisons, pas seulement comme une source d’inspiration, mais aussi comme un investissement possible. On essaie de comprendre l’Afrique », estime-t-il. Y compris chez LVMH. « Ils connaissent moins mon pays, puisqu’ils sont moins présents dans le continent. Du coup, même s’ils mettent à disposition leur savoir-faire et me donnent plein de conseils, ils apprennent aussi beaucoup dans ce processus. C’est donc un gros challenge des deux côtés ».

 

 Photo d'illustration