En Côte d`Ivoire, les bébés prématurés sauvés par la méthode « mère kangourou »
L’Afrique au défi de la santé infantile (1). Pour pallier le manque de couveuses à Abidjan, le CHU de Treichville expérimente avec succès cette technique inspirée de l’animal australien.
Sa main va et vient sans trêve, c’est devenu un réflexe. La mère caresse la tête et le dos de son bébé blotti contre sa poitrine. Par ce geste presque mécanique, la jeune femme exprime son amour maternel autant qu’elle exorcise la peur qui l’a envahie ces derniers jours, cette angoisse de perdre sa fille née avec onze semaines d’avance, à un poids critique de 800 grammes. Mais aujourd’hui, elle est bien là, collée à elle. Peau contre peau, elles ne font qu’une. Elles ont été admises il y a plus de dix jours au centre de soins mère kangourou (SMK) du CHU de Treichville, à Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire. Depuis, le bébé a grossi de près de 300 grammes et la jeune femme, déjà mère de deux enfants, a retrouvé le sourire.
Sa vie sauve, le nourrisson la doit à la méthode « mère kangourou », inspirée de l’animal australien et développée par des pédiatres à la fin des années 1970, en Colombie, pour pallier le manque de couveuses et lutter contre la transmission des infections néonatales. Le nourrisson est placé contre la poitrine de sa mère (plus rarement du père), dans une configuration « peau-à-peau », de manière permanente ou par intermittence, afin de créer des conditions idéales de température, d’affection et de repos. Tout ce dont le grand prématuré a besoin pour survivre.
C’est cette méthode qui est pratiquée à Treichville. Et ça fonctionne. Depuis l’ouverture du centre, en mars, sur 90 enfants recueillis en situation critique, 89 ont été sauvés. « C’est un de trop qui est parti », regrette la docteure Somé-Meazieu, médecin responsable de l’unité SMK, qui note toutefois qu’avant la mise en place de la méthode, les bébés de moins de 1 kg mouraient et les moins de 1,5 kg avaient très peu de chances de survivre.
Ici, « tout est gratuit »
A ses yeux, la méthode mère kangourou est une « bénédiction » pour la Côte d’Ivoire, où la mortalité néonatale est une calamité alors même que le pays est l’un des plus prospères d’Afrique de l’Ouest. En Côte d’Ivoire, sur 1 000 naissances vivantes (au-delà de 28 jours de vie), 33 bébés décèdent, selon l’Unicef ; à l’échelle de l’Afrique subsaharienne, ce taux est de 27 pour 1 000. Et la première cause de ce mauvais chiffre est la prématurité.
« En Côte d’Ivoire, un nouveau-né décède toutes les heures pour cause de prématurité parce qu’il n’y a pas assez de couveuses », rappelle le docteur Aholoukpe, spécialiste santé au bureau Unicef de Côte d’Ivoire. A Abidjan, où vivent près de 5 millions d’habitants, on dénombre moins de 50 couveuses dans les hôpitaux publics. Pour les prématurés, une place à l’hôpital public est donc rare. Et dans le privé, elle est chère : « entre 50 000 et 100 000 francs CFA [de 76 à 152 euros] pour une journée en couveuse », selon la docteure Somé-Meazieu, qui ajoute qu’« au centre SMK de Treichville, à part la nourriture que les patientes doivent acheter, tout est gratuit ».
Au-delà de la facilité technique et logistique de sa mise en œuvre, la méthode mère kangourou possède de nombreux avantages. Plusieurs recherches mettent en évidence un développement plus sain des prématurés ayant bénéficié de cette méthode. Grâce au peau-à-peau, le nourrisson dort mieux et ne ressent pas le stress qu’une couveuse peut provoquer. « Recevoir de l’amour en continu durant ses premières semaines de vie le rend plus sociable et serein que les autres enfants », ajoute Mme Somé-Meazieu. L’efficacité de la méthode permet aussi d’écourter l’hospitalisation des mères avec leur prématuré, libérant ainsi de la place pour d’autres patients. Un avantage non négligeable au vu de l’encombrement des hôpitaux publics.
Changer le regard des parents
C’est en 2018 que, sur recommandation du chef de service de pédiatrie médicale du CHU de Treichville et avec l’appui financier de l’Unicef, la docteure Somé-Meazieu et trois autres praticiens sont partis se former à la méthode mère kangourou en Afrique du Sud. A leur retour, ils ont mis en pratique leur apprentissage au sein des deux premiers centres SMK de Côte d’Ivoire, à Treichville et Korhogo, et ont rapidement formé d’autres collègues à cette méthode salvatrice. « C’est une technique simple, économiquement soutenable pour le pays et d’une efficacité redoutable, estime M. Aholoukpe, de l’Unicef. L’objectif est désormais de la propager sur tout le territoire. » Au CHU de Treichville, l’extension prochaine du centre prévoit d’ailleurs une grande salle de formation afin de sensibiliser le personnel de santé de Côte d’Ivoire et des pays voisins.
D’après les médecins du centre, la méthode mère kangourou a aussi fait changer le regard sur le prématuré. « Historiquement, dans notre société, il y a une forte appréhension vis-à-vis du prématuré », explique Mme Somé-Meazieu, qui peut citer d’innombrables histoires de parents ne portant pas d’amour à leur enfant né trop tôt. Comme ce père qui a fait un bond en arrière et s’est dit « dégoûté » à la vue de son bébé qui, à ses yeux, « ne ressemblait pas à un être humain ». Ou comme ces mères qui ne croient pas aux chances de survie de leur enfant et refusent donc de leur donner un prénom durant des semaines.
Au centre SMK, les équipes médicales travaillent chaque jour à convaincre les mères que leur bébé peut survivre s’il ressent de l’amour. Et pour pallier l’absence de prénom, Mme Somé-Meazieu se charge de baptiser temporairement les prématurés : « Béni », « Miracle », « Dieu est grand »… Des surnoms de circonstance.
Source: lemonde.fr
Photo d'illustration
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